Il faudrait commencer par lire les trois premières parties non pas comme des chapitres mais comme des nouvelles différentes avec peu de choses en commun, sinon dans les titres : « Tio mate sourit », « le chef sourit », « le vieux Margis sourit ». Ou alors comme un work in progress, la recherche d'un scénario. Et puis, c'est comme si Burroughs avait trouvé l'inspiration ou des personnages intéressants ou quelque chose d'autre dans « le vieux Margis sourit ». Tout en continuant à tâtonner, il façonne une sorte de roman, très décousu tout de même ; il s'attarde sur les personnages, en particulier Audrey, « un jeune garçon pâle et maigre au visage constellé de blessures spirituelles purulentes ».
Pourtant les « chapitres » continuent à raconter des histoires partiellement différentes sur un fond commun d'images hétéroclites, extravagantes, fantastiques, qui sont comme des souvenirs imprécis. S'il y a une logique dans tout cela, elle est éclatée. S'il y a un sens c'est peut-être la volonté d'en retrouver un, de reconstituer quelque chose à partir de ces images mélangées. Car on se dirige, dans les cent ou cinquante dernières pages du livre, vers quelque chose qui ressemble à un roman d'anticipation, déjà entrevue. Mais avant ça, on n'est nulle part, un peu au Maroc, un peu au Mexique, un peu aux Etats-Unis, un peu dans la jungle amazonienne. On est en 1920 ou en 1988, ou à l'époque des mayas.
Les images de sexe entre jeunes adolescents sont omniprésentes. Des chapitres entiers sont des narrations érotiques assez traditionnelles. Les scènes sont parfois triviales comme un film porno et parfois elles deviennent métaphoriques, la sexualité est alors sublimée. Beaucoup de violence et de drogues aussi. L'histoire oppose, à la fin des années 80 (le livre a été écrit en 69), les riches qui vivent reclus et organisent des orgies de nourritures, protégés par la police, aux garçons sauvages qui, eux, vivent dans une perpétuelle orgie sexuelle (puisqu'il existe des films gays, on peut dire que «
Les garçons sauvages » est un livre gay). Des tribus nomades redevenues presque animales.
C'est comme un film de science-fiction pornographique expérimental et assez poétique, à vrai dire. Burroughs a forgé des images surréalistes appliquées à l'époque hippie. Mais ce n'est pas du tout l'image d'Epinal des hippies peace and love, gentils et inconséquents. Il n'a pas effacé la violence et la part d'ombre de l'humanité, bien au contraire, la folie et la bestialité rôdent dans chaque page.