Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. Il comprend les 9 épisodes de la minisérie, initialement parus en 2015/2016, coécrits par
Lauren Beukes &
Dale Halvorsen, et dessinés par
Ryan Kelly (sauf épisode 4), avec une mise en couleurs d'Eva de la Cruz. Inaki Mirandi a dessiné et encré l'épisode 4.
Mark Farmer et
Peter Gross ont participé à l'encrage des épisodes 6, 8 et 9. Les couvertures ont été réalisées par Bill Sienkiewicz. La quatrième de couverture comporte des phrases louangeuses de
Joe Hill,
Warren Ellis,
Kieron Gillen,
Mike Carey et
Ed Brubaker (mazette, quelle brochette !).
De nos jours, Chenzira Moleko (une jeune femme) a envoyé un courriel à 5 autres personnes pour leur donner rendez-vous chez Alice Taylor-Newsome (une autre jeune femme), habitant dans le quartier de Silver Lake, à Los Angeles; sont donc réunis dans le salon : Simon Wickman, Alice Taylor-Newsome, Kiri Nomura, Chenzira Moleko et Teo Reyes. Harvey Lisker n'a pas répondu à l'appel, même s'il rôde non loin de là dans le quartier. Chenziro Moleko explique aux autres qu'elle pense qu'ils sont liés comme survivants d'une épreuve personnelle et différente que chacun a dû affronter en 1987. Pour elle, il s'agissait d'un jeu d'arcade en salle nommé Akhero, auquel elle jouait et dont elle pense qu'il a ouvert une porte sur une réalité démoniaque.
Chenzira Moleko projette aux autres un extrait d'une émission de télévision consacrée aux jeux vidéo, avec la bande annonce d'un jeu appelé Happy Hero Toast. Elle est persuadée qu'il s'agit d'une mise à jour du jeu Akheron. Tous les autres sont sous le choc d'une remémoration violente te traumatique, mais n'en font part à personne. Non loin de là, Harvey Lisker est assis sur un banc dans un parc, avec la conviction qu'il a tué les individus autour de lui. Teo Reyes repart à l'hôpital où il est ambulancier et apprend que le présentateur de l'émission de jeux vidéo y est un patient. Il appelle Chenzira pour qu'elle puisse venir. Kiri Nomura rentre se coucher chez elle, avec un spect
re dans son lit. Simon Wickman décide de retourner rendre visite à Alice Taylor-Newsome qui adopte un étrange comportement. Plus tard, dans un bar, il est contacté par Abigail Rhea pour le compte de la société Tentra.
Au début des années 2000, Vertigo, la branche matu
re de DC Comics, semble en perte de vitesse, et les lecteurs craignent qu'elle ne survive pas à l'arrêt de la série phare Fables (de
Bill Willingham &
Mark Buckingham), puis au départ de la responsable éditoriale historique
Karen Berger. Vertigo continue de publier quelques séries mensuelles peu nombreuses, et plus régulièrement des histoires complètes comme celles-ci. le lecteur est tout de suite impressionné par les louanges dithyrambiques, et il conserve un bon souvenir de la précédente histoi
re de
Lauren Beukes, Fairest Vol. 2: Hidden Kingdom, une série dérivée de Fables. Il découvre la page de remerciement rédigée par les auteurs, évoquant les personnes qui les ont aidés dans leur recherche sur un dialecte obscure, le métier d'ambulancier, ou encore la cultu
re des jeux vidéo. Il se dit que le récit va être consistant.
Lauren Beukes &
Dale Halvorsen plongent effectivement le lecteur dans une narration ambitieuse. Ils introduisent les 6 survivants de manière à ce que le lecteur ait le temps d'assimiler leur nom. Ils partent d'un point de convergence, un événement au cours duquel ils sont tous réunis, puis ces personnages se séparent et leur fil narratif correspondant recroise celui d'un ou plusieurs autres au g
ré de l'intrigue. Dès le début, les événements montrent que ce récit s'inscrit dans le genre horreur de type surnaturel. Il y a le jeu vidéo qui ouvre une porte vers une dimension démoniaque. L'un des survivants dispose d'un double sous forme de mannequin de grandeur réelle. Il y a une prolifération soudaine et inexpliquée d'insectes de belle taille, etc. et même une maison hantée. La quatrième de couvertu
re donne une indication sur l'intention des auteurs : il s'agit de mettre en scène des classiques des films d'horreur des années 1980/1990. le lecteur retrouve également des classiques d'horreur des décennies précédentes.
La majorité du récit est illustré par
Ryan Kelly, un collaborateur semi-régulier du scénariste
Brian Wood. En découvrant le premier épisode, le lecteur se dit que l'artiste a dû disposer d'un temps appréciable pour réaliser ses pages. Il dessine de maniè
re descriptive et réaliste, avec un haut niveau de détail. Sur les pages 2 & 3, alors que les 4 survivants se dirigent chacun de leur côté vers la maison d'Alice Taylor-Newsome, il est possible d'observer les grilles et le mur d'enceinte de sa maison, ainsi que son architecture et celle du garage, l'intérieur de sa cuisine avec les maniques accrochées au mur, le saladier dans lequel elle prépare quelque chose, le liv
re de cuisine ouvert devant elle, le bureau avec les écrans d'ordinateur de Chenzira Moleko, l'affiche du film fictif Muskagee House, une une de journal sur des émeutes à Soweto, le catalogue d'exposition d'un musée, tout ça et encore plus sur une double page. Tout au long des 3 premiers épisodes, le lecteur s'immerge dans des lieux très détaillés, très tangibles, où évoluent des personnages à l'allure normale, avec des vêtements ordinaires, tout en étant révélateur de la personnalité de celui qui les porte. Les traits de contour varient légèrement d'épaisseur, avec des parties un peu plus grasses qui donnent plus d'épaisseur à la partie de la forme concernée.
Ryan Kelly s'attache également à donner du relief à chaque forme par le biais de petits traits à l'intérieur des formes. Eva de la Cruz réalise une mise en couleurs avec une approche naturaliste qui augmente le deg
ré de réalisme. Les manifestations surnaturelles relèvent du grand guignol dans leur représentation, mais elles sont mises sur le même plan que le reste de la réalité, ce qui leur donne un levier sur les personnages et les décors, leur donnant ainsi une dimension tangible.
La prestation de
Ryan Kelly est interrompue le temps de l'épisode 4 qui est dessiné par
Inaki Miranda, artiste ayant également illustré Coffin Hil de
Caitlin Kittredge (une autre série Vertigo) et l'histoire écrite par
Lauren Beukes pour Fairest. Il a un trait plus sec que celui de
Ryan Kelly, et plus incisif, générant une impression diffuse de danger tranchant. le niveau de détails est un peu moins élevé, ou plutôt la densité d'informations visuelles est moins élevée. Dans le cad
re de l'intrigue, ce changement temporai
re de dessinateur se justifie car l'épisode est consacré à la maison hantée qui a servi de modèle pour le film fictif Muskagee House. Arrivé ainsi à presque la moitié du récit, le lecteur s'enfonce en douceur dans une horreur visuelle et dans un mystère touffu et bien fourni, alimenté par de l'horreur corporelle, des légendes sur un vieux jeu vidéo, la présence d'un tueur en série aimant bien découper ses victimes, un phénomène non révélé liant ces 6 jeunes gens. Les coscénaristes ne jouent pas du tout dans le regist
re de la nostalgie vis-à-vis des formes d'horreur des années 1980. Leur construction narrative évoque plutôt celle de
Stephen King, avec des traumatismes refoulés dans l'enfance, des conséquences dans le temps présent, et vraisemblablement un prix à payer du fait des actes de la génération précédente, dans une société dont la diversité reflète celle du monde réel.
L'épisode 5 continue les différents fils de l'intrigue en en révélant progressivement plus sur le passé des individus, alors que certains s'enfoncent plus dans le bizarre et le surnaturel, et que d'autres découvrent quelques pièces supplémentaires du puzzle. Au bout de quelques pages, le lecteur remarque que dans certaines,
Ryan Kelly commence à diminuer la densité des informations visuelles par case. Ce n'est pas systématique, mais certains arrière-plans sont portés disparus, ne laissant plus que les personnages au premier plan. Cette alternance de cases où tout est dessiné complètement, et de cases uniquement avec des personnages n'a rien d'anormal dans des comics américains, mais elle dénote par rapport aux 3 premiers épisodes. Les dessins se sont également faits un tout petit peu plus lâches, comme si
Ryan Kelly avait du mal à tenir les délais, ou essayait de réaliser des planches plus vivantes et moins alourdies. La narration visuelle reste très claire, mais la baisse de détails concrets rejaillit sur les créatures surnaturelles qui en deviennent plus grotesques et plus artificielles. Cela a pour conséquence que la narration qui était très premier degré au départ se teinte d'une forme de moquerie sous-jacente, minant le sérieux du propos.
Dans la première moitié du récit, les coscénaristes bâtissent leur récit en le nourrissant d'éléments et d'informations, à commencer sur les jeux vidéo, et sur les émeutes de Soweto. Mais à partir de l'épisode 5, le lecteur se rend compte que Beukes & Halvorsen accordent plus d'importance au mécanisme de leur intrigue qu'aux thèmes sous-jacents, aux révélations bien construites qu'à la justesse des émotions de leurs personnages. La structu
re du récit est impeccable, avec la découverte petit à petit de l'histoire personnelle des 6 survivants, l'existence de monstres personnels liés à ladite histoire, les conséquences de ces comportements placés sous l'existence de ces monstres. Les auteurs ont beau respecter les règles du gen
re : des monstres issus de l'histoire personnelle des protagonistes, monstres qui peuvent être interprétés comme des manifestations de troubles psychologiques. Les différents fils narratifs convergent vers un final spectaculaire qui permet d'apporter une résolution à chaque mystère. Mais cette convergence bien pratique s'accompagne de combats physiques grand guignol en décalage avec l'horreur plus psychologique du début. il ne s'agit pas de n'importe quoi puisque la trame narrative repose sur une structure rigoureuse, mais d'un basculement progressif vers l'hémoglobine et
les monstres avec plein de dents, de plus en plus en plastique, de moins en moins crédibles du fait de l'allègement des dessins, même s'ils restent très professionnels. L'intrigue secondaire relative au jeu vidéo Akheron s'étiole pour devenir tout aussi ridicule.
À la fin du récit, le lecteur reste sous le charme de la première moitié du récit, intelligente et ambitieuse, nourrie par de nombreux éléments culturels. Il regrette le glissement vers une horreur plus basique à la fois pour les dessins et pour l'intrigue dans la deuxième partie qui inscrit le récit dans un registre plus quelconque.