Ce recueil de nouvelles noires, publié en 1998 dans la défunte collection Quatre-bis (ça commence à faire beaucoup de chiffres, et ce n'est même pas pour rendre hommage à l'obtention du Goncourt par un oulipiste que je le souligne) des toujours bien vivantes éditions Zulma n'a pas de thématique particulière, du moins pas explicite comme dans pas mal de recueils que j'ai
chroniqués ici. Il est composé de neuf nouvelles, initialement publiées deux ans plus tôt dans un journal de la presse régionale, de neuf auteurs différents et chacune d'elle, sans exception, fut un plaisir à lire. Je n'en suis pas surpris, car qui dit des auteurs dont j'ai lu beaucoup d'oeuvres, dit auteurs que j'apprécie beaucoup, n'étant pas du genre à m'entêter à lire les auteurs qui ne m'ont pas séduit dès les premières lectures. Si vous avez des goûts un tant soit peu proche des miens, la liste des auteurs devrait suffire à vous appâter:
Gérard Delteil,
Frédéric H. Fajardie,
Hervé le Corre,
Jean Hugues Oppel,
Jean-Bernard Pouy,
Serge Quadruppani,
Patrick Raynal et
Marc Villard, sans oublier
Jean-Jacques Busino, le petit Suisse que je ne connaissais pas, mais maintenant que c'est fait, ben enchanté (à la menthe).
Ici pas de supers flics éthiques et perspicaces, pas non plus de braqueurs géniaux ou de tueur en série, incarnation du mal absolu mais vachement intelligent. Il y a même pas mal de personnages qui ne sont pas à la hauteur du rôle qui leur est assigné. Pas de belles leçons de morales non plus, d'histoires du bien ou de la justice qui finissent toujours par triompher. La réussite est généralement liée non pas à des qualités individuelles ou au manque de celles-ci, mais à la place occupée par chacun dans la société. Au fil des nouvelles, on rencontre ainsi des braqueurs de circonstances peu doués dans le domaine et qui vont, de diverses manière, en payer le prix fort, une femme sacrément démerdarde mais dont tout le mérite des actes va revenir à des hommes, un flic et un héritière qui vont trouver un bouc émissaire et filer le parfait amour avec le bas-de-laine bien rempli, d'autres flics incompétents mais qui s'en tireront avec les honneurs…
Bref, des personnages ordinaires dont les actes et destins sont à chercher surtout dans leur place dans les rapports de production pour paraphraser le fameux incipit de
le petit Bleu de la côte Ouest de
Jean-Patrick Manchette; bienvenue dans la littérature noire.
Une littérature noire au déterminisme un peu trop primaire, se contentant de décrire une triste société sans surprise dans laquelle l'avenir de chacun est tout tracé? Certainement pas, car ici comme dans la vie, il y a toujours des personnes qui refusent le statu quo qu'on veut leur imposer qui nous surprennent à agir hors des clous ou se surprennent à jouer de leur libre-arbitre. On trouve donc aussi dans ce recueil une femme qui va faire payer cher des années de patriarcat à son mari tyrannique, de surcroit riche homme d'affaire (et au passage se payer sur la bête), un personnage qui se retrouve confronté au choix de faire ou non ce qu'on attend de lui, un autre dont la position voudrait qu'il fasse n'importe quoi pour s'en tirer mais va préférer à toute stratégie de survie « laisser la beauté là où elle est, et se démerder avec sa laideur présente, qui est aussi celle du monde et celle des temps, et qui aura du mal à changer »… Ah oui, parce qu'il y a ça aussi, dans ce recueil : de la beauté. La littérature noire ne se contente pas de montrer la laideur d'un système, elle sait aussi montrer les pépites de beauté qui se trouvent toujours dans les scories de ce système.
Et puisque je parle de pépite, autant en faire le mot de la fin: si vous en avez l'occasion, lisez cette pépite qu'est le recueil Neuf cadavres et demi, d'autant que d'occasion, justement, on le trouve facilement à moins d'un euro sur le net sauvage.