Que dire de cet ouvrage ? Même avant de l'avoir terminé, je me suis rejeté à l'assaut de ses premières pages. Tel un guerrier dont l'orgueil déchiré l'oblige à retourner à un combat perdu d'avance, je n'ai pu m'empêcher de recommencer cet ouvrage. Troublé par ces mots, je ne pouvais demeurer vivant sans en comprendre davantage le sens. Et encore aujourd'hui, le sens profond du livre m'échappe. J'ai le sentiment de ne pas en avoir finit avec ce livre. Cette sensation m'est familière avec certaines oeuvre d'art, devant lesquelles il m'est impossible d'être rassasié, devant lesquelles je ne peux dire: "j'ai saisi", ou "j'en ai assez". Chaque fois que je regarde ces oeuvre, je sens que quelque chose m'échappe. Je les quittes quelques minutes, puis, obsédé, je reviens les contempler. Ce livre est du même ordre : il est inépuisable. Sous ces mots, je vais uniquement vous donner un aperçu bref de l'absurde Camusien car un approfondissement se traduirait en un échec tant il est profond. Puis, je vous parlerai de mon ressenti personnel au contact des phrases de ce chef-d'oeuvre.
Camus aborde en effet la tragédie de l'homme, qui consiste en l'incapacité de sa raison à cohabiter avec le monde. le monde n'obéit pas à la rationalité humaine. C'est ici que nait l'absurde. Car "l'absurde naît de la confrontation de l'appel humain avec le silence déraisonnable du monde." Très concrètement, il est absurde pour un homme de vivre tout en sachant qu'il mourra. La raison ne convient pas au monde car "comprendre le monde pour un homme, c'est le réduire à l'humain, le marquer de son sceau."
Confronté à cette alarmante situation, l'homme envisage des solutions. L'une d'entre elle est le suicide. En effet, si l'absurde provient de la confrontation entre la raison humaine et le monde, supprimer un des comparé revient à supprimer le comparant, donc le problème. Si la raison n'est plus, l'absurde n'est plus car il n'y a plus de confrontation entre la raison et le monde. Cependant, selon Camus, le suicide ne serait en aucun cas une suite
logique à cette équation car il reviendrait à annuler sa résolution, et non à la résoudre. Si j'essaye de trouver la somme de 1 et de 1, et que je supprime un des deux chiffres, je ne peux prétendre avoir trouvé la solution. Aussi, accepter le suicide revient à accepter l'absurde en se précipitant vers lui. Si je suis confronté à l'absurde car, atteint d'une maladie mortelle, ma raison peine à trouver un sens à ma vie; alors, me suicider revient à me précipiter vers l'absurde.
La solution s'exprime donc dans la révolte lucide de l'homme. La suite
logique à l'absurde que l'homme doit emprunter est une révolte consciente contre ce mal. Car, "pour un homme sans oeillères, il n'est pas de plus beau spectacle que celui de l'intelligence aux prises avec une réalité qui le dépasse." En continuant à vivre, mais avec une certaine distance vis à vis du monde, l'homme ne se résigne pas à l'absurde : il s'adapte. Certes, ce n'est pas une solution qui apporte un bonheur aussi important que si l'absurde n'existait pas, mais c'est la meilleure possible. Camus "transforme en règle de vie ce qui était invitation à la mort" car il peut "se sentir désormais assez étranger à sa propre vie pour l'accroitre et la parcourir sans la myopie de l'amant". La révolte Camusienne est même meilleure que l'ignorance à l'absurde. Tel l'habitus de
Pierre Bourdieu, l'âme consciente de l'absurde saura plus heureuse et plus libre que l'ignorante. Connaître ses limites, c'est mieux vivre avec. Connaître la structure structurée dans laquelle je vis, c'est pouvoir mieux la rendre structurante. Une révolte consciente face à l'absurde est donc synonyme de liberté.
Vous l'aurez compris, la partie concernant la révolte est plus floue, certes, mais elle est vraiment intéressante. Pour les personnes familières à la philosophie, Camus utilise la dialectique Hegelienne. J'expose, je m'oppose, je dépasse. J'expose, ma raison ne correspond pas au monde, je choisis de m'opposer (suicide), je dépasse l'opposition et je me révolte...
Si je discutais avec mes amis, j'aurais dis de ce livre que c'est un "banger". J'ai rarement ressenti de telles sensation avec un livre. Il est d'une richesse inouïe et a un champ d'action passionnément large. Camus ne pond pas juste un
essai sur l'absurde, il illustre ses dires chez des auteurs, avec des exemples concrets, notamment le fameux Mythe de Sisyphe. Cependant, lors de quelques passages, la pensée de Camus m'échappe totalement. Je n'arrive pas à saisir ce qu'il veut dire et je demeure dans le flou. Je pense que cela provient d'une incompatibilité de références culturelles. La pensée de Camus est très riche et ses phrases sont très précises et intelligente. Dans quasiment chaque chapitre, il est possible de trouver des citations à poster sur instagram incrustées sur une photo de coucher de soleil... Ca fait réfléchir... Sé profond...
Je vous conseille profondément cet ouvrage, ce classique, qui n'est pas aussi abrupte que ça pour ce qu'il contient (
Kant, je te vois).
Luc