Extrait 2
Et quand tout, tout se touche de tellement trop près, quand
tout, tout est en nickel ordre, impeccable pas une poussière
à souffleter, pas un mot à redire, lorsque c'est la perfection
et l'harmonie et le calme tout est calme et l'excellence tout
est parfait, mirobolant, mirifique, où est-elle la place pour
être chimérique ? comment se faufiler pour passer dans les
imaginations, pour s'avancer dans les explorations vers les
trouvailles ? comment peut-on ne serait-ce que tendre les
yeux en avant afin que quelques mots nouveaux puissent
venir et les suivre ? où est-il l'espace de l'instable ? où est-il
le lieu de la chute, celui des pertes et des déficits ? où est-
elle la contrée de l'affamé ? où se tient-il le manque ? où
se tient-elle, en quelle terre se terre-t-elle la solitude ?
quand manquerons-nous à nouveau de mots ?
Extrait 4
Et maintenant cette évidence, cette évidente évidence qui arrive,
tombe, monte maintenant, que maintenant, mais maintenant, ce
n'est pas passer la montagne qu'il faut, c'est entrer dans la monta-
gne qui est nécessaire, y aller en taupe avisée et obstinée, autant
que possible, en coureur de fond, en boulet de canon que ni la fa-
tigue ni le découragement ni le doute ne guettent, être le vivant
avisé, ne pas baisser la tête, ne pas la rentrer dans les épaules, se
présenter droit, bras écartés, poitrine exposée, tous les sens ou-
verts, tous les désirs offerts, être vif sur le chemin vif ; être vif puis-
que c'est cela qui rend le chemin vif, qui permet au chemin d'ac-
céder aux vœux, de sortir de la montagne et d'entrer dans l'ébloui-
ssement, l'écarquillement, même si en nous fatigue, même si corps
usé, cœur rapiécé
Extrait 3
Ne pas se retenir, ne plus, ne pas, plus se tenir ni aux branches
ni à soi, ni au temps ni à l'estime de soi, et se laisser aller, autant
que possible, et se perdre les mains dans nos alentours et même
dans les circonférences lointaines, et s'éloigner dans nos vagues
idées et dans nos confuses pensées et dans notre boussole débou-
ssolée, chanceler là puis se désarçonner, oui, et être celui qui tom-
be, se perd, pour commencer être celui qui se perd de vue et se
perd d'ouïe et se perd d'affection, oui, ne plus se côtoyer, ne plus
se parler et s'entendre affirmer, ne plus, et peut-être qu'une autre
voix en soi, et sans doute qu'un nouvel événement, juste un seul
élan inconnu de nos lignes de vie, de nos empreintes, peut-être,
c'est ça, ainsi, et un jour l'autre saluer chapeau bas comme il se
doit un autre que soi en soi
Extrait 1
Quant à l'eau froide, on ne négligera jamais que l'eau froide a
du bon et qu'elle est parfois préférable au gué les pieds au sec,
c'est qu'elle est une solution pour passer à autre chose, pour
faire passer les idées à autre chose, pour se les changer en se
les remettant à l'endroit, à l'endroit même où elles ont de bien
belles bien bonnes idées, où elles sont de bien belles bien bon-
nes idées qui nous remettent à l'endroit, plus cul par dessus tête
ou tête dans le sable ou tête dans le corbillard, c'est pourquoi on
ne négligera pas l'eau froide, tout au fond il y a des herbes, ça
nous met de la souplesse dans les yeux jusque dans les méninges,
et puis l'eau froide est douce et tendre, et alors là plonge ! nage !
nage ! et songe ! songe dans les mousses où zéro frousse fin de vie
que nenni !
RÉMI CHECCHETTO - PARTIR, ARRIVER, NAVIGUER ET AUTRES CONSTRUCTIONS PAS FATALEMENT INTEMPESTIVES
Lecture par l'auteur & Louis Sclavis (clarinette & saxophone)
Le départ, l'exode, la faim, le désir, une humanité depuis ses origines, une place où être, une nouvelle langue à apprendre, la vie à continuer, à construire toujours...
Partir, naviguer, arriver et autres constructions pas fatalement intempestives évoque les longues migrations de l'humanité poussées par la peur, la guerre mais aussi la curiosité, le désir de voir ailleurs dans le mouvement même de la civilisation.
À lire – Rémi Checchetto, Partir, arriver, naviguer et autres constructions pas fatalement intempestives, éd. Lanskine, 2020.
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