La vie et l'oeuvre d'un haut-fonctionnaire de la Monarchie de Juillet puis du Second Empire : à première vue, le sujet de ce livre n'est pas le plus exaltant qui soit ! Mais tandis que certains historiens produisent des pages arides sur des événements pourtant fascinants,
Nicolas Chaudun parvient ici à susciter l'intérêt pour une période historique souvent dénigrée, en traçant le portrait d'un personnage qui à aucun moment n'apparaît sympathique... Belle performance de l'auteur !
Les années d'apprentissage d'Haussmann dans d'obscures sous-préfectures de Gironde ou de Haute-Loire sont bien sûr évoquées, toutefois cette biographie s'applique surtout à détailler son rôle principal, celui qui a fait passer son nom à la postérité : préfet de la Seine, autrement dit maître de Paris. Il est bon de rappeler qu'Haussmann ne s'est pas contenté d'aligner de belles façades le long des boulevards parisiens, mais qu'il fut à la tête d'une réorganisation complète de la capitale, pensée notamment en termes d'hygiène (fourniture en eau pure, évacuation des déchets), de sécurité (réhabilitation des quartiers "coupe-gorge"), d'optimisation des flux (percement de grandes artères, meilleure accessibilité des gares)... En somme, il s'agissait alors de passer d'une cité médiévale à une métropole moderne.
L'auteur ne fait partie ni des détracteurs, ni des laudateurs d'Haussmann et de son grand oeuvre. S'il met en évidence les indiscutables réussites du préfet de la Seine, il ne cherche pas pour autant à dissimuler le fait que la nécessaire modernisation de Paris fut réalisée au prix du sacrifice de certains monuments considérés comme mineurs, du rabotage de parcs et de jardins, d'opérations financières parfois équivoques, d'expropriations et du rejet des classes laborieuses vers la périphérie, préfiguration de nos "banlieues ghettos"...
En plus de cette appréciable objectivité à l'égard de son sujet, l'auteur a le mérite de remettre en cause l'idée d'un homme providentiel, d'un visionnaire qui sur un coup de génie (ou de folie?) aurait soudain décidé de donner un nouveau visage à la capitale. En réalité, les transformations que connut Paris au cours du Second Empire étaient déjà en germe depuis plusieurs décennies ; cette révolution urbaine était aussi indispensable qu'inévitable. Pour passer de l'idée à la réalisation, il ne manquait qu'un administrateur efficace, un fidèle serviteur de l'État capable de chapeauter une entreprise aussi titanesque. Ce fut Haussmann... Mais avec un autre homme tout aussi compétent à sa place, on peut penser que l'histoire aurait été plus ou moins la même.
Au final, une biographie aussi instructive qu'agréable à lire, qui donne envie de poursuivre avec cet auteur et de découvrir le livre qu'il a consacré aux derniers jours du Second Empire, lui aussi publié chez
Actes Sud.