Comme incorrigible collectionneur d'anciennes cartes postales avec des personnages, pas de bâtiments, j'ai passé des heures à chercher de telles cartes et à en discuter éventuellement le prix d'achat, à Paris, Marseille, Tanger, en Tunisie et au Maroc.
En m'achetant tout récemment, pour une large part grâce à mon profond estime pour
Clémence Boulouque, qui semble bourrée de talents, ce merveilleux livre, j'ai été ravi comme un gosse de constater qui plusieurs des cartes de ma collection se trouvent reproduites dans ce livre.
Pour l'auteure, ces cartes sont un album de famille : "Mes ancêtres, alors, sont ces cartes".
Et l'ouvrage compte exactement 88 cartes postales de la période 1885-1930 de femmes juives, dont 34 Marocaines, 20 Algériennes, 26 Tunisiennes et 8 Libyennes.
Si pour
Clémence Boulouque et la coauteure, Nicole Serfaty, professeur de judéo-arabe née en1947 à Casablanca au Maroc, ces Juives d'Afrique du Nord constituent des ancêtres, pour des simples lecteurs comme moi venant d'un tout autre horizon, ces cartes représentent un tantant dépaysement. C'est étrange, des Flandres ou de la France septentrionale la distance au Maghreb n'est cependant pas si importante en nombre de kilomètres et pourtant quasi tout est différent : les habitations, l'ameublement, l'habillement, le maquillage, les poses et attitudes. Même pas tout à fait un siècle plus tard.
Selon une contribution de Lucette Heller-Goldenberg de Nice, sur le site "pensée française", " l'ouvrage est remarquable, qui outre la beauté et la rareté de son iconographie, offre quelques jalons qui étayent la réflexion. La femme maghrébine est un fantasme qui hante les Occidentaux, un fantasme qui repose sur une image stéréotypée". "La femme juive de ces contrées lointaines occupe une place à part du fait qu'elle n'est pas voilée".
Toutes ces cartes font partie de la considérable collection de
Gérard Sylvain, qui est entre autres l'auteur de l'ouvrage influent : "
Sépharades et Juifs d'ailleurs" de 2001.
Nicole Serfaty, avec son énorme érudition, a développé la chronique d'une émancipation voilée des femmes juives dans des familles traditionnelles, qui vaut sûrement la peine d'explorer.
Sur sa lancée, elle s'arrête brièvement sur les particularités des différents pays du nord-africain et note ainsi que "la composante juive enracinée au Maroc a partagé durant près de deux mille ans le sort collectif et les aléas de la conjoncture socio-historique."
"Juifs et musulmans ont cohabité et résisté à toutes ces fluctuations en tissant un patrimoine culturel commun, tout en préservant leur spécificité religieuse". Ce qui jette une autre lumière sur un passé nettement plus pacifique et harmonieux que certaines voies aimeraient bien nous faire croire.
Bref, il s'agit en même temps d'un bel ouvrage à ranger dans sa bibliothèque et d'un document instructif.