AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
206 pages
Éditions La Correntille (30/06/1993)
5/5   3 notes
Résumé :
Échographie. Premier cliché de face. Impressionnante silhouette. Dix centimètres, trente cinq grammes, deux mois et demi. Là les yeux, le nez, la bouche, les épaules, les bras, sortes de taches noires, comme un test de Rorschach, vague ressemblance avec une figure Sépik ou peut-être un dessin de la mythologie Eskimo. J’opterais plus volontiers pour une sorte d’amulette indienne. Voilà ce que je vois de toi. C’est aussi impressionnant qu’une esquisse primitive sur la... >Voir plus
Acheter ce livre sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten
Que lire après Le ciel au ventreVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique

« Ainsi tu tiens à venir au monde. Bon. C'est ton affaire. Il n'y a aucune raison pour que l'on se taise tous les deux durant des mois. Lorsque tu naîtras ce sera peut-être plus compliqué. Mais là, dans ton silence, avec ton cordon narghilé à portée de la main, là dis-je, dans ton liquide confortable tu peux projeter, balancer des images, bulles qui viendront éclore à la surface de mon propre cerveau. Je serai présent pour les recueillir et pour éventuellement te répondre si j'en ai les moyens. Sans doute est-ce moi qui poserai le plus de question. Tu as, j'en suis sûr, des réponses que je n'ai pas. »

Ainsi débute la vie. Ainsi débute cette correspondance entre un père et son enfant à venir…

Et dans les mots d'Alain Cadéo, cette correspondance se fait voyage. Dans cette naissance se trouve l'essentiel, le visage originel, le point de rencontre d'un père avec lui-même. Voyage inversé, jusqu'à retrouver l'innocence calabrienne des premiers hommes, engloutie dans les profondeurs de la nuit des temps.

Petit ludion amphibien, tu flottes depuis le néant dans cette enveloppe du silence. Tu montes et descends au gré des humeurs parfois noires de celle qui te porte… Trois mois. de ce noir anthracite, tu glisses vers l'azur, tu te mets à barboter dans ce ventre-lac. Les courbes d'un ciel rond commencent à se dessiner. Dans ta bulle paradisiaque, chauffée d'un amour infini, tu entames ta correspondance, dans un murmure aquatique, avec celui qui t'aime déjà comme on vénère un demi-dieu, qui a tant à apprendre de toi et tant à t'offrir…

Cinq mois. Six mois. Au bleu océan succèdent alors les teintes des rêveurs et des fous… le vert des grands arbres et celui de l'absinthe, le jaune sulfureux de ton alchimiste de père et de ce vitellus-orpiment dont tu te nourris et tires ton énergie.

« Je t'offre ce qu'il y a de plus riche dans la moelle de ma propre hérédité : un regard et cette ramification nerveuses capables de faire naître un plein soleil au milieu de la nuit ou de planter un arbre dans la mer »

Les mois qui défilent sont couleurs… Ils deviennent musique… Dans ce cocon bienveillant qui se construit autour de toi, le bleu de la mer est devenu corail et, dans ces notes orangées et amniotiques, la correspondance se fait plus audible. Plus débridée aussi. Nautilus à la recherche du Nouveau Monde, tu perçois à présent les limites abyssales de ton habitat. Et dans le silence de la nuit, lorsque Liouma s'est endormie, il t'arrive de te faufiler à travers la mince paroi de ce bocal qui t'abrite. Petit passe-muraille de coton, tu rejoins alors à pas de velours ton paternel au milieu de ses insomnies. C'est là, à travers les hublots de son bureau sous-marin, que vous vous rencontrez le plus souvent…

Après les sons et les couleurs viennent alors les mots… Ils se déposent de-ci de-là, jetés en vrac sur les carnets de ton père, au gré de vos conversations nocturnes… Il est saltimbanque. Il est camelot. Il est passeur de mots et en bon traducteur de l'âme, il ressent toutes les vibrations chaleureuses de la tienne, cette fièvre sanguine dont tu l'irradies, toi qui arrives au terme de ton premier voyage…

Tu vas naître demain… Et aux confins du Monde, dans les neiges pures de l'Himalaya, là où le blanc rassemble toutes les couleurs de l'arc-en-ciel, un coquelicot vient d'éclore.

***

Le Ciel au ventre, c'est une rencontre privilégiée, intimiste et poétique que nous partage Alain Cadéo. Avec ce petit être qui grandit dans le ventre de Martine (Liouma dans son langage de foetus), avec les siens, avec ses colères et ses peurs, avec les grands arbres et les nuages… C'est aussi un retour à la matrice originelle… In Utero Veritas !

J'aime l'écriture d'Alain ! C'est un funambule perché sur un fil d'or, en équilibre instable entre ciel et terre. Il jette ses mots à la volée et il n'appartient qu'à nous de les intercepter en se laissant emporter dans le courant chaud de ses Siroccos.

Petit ludion (devenu grand à présent), merci pour ce touchant voyage !
Commenter  J’apprécie          3212
Les mots me manquent lorsqu'il s'agit de parler d'un ouvrage d'Alain Cadéo...
Les siens sont si beaux, son style tellement incandescent, que mon vocabulaire me semble bien pauvre pour exprimer toute mon admiration et l'émotion qu'elle fait naître en moi.

La naissance...parlons-en puisqu'il en est question.

Quel jeune homme devient-on lorsque, comme Ludovic, on a le privilège de tisser un lien intra-utérin particulier avec un homme comme Alain Cadéo ?
Un homme déjà deux fois père et qui vit pourtant ces neuf mois d'attente avec la fébrilité d'une première fois.
Alors il écrit, parce que les mots sont les seuls à pouvoir abolir la distance, à lui donner l'illusion de voyager en compagnie de son fils dans les limbes diaphanes du ventre maternel.
À la faveur de la nuit, de longs dialogues silencieux parfois illuminés de regards vaporeux s'échangent entre ces deux êtres en devenir, un père...un fils.
"Ni trop loin, ni trop près" car une juste distance est nécessaire au cerveau pour enregistrer ce qu'il prélève autour de lui sans exploser.
Du cyprès ancestral à sa pièce "sous-marin", en passant parfois par des endroits aussi insolites que le fond d'un puits, il laisse s'envoler les rêves, les pensées et les mots qui les tissent jusqu'au creux de l'alambic opaque du ventre maternel à la rencontre de la chair de sa chair.

Quelle belle relation doit exister entre ces deux-là maintenant qu'ils ont pris pied sur terre depuis une vingtaine d'années !
Leur reste-t-il un peu de la magie cosmique qui vibrait entre eux à l'époque ?
Comme Martine doit être heureuse d'avoir vécu une grossesse aussi intense !

Une lecture planante, envoûtante par sa plume magique.
Un livre qu'on ouvre pour le simple plaisir des mots à toute heure du jour ou de la nuit...comme tous ceux d'Alain Cadéo.
Commenter  J’apprécie          355
Des femmes, bien sûr, ont raconté leur grossesse ; et des parents, pères et mères, ont aussi appris, notamment depuis la découverte de l'haptonomie, à communiquer avec le bébé dans le ventre de la mère.
Pourtant, ce que je lis ne peut être comparé à tout cela. Parce qu'Alain Cadéo communiquant avec l'enfant nous raconte les prémisses de l'existence et le mystère de la création, l'ontogenèse venant raconter la phylogenèse.
« Tu es un Lilliputien aussi précis qu'une aiguille bleutée et magnétique me désignant toujours ce nord intense ou ce point pétillant : l'origine du monde. »
Alain Cadéo a des antennes lui permettant de capter l'humain, de sonder l'invisible, de saisir les ondes et les vibrations. Et cela avec une force qui dépasse celle des mots.
« J'ai traversé le noir, le violet, l'indigo, le bleu, le vert et je demeure au seuil du jaune, au seuil de ton sixième mois ».... « Tu es venu me chercher sur les franges mouillées de certaines couleurs et nous avons nagé au coeur d'une palette. J'ai entendu l'éternuement de l'univers répercuté sans fin, pareil à un écho toujours capable de distiller la vie. »
Je lis les phrases qui s'enchaînent et n'en crois pas mes yeux. Comment cela est-il possible ? Comment concevoir qu'un père puisse, deux cents pages durant, communiquer avec le foetus logé dans les entrailles de la vie ?
« Il n'y a aucune raison pour que l'on se taise tous les deux durant des mois … Sans doute est-ce moi qui poserai le plus de questions. Tu as, j'en suis sûr, des réponses que je n'ai pas. ».
Je lis le récit de cette communication entre deux univers aquatiques, celui d'un foetus tambourinant aux parois de sa capsule intra-utérine, et d'un capitaine émergeant de son vaisseau sous-marin.
Et j'ose à peine imaginer cette troublante relation faite de bulles d'eau échangés entre un petit nageur et un naufragé du ciel.
Page après page, l'essentiel est là, cadeau primitif, lumière magnétique, aveuglante de beauté.
Si bien que les mots me manquent pour dire à quel point toute personne un tant soit peu curieuse des mystères de la vie devrait lire ce livre, pour entrevoir ce que nous ne savons plus voir.

Rachel
Commenter  J’apprécie          21

Citations et extraits (11) Voir plus Ajouter une citation
C’est fou ce que l’humain est capable de traverser. Il s’invente des rages de fauve pour terminer aussi léger qu’un colibri. Je finirai même par croire que tout ce cinéma est nécessaire, ça vous décape un tempérament jusqu’à l’os. On y perd tous ces kilos d’orgueil cupidement amassés afin de préserver une certaine idée de soi. On avait même fini à une certaine époque par trouver le mot magique, c’était en plein combat une formule sacrée : « Tu veux une ricorée ? » Inévitablement, tout tombait, c’était la trêve.

De mon côté, dans ce type de guerre, j’avais une grande habitude. Lorsque j’ai connu ta mère, j’étais déjà un vieux mercenaire. J’avais fait 14 avec une brune, mère de ta demi-sœur, 39 avec une blonde, des guérillas avec des maigres, des escarmouches avec des grosses, le franc-tireur avec une madrée, poseur de mines avec une maligne, le mitrailleur avec deux hystériques, le tueur fou avec une ingénue, Hiroshima avec ta mère.

Après, il n’y eut plus rien, le désert. Nous digérions péniblement les longues retombées atomiques de ce dernier conflit.

Ce fut elle, ta mère, qui un jour trouva le meilleur titre pour un bouquin qui raconterait ma vie : Cimetière de femmes.

Et bien nous voilà neufs comme deux adolescents. Tout se cicatrise. On a changé de peau, nous les derniers mutants androgynes on s’est retrouvés aussi intacts qu’une porcelaine sortant du four. Ça teinte bien, ça s’est débarrassé des scories, des bulles et des fêls de cuisson.

Oh, bien sûr ! tout peut repartir, mais je crois que cette fois ce sera sans tambours ni trompettes, on laissera la charge viking à nos fantômes.

Ce sera désormais tout simple et à califourchon sur nos deux rossinantes on se fera de l’amitié. C’est maintenant qu’on s’aime.


(Conversation d’un père à son futur fils)
Commenter  J’apprécie          130
Chacun a la possibilité de s'engouffrer plus ou moins facilement dans un de ces no man's land de la pensée.
Retour au grand silence originel. Là nous soignons nos ailes, en colmatons les brèches. Nous y lissons les immenses voilures sans lesquelles nous vibrerions en vain, cloués au sol comme de gros insectes aux membrures brûlées.
Les échappées sont nécessaires, blanches limbes ovipares. C'est là encore que nous puisons une énergie nouvelle, à l'abri de l'habituelle logique, dans un bain aussi frais que les sources, dans un cycle aussi fort que la montée des sèves.
Nous revenons lavés, tissés, sanglés et renoués de neuf. Les larmes d'hier sont devenues de l'ambre roux, un combustible formidable nous arrachant des mains de la balourdise pour nous lancer vers des courrants d'air chaud.
Commenter  J’apprécie          220
Dans ma vie, je n’ai rien accepté.
C’était plus fort que moi, et toute mon énergie passait à rompre des fantômes qui eurent quelques années le seul mérite d’être neufs. S’en débarrasser fut encore l’affaire de plusieurs siècles. J’en suis sorti bigrement défraîchi, usé jusqu’à la trame.

Ainsi, il y a des gens têtus qui ont besoin d’atteindre le plus extrême dépouillement. Chaque lambeau de leur chair arrachée aura été une souffrance. Puis, il y a l’hébétude. Ils atteignent enfin le squelette. Ce jour-là sans doute commencent-ils à avoir la patience de laisser blanchir leurs os sous cette vraie lumière qu’ils s’obstinaient à ignorer.

Je suis là.
Au bout de la matrice, je me tiens sous un soleil nu de fin d’après-midi. Soleil ayant saigné à blanc le temps d’un de mes rêves. Je suis là.
Je crois même que c’est moi que j’attends. Et c’est une bien étrange rencontre, celle de mon corps usé et celle intacte de l’enfance.
Commenter  J’apprécie          120
On s’est quitté toute la journée mais je devais travailler. Je crois t’avoir déjà parlé plusieurs fois de la très difficile alliance entre l’état souverain d’un regard poétique et le règne despotique de la loi du marché. C’est pour cela qu’à tous les sens du terme je vis comme un pirate. Je fais du troc et c’est un vol inestimable, car, pour un objet bien acheté et bien vendu, j’ai quelquefois des bouts d’éternité, sans compter le bien-être primaire de l’homme ayant trouvé sa part de viande.

Ce soir je suis tranquille, j’ai un peu de paix sonnante et trébuchante dans la poche. De quoi payer mes maigres dettes, de quoi « voir venir » une semaine ou deux. J’ai vendu tout ce qu’il y avait dans mes deux valises.

Tu n’imagineras jamais tout ce que j’ai pu m’offrir depuis que je travaille comme nuages, soleils levants, soleils couchants, rêves sublimes. J’en ai tâté des profondeurs, j’en ai foulé des méridiens, j’en ai vécu des lunes. J’ai vingt-sept fois changé de territoire. J’ai troqué un « Steinway » contre six mois de vie. J’ai vendu une momie d’enfant nain vieille de deux mille ans pour une poignée d’instants sans lendemain. Moi, camelot du monde, j’ai converti en mots de pleins semi-remorques de marchandises venues des quatre coins de la planète.
Commenter  J’apprécie          82
Ainsi certains d’entre nous sur terre sont des acrobates. Ils n’en finissent pas de chaparder avec leurs mains qui battent l’air d’infimes portions de lumière.

Cinglés universels, ils avancent malgré tout, poches bourrées de trésors inutiles. Avec leur infinitésimale récolte de poussières, mosaïstes de basiliques invisibles, ils s’appliquent à reconstituer le rayon initial.

Sur une corde d’or ils trament le profil d’informulables nécessités et naviguent au milieu du mépris, des sarcasmes, de la pitié des bien-pensants.

C’est égal. Ils n’ont que leur sourire et le doute le plus nu et le plus terrifiant pour avancer encore et basculer enfin dans l’absolu d’où tu me viens.

Ce soir je suis saturé d’électrons. Tu me rassures. J’aime le bourdonnement de ta vie, cette base ovale, ronronnement d’un univers se préparant à rompre sa matrice. Spirale en gestation. J’aime ou j’ai fini par aimer cette attente.
Commenter  J’apprécie          50

Video de Alain Cadéo (1) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Alain Cadéo
Mayacumbra : entretien Alain Cadéo et Philippe de Riemaecker
autres livres classés : correspondanceVoir plus
Acheter ce livre sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten


Lecteurs (5) Voir plus



Quiz Voir plus

Quiz - Claude Gueux

En quelle année a été publié " Claude Gueux " ?

1859
1903
1834

14 questions
1059 lecteurs ont répondu
Créer un quiz sur ce livre

{* *}