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Critique de Charybde2


Douze nouvelles sur l'attente, pour un nouveau mélange détonant d'humour et de sérieux, de poétique et de tragique, de retors et de tendre. Encore une réussite Antidata.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2023/08/30/note-de-lecture-stand-by-collectif/

Un an et demi après « Décamper », voici que paraissait en juin 2023 la nouvelle anthologie collective des éditions Antidata, notre spécialiste préféré de la forme courte : « Stand-by », douze nouvelles sur l'attente, pour nous apporter une nouvelle fois ce rare mélange d'humour et de sérieux, de poétique et de tragique, de retors et de tendre, convoquant des écritures déjà connues chez l'éditeur et d'autres que l'on découvre ici.

Nous aurons la joie de célébrer ce recueil en compagnie d'une bonne moitié des autrices et auteurs, ainsi que des deux éditeurs, ce mercredi 30 août, à la librairie Charybde (Ground Control, 81 rue du Charolais, 75012 Paris), à partir de 19 h 30.

Guillaume Couty, qui nous avait récemment régalé, chez le même éditeur, de son machiavélique et hilarant « laqué », réussit, en quelques mouvements de torsion et de quiproquo bien ajustés, à dynamiter tendrement la notion même d'attentes réciproques au sein d'un couple (« Au tournant »).

Bertrand Redonnet, dont il s'agit d'un grand retour depuis son « Théâtre des choses » de 2011 et ses nouvelles de « CapharnaHome » et de « Douze cordes », nous plonge, aux confins de la Pologne et de l'Ukraine, dans une poignante et enflammée attente de la paix, alors que l'agression fait rage, là-bas, de l'autre côté (« Guerre et paix »).

Cécile Matt, nouvelle venue dans les recueils collectifs Antidata, nous offre quant à elle une insidieuse bascule fantastique qui n'aurait rien à envier à certains des textes les plus matois de Shirley Jackson (« Heart trouble »).

Antonin Crenn, dont nous avions tant apprécié ces dernières années « Passerage des décombres », « le Héros et les autres », « L'Épaisseur du trait » ou encore « Les Présents », nous propose une synthèse largement extraordinaire de physique théorique de la reproduction cellulaire et de mysticisme religieux autour de la claustration et, donc, de l'attente, condensant en quelques pages certains angles morts laissés ailleurs par « du domaine des murmures » de Carole Martinez ou par « Quand sort la recluse » de Fred Vargas (« Alix ne fait rien »).

Nous avions adoré aussi les « Capsules » de Benjamin Planchon en 2018, et davantage encore son « Domaine des Douves » de 2022. Il nous invite ici à accompagner dans sa tâche l'auteur d'un projet littéraire très particulier (en tout état de cause, audacieux, voire sans-gêne, voire intrusif, mais pouvant semble-t-il passer crème sur un malentendu), projet où le hasard comme la nécessité, au même titre que la patience et le sens de l'observation, doivent pleinement jouer leur rôle (« Fauteuil club »).

Amélie Hamad, autre nouvelle venue chez Antidata, met en scène un arbre centenaire à la patience logiquement infinie pour proposer une fable d'une extrême cruauté, où l'ennui et l'attente d'autre chose jouent pleinement leur rôle de déclencheur tragique, en une narration pourtant joliment dépourvue de tous effets spéciaux effrayants. L'abîme s'ouvre sous le seul choc sourd du sens des mots adolescents (« le poirier »).

Stéphane Monnot, que nous avions jadis rencontré notamment à Séville, un funeste soir de 1982 (« Noche triste »), côtoyé dans de grands espaces de l'Ouest américain (« Ici-bas ») et croisé avec joie dans les recueils collectifs « Petit ailleurs », « Terminus », « Version originale » ou « Jusqu'ici tout va bien », pour n'en citer que quelques-uns, offre un rôle en or, et pour le moins inattendu, à un gastéropode sans coquille, et concocte un cocktail robuste et hilarant à base de whisky « digne d'un roman de Manchette, de blanquette de veau familiale et de perspective d'un footing matinal, entre autres ingrédients étonnants (« Juliette et la révolution »).

Véronique Emmenegger, découverte elle récemment chez Antidata, avec sa belle novella « Dans ta sévère fontaine », développe, dans l'enfer moite d'un after où les repères flottent puis se perdent, la langue nécessaire pour traduire le couvercle des stroboscopes, le harcèlement multi-sources qui menace et la possibilité d'un sauvetage pour le moins inespéré, mais d'une réconfortante beauté rugueuse (« Distillation de la rosée »).

C'est grâce à Jean-Luc Manet que j'ai découvert, il y a maintenant quelques années, les éditions Antidata (« Haine7 »). Depuis, ce rocker au coeur tendre et à l'humour ravageur a su entre autres inventer un héros presque récurrent qui m'est particulièrement cher, ex-libraire du 12ème arrondissement parisien devenu clochard après avoir fait faillite (« Trottoirs » et « Aux fils du calvaire »). Ici, il met un tueur à gages au repos forcé, en une sorte de parenthèse balnéaire inattendue – et dont l'issue sera plus surprenante encore. C'est logiquement gouailleur et curieusement enchanteur (« Bras armé, bras ballants »).

On n'a plus guère besoin de présenter Gilles Marchand que l'on suit ici quasiment depuis « Dans l'attente d'une réponse favorable » (2011) chez Antidata qu'il anime avec Olivier Salaün. On apprécie ici la finesse rêveuse de ses romans « Une bouche sans personne », « Un funambule sur le sable », « Requiem pour une apache » ou plus récemment « le soldat désaccordé », ainsi bien entendu que celle de ses nouvelles, au sein des recueils collectifs Antidata ou dans le recueil si joliment nommé « Des mirages plein les poches ». Ici, il imagine un citoyen ô combien respectueux de la règle et de la loi, incarnée par un feu tricolore dans un environnement pourtant résolument désertique. Ce qui s'ensuit vaut tout le détour, pince-sans-rire, poétique et savamment onirique (« Feu rouge »).

Olivier Boile, qui est sans doute le seul auteur officiellement et majoritairement étiqueté auteur de fantasy parmi les participants des recueils collectifs Antidata (on se souvient bien néanmoins de son « Vengeur du peuple » dans « Jusqu'ici tout va bien ») imagine une délicieuse mini-uchronie dans laquelle la guerre de Troie ne s'est pas déroulée tout à fait comme cela nous a été raconté, et dans laquelle on en apprend un peu plus sur le pourquoi de ce storytelling bien avant la lettre (« J'étais souverain de Mycènes »).

Pour conclure un recueil consacré au « Stand-by », quoi de plus satisfaisant qu'un profond clin d'oeil au maître lui-même de l'attente sous toutes ses formes, le grand Samuel Beckett ? Benoît Camus, dont on se se souvient avec joie du « Réveil du nain de jardin » dans « Petit ailleurs » ou du « Ailleurs, les murs sont moins gris » dans « Parties communes », s'acquitte de cette dette morale au fond tout à fait réjouissante en imaginant un affût à la Godotte (que l'on attend donc), créature qui prend ici des allures à la « Palafox » d'Éric Chevillard, mais dont la traque immobile prendra peut-être un tour bien différent (« Godotte »).
Lien : https://charybde2.wordpress...
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