L'histoire commence en mai 1834. Johann August Suter a 31 ans. le natif du Grand Duché de Bade, membre d'une riche famille commerçante, est victime d'une faillite et abandonne femme et enfants pour refaire sa vie en Amérique. Il embarque à bord d'un navire au nom prédestiné de "l'Espérance" pour traverser l'Atlantique et poser le pied à New-York après un mois de mer.
Le jeune homme va rester deux ans à New-York où il exerce plusieurs métiers et mange de la vache enragée mais, doté d'un solide esprit d'aventurier et d'un formidable sens des affaires, il part pour Saint Louis dans le Missouri, avant de pousser plus loin vers l'ouest et la Californie, en compagnie d'un petit groupe de pionniers qui s'engage sur une longue piste éprouvante et dangereuse où les difficultés techniques et climatiques sont nombreuses et où les attaques d'indiens chasseurs de scalps terriblement meurtrières.
Il arrive à Yerba Buena (aujourd'hui San Francisco) le 1er juillet 1839 après un dernier détour par Hawaï et l'Alaska, cinq ans après son départ d'Europe. La Californie, région sauvage et vierge, appartient alors au Mexique et Suter obtient du gouvernement d'Amérique Centrale une concession de 20000 hectares à laquelle il donne le nom de Nouvelle Helvétie, connue aussi sous le nom de Fort Sutter.
En quelques années, l'émigrant devient le maître d'une immense exploitation agricole, propriétaire de milliers de têtes de bétail, porcs, chevaux, moutons, employant des centaines de travailleurs agricoles ou d'artisans dans l'atelier de tissage, la distillerie, le moulin ou la tannerie qui font partie du domaine. Sutter n'a pas ménagé sa peine et ses efforts pour devenir un homme immensément riche et il a su manoeuvré auprès des gouvernements mexicain et américain qui se disputent la Californie pour obtenir de l'un comme de l'autre toujours plus de terres et d'espaces.
C'est la construction d'une scierie en janvier 1848 sur l'American River qui va précipiter la déchéance du pionnier helveto-mexicano-américain lorsque l'un de ses employés découvre dans la rivière une pépite d'or. Bien qu'il ait essayé de tenir la chose secrète, Sutter ne peut empêcher la nouvelle de se répandre partout à travers les Etats-Unis. En quelques mois, des milliers de chercheurs d'or débarquent sur ses terres. Dans la frénésie qui s'emparent des hommes, les bêtes et les récoltes sont abandonnées et les titres de propriété de Sutter contestés. La venue de sa femme et de ses enfants à la mitan du siècle n'arrange rien. Il est complètement ruiné et ses nombreuses tentatives de faire valoir ses droits à Washington se soldent toutes par des échecs. L'homme qui avait fait fortune meurt en 1880 dans la misère à cause de l'or découvert sur son domaine.
Blaise Cendrars, de son vrai nom Frédéric-Louis Sauser, a écrit "l'or" en 1925. Cette courte biographie romancée fait suite à la publication de recueils de poésie qui avaient lancé sa carrière littéraire et le transforme en romancier de l'aventure, ce que confirme un an plus tard la publication de "
Moravagine". D'ailleurs, avant d'écrire, le jeune Sauser a mené une vie de bourlingueur qui a certainement permis à l'auteur de savoir mélanger avec talent imaginaire et réalité.
Avec "l'or" qui connaitra un formidable succès, l'auteur dresse un paradoxe saisissant entre la découverte du métal précieux synonyme de richesse et la ruine que cette découverte entraîne au final et explore la folie qu'elle engendre chez les hommes. Sur ce dernier point, il m'apparait que le roman de
B. Traven "
Le Trésor de la Sierra Madre" va plus au fond de l'analyse et des comportements humains qui se trouvent exacerbés lors de tels événements. Malgré ce bémol, "l'or" reste une oeuvre d'une grande richesse (si l'on peut utiliser ce terme pour évoquer une ruine totale) fort agréable à lire même si, d'après les biographes de John Alexander Sutter qui ont poussé leurs études du pionnier millionnaire plus loin que
Cendrars, elle comporte de nombreuses erreurs historiques. On passera dessus pour se laisser emporter par le style précis et direct de l'écrivain à
la main coupée.