« Ainsi tu tiens à venir au monde. Bon. C'est ton affaire. Il n'y a aucune raison pour que l'on se taise tous les deux durant des mois. Lorsque tu naîtras ce sera peut-être plus compliqué. Mais là, dans ton silence, avec ton cordon narghilé à portée de la main, là dis-je, dans ton liquide confortable tu peux projeter, balancer des images, bulles qui viendront éclore à la surface de mon propre cerveau. Je serai présent pour les recueillir et pour éventuellement te répondre si j'en ai les moyens. Sans doute est-ce moi qui poserai le plus de question. Tu as, j'en suis sûr, des réponses que je n'ai pas. »
Ainsi débute la vie. Ainsi débute cette correspondance entre un père et son enfant à venir…
Et dans les mots d'
Alain Cadéo, cette correspondance se fait voyage. Dans cette naissance se trouve l'essentiel, le visage originel, le point de rencontre d'un père avec lui-même. Voyage inversé, jusqu'à retrouver l'innocence calabrienne des premiers hommes, engloutie dans les profondeurs de la nuit des temps.
Petit ludion amphibien, tu flottes depuis le néant dans cette enveloppe du silence. Tu montes et descends au gré des humeurs parfois noires de celle qui te porte… Trois mois. de ce noir anthracite, tu glisses vers l'azur, tu te mets à barboter dans ce ventre-lac. Les courbes d'un ciel rond commencent à se dessiner. Dans ta bulle paradisiaque, chauffée d'un amour infini, tu entames ta correspondance, dans un murmure aquatique, avec celui qui t'aime déjà comme on vénère un demi-dieu, qui a tant à apprendre de toi et tant à t'offrir…
Cinq mois. Six mois. Au bleu océan succèdent alors les teintes des rêveurs et des fous… le vert des grands arbres et celui de l'absinthe, le jaune sulfureux de ton alchimiste de père et de ce vitellus-orpiment dont tu te nourris et tires ton énergie.
« Je t'offre ce qu'il y a de plus riche dans la moelle de ma propre hérédité : un regard et cette ramification nerveuses capables de faire naître un plein soleil au milieu de la nuit ou de planter un arbre dans la mer »
Les mois qui défilent sont couleurs… Ils deviennent musique… Dans ce cocon bienveillant qui se construit autour de toi, le bleu de la mer est devenu corail et, dans ces notes orangées et amniotiques, la correspondance se fait plus audible. Plus débridée aussi. Nautilus à la recherche du Nouveau Monde, tu perçois à présent les limites abyssales de ton habitat. Et dans le silence de la nuit, lorsque Liouma s'est endormie, il t'arrive de te faufiler à travers la mince paroi de ce bocal qui t'abrite. Petit passe-muraille de coton, tu rejoins alors à pas de velours ton paternel au milieu de ses insomnies. C'est là, à travers les hublots de son bureau sous-marin, que vous vous rencontrez le plus souvent…
Après les sons et les couleurs viennent alors les mots… Ils se déposent de-ci de-là, jetés en vrac sur les carnets de ton père, au gré de vos conversations nocturnes… Il est saltimbanque. Il est camelot. Il est passeur de mots et en bon traducteur de l'âme, il ressent toutes les vibrations chaleureuses de la tienne, cette fièvre sanguine dont tu l'irradies, toi qui arrives au terme de ton premier voyage…
Tu vas naître demain… Et aux confins du Monde, dans les neiges pures de l'Himalaya, là où le blanc rassemble toutes les couleurs de l'arc-en-ciel, un coquelicot vient d'éclore.
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Le Ciel au ventre, c'est une rencontre privilégiée, intimiste et poétique que nous partage
Alain Cadéo. Avec ce petit être qui grandit dans le ventre de Martine (Liouma dans son langage de foetus), avec les siens, avec ses colères et ses peurs, avec les grands arbres et les nuages… C'est aussi un retour à la matrice originelle… In Utero Veritas !
J'aime l'écriture d'Alain ! C'est un funambule perché sur un fil d'or, en équilibre instable entre ciel et terre. Il jette ses mots à la volée et il n'appartient qu'à nous de les intercepter en se laissant emporter dans le courant chaud de ses Siroccos.
Petit ludion (devenu grand à présent), merci pour ce touchant voyage !