IL Y A LONGTEMPS,
Alain Cadéo accompagna à voix haute et en mots couchés sur le papier, le voyage utérin du foetus offert par la Vie. "
Le ciel au ventre", fut le titre fabuleux de ce récit. Aujourd'hui, tiré d'un tiroir, "M." est le titre du récit offert par
Alain Cadéo à la femme porteuse, la femme aimée, unique, multiple, singulière-plurielle. Traversé et passeur d'un dire "au-dessus", lui est offert cet énoncé inouï : Aimer c'est goûter du bout des lèvres, du bout de la langue pour voir "quel goût ça a" cette peau et cette âme d'une adorable étrangeté.
L'éditeur
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Éditeur et lecteur, qu'ai-je envie de dire ? après ces notes de lecture donnant envie de lire M. ? (j'en ai reçu 6)
Ce récit, en fragments, a selon ma lecture un trait dominant : tout est indéfini. Pas de repères spatio-temporels, pas de dates, d'heures, de lieux précis, pas de noms, de prénoms, de descriptions détaillées des visages, des corps, des sentiments, des paysages.
Ce qui finit par devenir évident, c'est l'effacement de tout ce qui fait la trame des innombrables récits de vie, des traumas de l'enfance aux troubles urinaires de la vieillesse, coups de coeur des libraires.
Ne subsistent dans l'univers cadéolien que les grands vents porteurs de rêves déjà rêvés depuis les origines, tissés dans l'inconscient collectif et la cabane des deux enfants que nous sommes pour toujours : Il y a l'enfant rêveur qui se fabrique une aventure (c'est l'enfant solaire ou divin) et l'enfant cabossé par l'Aventure-vie qui se fabrique un rêve (c'est l'enfant blessé et ses cinq blessures).
Cet indéfini, qui gomme toutes les superficielles particularités, singularités que l'on croit être nôtres, constitutives de notre identité, est en lien avec l'essentiel (le mot est dans le texte) qui est indéfinissable et qui a à voir avec l'infini, le Tout, l'univers, les multivers, l'éternité, le parfait, la Vie, Dieu.
Nous en sommes issus, nous y baignons le temps de nos vies, nous y retournons.
La Toile est là, invisible rendant visible. La Lumière est là, éclairant la caverne où nous prenons les ombres pour la réalité, le labyrinthe où les fils rouges sont cousus de fil blanc, les catacombes de nos crânes.
Issus d'une mémoire immémoriale où tout est déjà dit, écrit, ne sommes-nous que des perroquets ?
Le créateur, Dieu, a l'humilité de s'effacer pour laisser la créature, vivre sa vie en liberté d'où la présence forte du diable, du tentateur donc, dont M., assaillie par lui, une nuit, triomphe en le mordant à la cuisse ce qui stupéfiera le curé exorciste.
L'autre, c'est le mystère absolu renvoyant à notre solitude absolue, c'est M., c'est l'homme aimant M., faisant l'expérience, non de la déception de l'impossible rencontre, de l'impossible fusion mais de l'approche savoureuse et délicate de M.
L'autre c'est l'auteur et les mots, ses mots et ceux au-dessus, ce sont les autres comme si les identités devenaient elles-mêmes floues.
L'étrangeté, adorable mais aussi inquiétante, charmante est la couleur de tout ce que vit, voit, ressent le poète, albatros que ses ailes..., étrangeté le rendant étranger pour les hommes collés à la réalité, manchots goudronnés, englués dans le bitume de leurs certitudes.
L'étrangeté est aussi dans l'écriture. D'où viennent les mots, les images ? C'est quoi ce dire « au-dessus » pour dire que l'amour ce n'est pas de l'anthropophagie, bouffer, se faire bouffer ?
Le rapport à l'écriture de l'auteur n'est pas simple. Il se fustige, s'énerve, s'en prend aux médiocres et méchants, s'y inclue, s'en exclue, jouit de sa singularité, est traversé, habité, passeur, jouant des grands écarts parce que M., tu n'as jamais été la tiède et que la tapisserie de ta vie, contrastée, point à l'endroit, point à l'envers, contient toutes les tapisseries de nos frères et soeurs en humanité.
Pour conclure, je lis M., comme un récit à haute valeur spirituelle, particulièrement déstabilisant pour les réalistes, matérialistes, hédonistes, jouisseurs sans entraves, profondément nourricier pour ceux qui croient que l'on ne sait rien du miracle de la vie, du mystère de la mort (absente de ce récit), du mystère de l'amour, du miracle de la rencontre pour te regarder te faire, te regarder engendrer ta propre vie.
M. comme Merci.
Jean-Claude Grosse, 20 mars 2023
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