Au lieu de l’épilogue
Maintenant, après avoir lu ce livre, je me demande encore qui est Mihaela Busuchină Vlaicu. J’ai beaucoup réfléchi avant d’essayer de répondre à cette délicate question. Étant donné la nature des choses et le fait qu’elle respire depuis plus d’un quart de siècle l’air de Paris, je pensais que la bonne réponse résidait dans une poésie de Jacques Prévert, capable de définir Mihaela, ou moi-même, et certainement vous, les lecteurs.
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Mihaela a avoué dans son livre qu’elle « a grandi parmi les fleurs, en jouant dans les allées du magnifique jardin de son enfance ». Dans ses chansons, dans sa musique appelée folk, il existe des inflexions douces, comme la solitude de la plaine, une lumière troublante comme si le soleil était en éruption. En l’écoutant, vous allez découvrir une voix suave et en même temps forte, avec une coloration unique, issue d’une tragédie antique.
Ion Andreiţă
Il existe depuis toujours une éternelle quête d’identité. Et si nous parlions un peu de l’exil ? Une multitude d’écrivains célèbres a polémiqué sur ce thème. Kafka disait à juste titre « autant d’hommes, autant d’exils ». Et les discours sont très différents. Par exemple Emile Cioran, le philosophe « sceptique et extravagant », a essayé de nous expliquer dans « Les avantages et les inconvénients de l’exil » et « La tentation d’exister », comment meurt un écrivain arraché à son milieu. D’après Cioran, l’exilé sera « quelqu’un qui s’efface, abdique, ou à l’inverse un ambitieux, ou un déçu agressif ». Il va « rompre avec les souvenirs, tomber dans une monotonie qui peut le tuer, et il va se sentir desséché de toutes ses idées ». L’exilé va se contenter de rester un anonyme, « un bourgeois de nulle part », car l’exil est « La cité du rien ». Il voit l’exilé comme un vaincu, pour lequel la chute se produit dans le temps, très doucement, sans faire des bruits. Et qu’est-ce qu’il lui reste, quel sera son premier devoir, au lever ? « Rougir de soi » ! Dans « Avantage de l’exil », l’apatride aspire à devenir romancier pour publier, pour « donner une gifle à quelqu’un ». Et cette chose est tout à fait vraie. On s’agrippe comme on peut à notre étoile, même si elle ne brille plus. Witold Gombrowicz a totalement une autre vision concernant l’exilé : « L’écrivain, l’artiste [...] ne doit pas se sentir plus qu’un résident. ».
J’avais quelques économies, j’allais donc m’acheter une guitare : pourquoi ne pas commencer à composer des chansons, pour moi, pour maman, pour papa, pour ma grand-mère et pour mon grand-père. J’ai demandé en secret la bénédiction et la complicité de mon grand-père, parce qu’il était le seul qui pouvait comprendre ma démarche. Chanter et donner des conseils, cela faisait partie de son travail. C’est surtout grâce à lui que j’ai commencé à aimer la musique, que j’ai pris goût à chanter, à jouer d’un instrument. Depuis l’âge de cinq ans, j’avais l’habitude de murmurer des mélodies dans l’église durant son service religieux. Et me voilà « auteur-compositeur », la fierté du lycée et de l’internat et bientôt de la ville !
J’avais entendu la voix que je connaissais depuis que j’avais 18 ans. C’était la « voix » qui semblait venir d’en haut, du paradis, et non pas du premier étage. Qui n’avait pas écouté le poste « Radio Europe Libre » ? J’avais toujours imaginé que Monica Lovinescu était une femme de haute taille, grande et forte, tout comme sa voix. La lucidité et la précision de l’esprit faisaient d’elle une sorte de monstre sacré, qui avait consacré toute sa vie à la vérité. J’avais déjà lu quand j’étais encore en Roumanie le livre qu’elle avait écrit en collaboration avec Doina Jela, publié en 1988 « Cet amour qui nous lie » et son journal, qui contenait des études et des articles lus à la « Radio Europe Libre » (1990). Et maintenant, je ne pouvais en croire mes yeux ! Monica était de petite taille, l’image que je m’étais fabriquée pendant tant d’années, n’avait rien à voir avec la réalité. Mais la voix et sa force morale, oui.
Nous avons l’impression que la jeune génération ne sait plus grand-chose de ce qui représente une relation naturelle. Ils se ferment dans leur monde, ils communiquent, comme tu le dis, mais indirectement, en ligne (« on-line »). Ce n’est pas ce qu’on appelle une vraie communication. C’est plus une aliénation vis-à-vis de celui qui est juste à côté de toi. Veillez à ne pas oublier de regarder dans les yeux les gens et de leur demander directement ce qu’ils pensent. La conversation face-à-face, qu’elle soit chaleureuse ou pas, est plus directe et d’après moi, beaucoup plus efficace. Et mon père a continué : par exemple, je regarde autour de moi quand je sors en ville. La plupart des gens ont un casque sur les oreilles, ils ne regardent plus par la fenêtre du bus, mais les yeux de tous sont attachés à l’écran du téléphone ou d’une tablette. Je dirais que c’est en fait une sorte de solitude en ligne, plus qu’une vraie « communication ».