Huit nouvelles, pour la plupart inédites, d'
Ivan Bounine écrites dans le sud de la France entre 1925 et 1926, rassemblées par les Éditons des Syrtes.
Invitations à l'évasion, au voyage, et surtout à la réflexion sur la nature humaine par ce maître de la littérature russe exilé en France en 1920 à l'âge de cinquante ans, fuyant les bolcheviques. Il sera le premier russe à obtenir le prix Nobel de littérature en 1933.
De longueur et d'intensité très variables - de trois à une soixantaine de pages -, ces nouvelles ont toutes en commun une écriture raffinée et poétique, tout en étant d'une remarquable précision d'évocation, en particulier dans l'analyse psychologique de personnages assaillis par l'amour, la mort ou la foi.
Brûlure intense, fulgurance du désir, exaltation puis souffrance : un coup de soleil pour symboliser un coup de foudre, le ton est donné. Un homme et une femme se rencontrent à bord d'un bateau de croisière sur la Volga, sous l'emprise d'une intense attirance réciproque, ils quittent le navire, et passent
la nuit à l'hôtel. Au matin, la belle inconnue a disparu, pour toujours. Désarroi et douleur du jeune homme forment l'essentiel du récit.
Bounine, avec Coup de soleil, la première nouvelle du recueil qui porte son nom, nous livre surtout une analyse des tourments d'un coeur frappé par le désir brutal, l'amour trop grand, qui parle assurément aux " victimes " de coup de soleil, pardon de coup de foudre ! Un texte réussi et original, probablement novateur pour les années vingt.
Puis vient
L'affaire du cornette Elaguine, la plus mystérieuse et l'intrigue la plus aboutie des nouvelles de ce recueil selon moi. Une incroyable histoire de meurtre sur fond d'amour passionné entre " un hussard, un jouisseur jaloux et ivrogne " et " une actrice embourbée dans sa vie désordonnée et immorale " en reprenant les termes de Bounine. Elaguine affirme l'avoir assassinée à sa demande, par amour, mais un billet laissé par la victime indique : " Je meurs contre ma volonté. " Dilemme tragique et insoluble !
De nombreuses interrogations sur l'amour et la mort émaillent cette nouvelle empreinte de désespoir. La notion de culpabilité est ici le noeud central, et m'a fait penser au roman de Dostoïevski Crime et châtiment. On retrouve chez Elaguine le même relatif détachement face au crime qu'éprouvait Raskolnikov, mais certes pas pour les mêmes raisons.
" Je ne peux accepter l'idée que l'on puisse penser que je suis un bourreau. Non et non ! Peut-être suis-je coupable devant la loi des hommes, coupable devant Dieu, mais pas devant elle ! " affirme Elaguine.
Enfin, Sur les eaux immenses, dernière nouvelle, rédigée sous la forme d'un journal de voyage de Port Saïd à Ceylan, la plus poétique et la plus propice aux réflexions sur la destinée humaine. Très immobile paradoxalement pour un récit de voyage, mais c'est le propre d'un périple en bateau : contempler les splendeurs de la nature changeante en restant à bord, et laisser son esprit vagabonder.
Cadre propice pour Bounine donc qui s'abandonne littéralement et nous livre ses réflexions, sa foi, face aux eaux immenses. Un texte largement auto-biographique me semble-t-il.
Deux citations parleront plus que de longs discours :
"Toute la mer n'était que vallées et collines dont les sommets se hérissaient furieusement d'écume. le vent l'arrachait, et les flocons blancs qui volaient parfois sur le pont et glissaient rapidement sur les planches lisses étincelaient d'un vif éclat argenté."
"Est-il possible qu'un jour tout cela, qui m'est déjà si proche, habituel, cher, me soit enlevé d'un coup, d'un coup et pour toujours, pour l'éternité, quel que soit le nombre de millénaires qu'ait la Terre à vivre encore ? Comment croire cela, comment s'y résigner ? Comment arriver à comprendre toute la cruauté bouleversante et l'absurdité de cette chose ?"
Voilà un tour d'horizon des trois principales nouvelles de ce recueil qui valent vraiment le détour.
J'ai davantage perçu les cinq autres, pour la plupart très courtes, comme des liens entre les "grandes" nouvelles. Avec le recul, je suis convaincue qu'elles ne me laisseront qu'un souvenir éphémère.
Un grand merci aux éditions des Syrtes et à Babelio pour ce recueil
Coup de soleil et autres nouvelles d'un écrivain que je découvre. Je comprends mieux pourquoi Gorki, qui l'admirait, voyait en lui le meilleur styliste de sa génération. Un orfèvre des courts textes assurément.