AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
4,06

sur 334 notes
5
15 avis
4
9 avis
3
6 avis
2
0 avis
1
0 avis
« La vraie vie est une vie vécue et recréée et repensée par l'Ecriture » Marcel Proust

« Avec cette écriture à la manière de Proust, tout d'un coup, je sens que je peux recréer toute cette vie perdue et recommencé à vivre » François Cheng.


Né de l'imaginaire de l'auteur (je suppose), Tianyi, cet ami peintre dont François Cheng nous relate l'histoire, possède une petite part intime de François. de même, François est aussi à l'image de Tianyi bien qu'à un instant de la narration, l'auteur évoque une divergence de chemin, de destinée.Tout en lisant cette fiction, j'avais le sentiment de découvrir la personnalité de François. L'auteur se dévoile dans ce récit au travers des réflexions philosophiques de Tianyi, de ses interrogations face à l'existence, de sa quête spirituelle, hanté par la question du mal. J'ai ressenti l'exilé dans les profondeurs du récit, un amour de la Chine bien qu'il soit à même de raconter son pays sans omettre les atrocités qui s'y sont déroulées. L'écriture enchanteresse, poétique, sensuelle ne peut masquer un chant perceptible au lointain, une mélopée venue du plus profond de l'âme de François. Il tient à coeur de nous faire découvrir son pays. Les mémoires de son ami Tianyi relatent les pérégrinations à travers cette immensité chinoise marquée par les années de guerre civile entrecoupées de huit ans de guerre sino-japonaise pour évoquer en dernier la terrible Révolution Culturelle. Un demi siècle d'histoire défile sous nos yeux où la grande et la petite histoire s'interpénètrent mutuellement, se répondent, et où la terre chinoise imbibée de larmes, de souffrance, s'apparente à un champ de bataille où toute vérité est violée et toute valeur humaine piétinée. Et malgré cela, tout au long de ses cinq mille ans d'histoire, le peuple chinois n'a jamais renoncé à son instinct de survie totalement habité par l'esprit de Confucius ! le parcours de Tianyi que je qualifierai "d'errance" est un véritable enseignement pour moi, occidentale.

« L'univers tyrannique est plein de fureurs, de frayeurs et de failles. L'humain profite de la moindre brèche laissée par l'inhumain pour germer et croître » page 338.

On y retrouve l'Amante sous les traits de Yuméi, l'amitié sous les traits de Haolang. Cette relation à trois créera des liens inextricables et comme dans « l'Eternité n'est pas de trop », l'Amour est passion, absolu, mystique, renoncement. Et le nombre Trois ici prend tout son sens symbolique : conciliateur des oppositions nécessaires et fécondes, le Nombre 3 ramène à l'Unité.

« Me crois-tu ? Un jour tu me croiras. Tu es celui que j'aime le plus au monde. Tu es mon innocence, tu es mon rêve. Maintes fois dans ma nuit, j'ai rêvé de toi, comme à une éternelle enfance. Je suis ta soeur, je suis ton amante. Mais dans cette vie, nous ne seront pas un couple ». Page 185

Parue en 1998, ce livre a reçu le Prix Femina. Cette oeuvre est remarquable, riche de sens cachés, fascinante, je pense la relire. Mais ne vous y trompez pas, si la plume est ensorcelante, poétique, ce récit passionnant est cruel, notamment, dans sa troisième partie où rien n'est épargné au lecteur mais tout doit être DIT.

« En attendant, il suffit au témoin qui n'a plus rien à perdre, toutes larmes ravalées, de ne pas lâcher la plume, de ne pas interrompre le cours du fleuve » - « le mal se nicherait-il au coeur de la Beauté »
Commenter  J’apprécie          7224
Très beau roman, ou se mêlent amour et amitié. Ce texte très fort nous fait faire une incursion dans la civilisation chinoise du 20 ème siècle. On y découvre notamment la vie des camps de rééducation construits au moment de la révolution culturelle. Malgré des descriptions parfois très dures et bouleversantes on retrouve la belle plume poétique de François Cheng. Un livre qui a bien mérité son Prix Femina.
Lien : http://araucaria.20six.fr
Commenter  J’apprécie          690
Je suis rarement en accord avec les choix de palmes d'or du festival de Cannes, de Césars ou d'Oscar, et guère plus avec les Goncourts ou les Feminas. Dans le cas de François Chang, je fais une exception.

A bien des égards, la méconnaissance qu'ont les Français de la Chine est plus qu'inquiétante. Ignorer tout d'un pays qui pèse un cinquième de l'humanité et domine son économie, c'est la taupe ignorant le tunnelier ! Surtout si l'on considère à quelle point l'histoire en question est unique. Quand on constate le nombre de gens n'ayant jamais entendu parler de la Révolution Culturelle ou du Grand Bond en Avant, à qui des slogans comme « la religion est l'opium du peuple » ou des mots comme « dazibao » ne disent rien, on approche du paniquant.

C'est pourquoi ‘Le dit de Tianyi' est peut-être ce qui a été écrit de plus important en France dans le dernier quart du XXème siècle. Au-delà de la simplicité et de la beauté de son histoire d'amour et d'amitié, on y découvre la vie de la paysannerie chinoise traditionnelle, l'anarchie de la période pré-communiste, la misère et le banditisme omniprésent. Plus tard la dictature omniprésente, omnisciente ; la folie totale du Grand Bond en avant, et ses vingt à quarante millions de morts ; le déferlement de violence hallucinant de la Révolution culturelle… Et l'aveuglement d'un certain nombre de Français, persuadés que la Chine était bien le paradis communiste que leur décrivait ‘L'Humanité'.

La plongée dans les camps laogai, ou « camps de rééducation par le travail » est également saisissante. On l'ignore aussi, mais c'est là que disparurent une bonne partie des 200 000 moines qui vivaient au Tibet avant l'invasion chinoise, ainsi probablement que quelques minorités qui ne rentraient pas dans la liste des 56 groupes officiels. Et aujourd'hui, un bon paquet d'Ouïghours. Chaque peuple et chaque pays a ses squelettes dans les placards ; dans le cas de la Chine, ils sont à la mesure de son histoire.
Commenter  J’apprécie          502
Le « Dit de Tian-yi est un livre à part.
Écrit en français, il contient toute la délicatesse, la subtilité de la poésie chinoise que l'on perçoit dans les descriptions nuancées de la nature.
Elles pourront apparaître redondantes ou trop denses pour certains mais elles témoignent d'une approche différente où l'être humain se confond intensément dans les nuages, la brume, les sentiers, les montagnes.
C'est un livre de rencontres sur lesquelles l'auteur disserte : sa plume devient pinceau et la peinture des relations entre parents d'une même famille, entre homme et femme, entre amis, entre artistes est parfaitement exécutée, toutes les nuances que peuvent prendre ces échanges intenses sont rendues dans leur moindre recoin.
C'est le livre d'un pays sur fond de guerre sino-japonaise puis de révolution culturelle, c'est un pays meurtri et meurtrissant sa population dont le chant traverse les générations et vient parfois se briser dans l'incompréhension extrême-occidentale.
C'est la description d'un chinois venu en France se former à la peinture d'autres maîtres, racontant ses impressions et perceptions devant les grands peintres de l'Europe.
C'est un homme à l'écoute intérieure perpétuelle, en recherches insatiables qui aboutiront à des rendez-vous manqués, en amour, en peinture et en politique.
Car ce livre est politique puisque tout acte, tout désir est lié et relié au monde qui entoure l'homme qui se débat dans les rets d'un système tortionnaire qui refuse à l'individu de s'exprimer.
Ce n'est pas un livre qui se donne facilement tant il est sinueux aussi bien dans l'écriture que dans le personnage.
Il y a des passages qui fouettent et d'autres qui arrachent.
Homme, artiste, amoureux : un seul être, une multiplicité de vies vécues, de vies entrevues, d'allers et de retours.
Nous sommes dans la pure tragédie, la vraie, pas question de théâtre. L'homme face à un destin dramatique auquel il ne peut échapper qu'en le racontant.

Ce livre a reçu le prix Fémina en 1998.
Commenter  J’apprécie          460


Je ne connaissais de François Cheng que le merveilleux poète, dont j'aime tant la sérénité, et dont je partage le sentiment, très taoïste, de l'unicité de l'Univers, des liens qui relient tout ce qui le constitue, objets inanimés et êtres vivants.

Une de mes proches m'a prêté ce livre qu'elle considère comme un chef-d'oeuvre.

Je sors de la lecture de ce dernier, à la fois bouleversé et émerveillé, avec un sentiment de plénitude incroyable.
Est-ce cela un chef-d'oeuvre littéraire? Un livre aux multiples facettes, qui vous emmène dans de multiples directions, qui vous inspire une infinité de réflexions, de sensations, qui vous fait voir l'être humain dans ce qu'il a de plus abject et dans ce qu'il a de plus beau, qui vous fait comprendre que, sans ces deux dimensions que sont l'Art et l'Amour, la vie ne vaut pas la peine d'être vécue.
En tout cas, le dit de Tianyi, c'est tout cela.

Dans sa préface, François Cheng nous explique qu'il a connu Tianyi alors que celui-ci était à Paris au début des années 1950, et qu'il le retrouva bien plus tard, suite à une lettre que ce dernier lui avait écrite en 1982, enfermé en Chine dans un asile. Cette rencontre lui permit de recevoir, de la part de Tianyi, une pile considérable de feuillets, et surtout d'écouter et de noter, durant de nombreux jours, le récit, souvent décousu, de son extraordinaire vie. Revenu en France, et après une longue période d'une grave maladie, il entreprend d'en construire un récit en français.
Je ne peux m'empêcher de citer la fin de cette préface, un paragraphe admirable:
« Avant que tout ne soit perdu, avant que le siècle ne se termine (le livre est publié en 1998), quelqu'un, du fond de l'insondable argile, a tout de même réussi, par la seule vertu de la parole, à faire don des trésors amassés le long d'une vie «emplie de fureurs et de saveurs ».

C'est donc le récit d'une vie, recréé par le miracle de l'écriture de François Cheng, un récit poignant magnifié par une vision philosophique et poétique du monde.

Le récit est impeccablement construit en trois parties:

- d'abord « les années d'apprentissage », enfance, avec son lot de douleurs (mort de la petite soeur, mort du père), de tracas familiaux, mais aussi de joies, telle cette merveilleuse ascension du mont Lu avec son père, puis adolescence, éveil de sa vocation de peintre et surtout la découverte foudroyante à la fois de l'amour et l'amitié, par la rencontre de Yumei, « l'Amante » et de Huolang, « l'Ami ».
- et puis, le séjour à Paris juste après la deuxième guerre mondiale, Tianyi ayant bénéficié d'une bourse pour étudier la peinture en France, la rencontre de « l'art occidental », et l'amour de Véronique, la musicienne.
- et enfin, le retour précipité en Chine, suite à l'annonce par Yumei de la mort de Haolang, information qui se révélera plus tard comme erronée. Et l' interminable suite de souffrances liées au sort des intellectuels dans la Chine communiste ainsi qu'au suicide de Yumei. Mais les retrouvailles avec l'Ami, Haolang, dans un camp de « travail » en Sibérie., jusqu'à une fin tragique.

Mais surtout, le récit est, par delà les moments de souffrance et de cruauté insoutenables, d'une merveilleuse poésie et d'une intense profondeur psychologique et philosophique.

Dès le début, les descriptions de la nature, notamment des nuages, sont des merveilles. Tout au long de la narration, et même dans les conditions extrêmes de la Sibérie, le lecteur est transporté par la beauté de la nature: êtres vivants, arbres, rochers, ciels, par le rythme des jours et des saisons.

Et puis, l'analyse du comportement des êtres humains est d'une extraordinaire acuité, qu'il s'agisse des pauvres ou des riches, des compagnons d'infortune dans les camps, des subalternes ou du « Chef » (ainsi est qualifié Mao Tse-Toung par Tianyi), et même des parisiens qui prétendent tout connaître de la Chine. Toutes et tous, en quelques phrases, sont ramenés à ce qui les anime, à leurs moteurs existentiels, parfois de façon impitoyable, souvent avec une grande empathie.

Et enfin, les réflexions sur l'amour, l'amitié, la vie et la mort, l'Art, l'Univers, les êtres animés et inanimés, le temps, sont innombrables et si profondes, au point que, comme tous les grands livres, (ainsi en est il par exemple de A la Recherche du Temps perdu ou de Guerre et Paix, des romans de Kundera, de ceux de Woolf, …) ce livre vous invite au questionnement sur notre vie, sur la vie des humains, sur notre rapport aux autres et au monde. Et donc, un livre qui vous semble important à relire et relire.

Et il y aurait tant d'autres choses à dire sur ce livre, par exemple sur ce qu'il dit de la poésie chinoise, sur l'analyse des peintres européens, etc..
Une incroyable richesse de « trésors amassés » comme l'écrit l'auteur dans sa préface.


Une petite digression pour finir.

L'Académie Française, créée il y a bien longtemps par le terrible Cardinal de Richelieu, a souvent été critiquée pour son passéisme, son immobilisme, sa misogynie. C'est vrai qu'on n'y trouve pas beaucoup de femmes, alors que tant parmi celles-ci l'auraient mérité ou le méritent.
Mais, quand même, on peut se réjouir, dans le contexte ambiant, qu'elle ait accueilli bien des « étrangers » et de tous horizons, qui font honneur à notre langue et nous ouvrent d'autres horizons, parmi lesquels il y a justement le chinois François Cheng aux côtés (par ordre alphabétique) du belge Antoine Compagnon, du britannique Michael Edwards, de l'haïtien Dany Laferrière, du libanais Amin Maalouf, du russe Andreï Makine, du (controversé) péruvien Mario Vargas Llosa, et de l'italien Maurizio Serra.
En ce qui concerne François Cheng, je trouve qu'il nous fait comprendre, entre autres, la vision du monde de la philosophie chinoise et ce qu'elle peut apporter aux matérialistes occidentaux que nous sommes, ne serait-ce qu'en ce qui concerne notre rapport à la nature. Malheureusement, on peut se dire que le totalitarisme dans lequel vit la Chine a anéanti ces valeurs. Renaîtront-elles un jour? Ce serait bien pour notre humanité toute entière.



Commenter  J’apprécie          388
L'auteur nous relate la vie du peintre Tianyi, de son plus jeune âge à sa mort. Très vite, Tianyi comprend qu'il vivra sa vie dans le corps d'un autre. Son âme l'a quitté.
Très jeune, il est marqué par la disparition de sa petite soeur. Ses parents décident de partir vivre à la campagne mais déjà, le papa présente des problèmes respiratoires et décède plus tard. Tianyi et sa mère rejoignent leur famille, la maison des oncles où il rencontre Yumei qu'il surnomme l'Amante. Il est fasciné par elle. Tianyi doit fréquenter l'enseignement public vu les moyens restreints de sa maman. Il rencontre Haolang qui sera l'ami de toujours. Avec Yumei, ils vont former un trio d'inséparables mais qui se perdront de vue un certain temps pour des raisons amoureuses.
Difficile de résumer ce livre tellement riche. La vie vécue (ou plutôt subie) par les Chinois pendant ces années où l'Empereur fait subir sa loi, est rude et injuste. En tant que lecteur, on fait le grand écart entre la gentillesse des Chinois, les moments paisibles dans une magnifique campagne boisée ou le long d'un fleuve et le moment où Mao vient au pouvoir. Période terrible, période de dénonciation, de méfiance, de violence,… L'horreur de ces camps, les comportements inhumains de jeunes Maoïstes, autant de passages émotionnellement éprouvants. Comment peut-on s'habituer à cette barbarie ?
Mais malgré tous les atouts de ce livre (une histoire personnelle au sein de la grande Histoire de la Chine, la poésie de l'écriture, le voyage au sein des campagnes vraiment bien décrites,…), je n'ai pas réussi à complètement m'immerger dans ce livre et me suis parfois ennuyée. Pourquoi ? Je ne le sais pas. La seule chose qui m'a réellement irritée, c'est la résignation de Tianyi. Il accepte tout comme une fatalité. Il se résigne, se sacrifie,…
En bref, ce livre raconte l'histoire de la Chine, l'histoire d'un homme et enfin, l'histoire d'une belle amitié entre le trio formé par Yumei, Haolang et Tianyi. Belle lecture !
Commenter  J’apprécie          361
Le Dit de Tianyi, roman gratifié du prix Femina en 1998, est l'oeuvre de François Cheng, poète, écrivain et calligraphe né en Chine en 1929, arrivé en France en 1949, naturalisé français en 1971, aujourd'hui membre de l'Académie Française. C'est par un ami, fidèle lecteur de mes chroniques, que j'ai été amené à m'intéresser à ses écrits.

Le personnage principal du roman, Tianyi, est un double de l'auteur. Comme lui, il est né en Chine, à proximité du mont Lu, un site renommé pour ses extraordinaires paysages escarpés où les brumes restent suspendues (Allez voir des photos sur Internet !). Comme lui, son enfance a souffert de la guerre civile entre nationalistes et communistes, puis d'une guerre d'expansion effroyable menée par le Japon Impérial jusqu'à son anéantissement en 1945.

Comme François Cheng, Tianyi se découvre une âme d'artiste. C'est dans la peinture qu'il exprime son talent, en premier lieu dans la calligraphie, un art pictural majeur dans un pays comme la Chine, dépositaire d'une civilisation millénaire fondée sur les signes.

Comme son créateur encore, Tianyi s'installe à Paris après la guerre. Mais alors que c'est pour fuir une guerre civile meurtrière que François Cheng et sa famille s'expatrient, c'est pour guérir un chagrin d'amour – sur lequel je reviendrai – et grâce à l'octroi d'une bourse, que Tianyi vient étudier la peinture européenne et la confronter à celle de son pays d'origine. Des motivations différentes entre l'auteur et son personnage, mais probablement le même regard désenchanté sur la grisaille du ciel et des immeubles de Paris, la même prise de conscience brutale de leur singularité physique d'asiatique, et le même ahurissement lors de la rencontre de beaux esprits parisiens prétendant connaître mieux qu'eux les traditions chinoises.

Tianyi ira jusqu'à Amsterdam et Florence pour approfondir sa connaissance de la peinture européenne et en découvrir les grands maîtres classiques. A Paris, il nouera une relation intime avec une musicienne française, Véronique, qui l'inspirera et facilitera son intégration.

A la différence de Cheng qui reste en France où il mènera le parcours que l'on sait, Tianyi repartira en Chine à la recherche de son grand amour perdu. Un Amour avec un grand A, un idéal spirituel qui avait autrefois uni « Trois êtres faisant Un » : Tianyi, l'Ami et l'Amante. Un idéal qui s'était fracassé sur les contingences concrètes, charnelles, d'une relation amoureuse classique, et qui ne retrouvera du sens que plus tard, lorsque l'un(e) des Trois aura disparu. Une disparition physique, et non spirituelle, car « Deux » ne peut être une fin en soi. Entre le Yin et le Yang, il y a un vide qui n'est ni l'un ni l'autre, à moins qu'il ne s'agisse d'un tout qui serait à la fois l'un et l'autre…

Retour en Chine, donc, mais dans des conditions difficiles. Tianyi découvre les turpitudes absurdes et criminelles du régime mis en place par Mao Zedong, dont le narrateur ne cite jamais le nom, et qu'il dépeint comme un tyran insensible à l'humain, ignorant de l'économie, préoccupé par son seul pouvoir personnel, ce qui, quelques années plus tard, le conduira à tenter de le renforcer par l'inepte politique de Révolution Culturelle.

Considéré comme suspect par le régime, Tianyi passera plusieurs décennies en rééducation dans un camp dit de travail, copie conforme des camps de concentration nazis et soviétiques (je ne parle pas des camps d'extermination nazis que je mets sur un autre plan). Une vie de souffrances et d'avilissement dans le Grand Nord chinois, où une nature sauvage et des intempéries impitoyables ramènent l'homme qui veut survivre à son état primitif.

A l'insu de ses gardes, Tianyi réussira à peindre l'oeuvre de sa vie, une fresque clandestine qui consacrera l'accomplissement de son talent.

Il terminera ses jours dans une sorte d'asile, libre de relier à sa façon les pages éparses d'une existence tourmentée, alimentée d'espoirs et de nostalgies. Une vie semblable au cours d'un fleuve, symbole chinois du temps qui n'en finit jamais de s'écouler. Car pour finir, il ne reste que cela : écrire, pour que tout soit Dit.

Le Dit de Tianyi, roman imprégné de culture et de philosophie chinoise, est écrit dans une langue française très harmonieuse et poétique. C'est aussi un documentaire passionnant sur les événements de vingtième siècle en Chine. Quelques pages sont difficiles d'accès. Je devine en François Cheng, un amoureux de la beauté et de l'humanité, même si l'on ne peut empêcher le Mal de s'y dissimuler.

Lien : http://cavamieuxenlecrivant...
Commenter  J’apprécie          320
N°326– Février 2009
Le dit de TianyiFrançois Cheng – Éditions Albin Michel [Prix Fémina 1998].

C'est une récit poignant par sa simplicité et surtout par son authenticité que nous offre François Cheng. C'est, la relation d'une vie tourmentée, celle de Tianyi [peintre né en 1925], ingrate, pauvre, visitée par la maladie et la mort. La Chine traditionnelle du début du XX° siècle est très attachée à la famille. La sienne est évoquée, avec ces éléments valeureux, qui marquent un enfant, et ceux qui le sont beaucoup moins. Il évoque son père, instituteur devenu écrivain public et calligraphe et qui mourra quand le narrateur a dix ans. Ce que je retiens plus volontiers, au lieu des images d'hommes, son grand-père et ses oncles dissemblables ou attachants, ce sont les figures féminines, sa jeune soeur morte tôt, sa mère, illettrée, dévouée et charitable qui « pratiquait les vertus d'humilité et de compassion » du bouddhisme, ses tantes dont l'une d'elles était demeurée célibataire parce que la vie avait étouffée chez elle cette espièglerie naturelle, une autre qui ne faisait que de courtes apparitions et qui avait vécu un temps en France, une autre enfin qui se pendit pour ne pas avoir connu sur terre et pendant son mariage le bonheur auquel elle estimait avoir droit. Ce qui retient cependant mon attention, c'est le personnage fulgurant de Yumei, que le narrateur retient sous le nom de « l'Amante » et qui l'impressionne par sa grande beauté et son sens de la liberté. L'adolescent qu'il est à l'époque ne peut rester insensible à son charme et il s'éprend d'elle en secret. Son amour ira grandissant avec le temps et l'absence et il finira par regarder la femme comme inaccessible. Cet attachement à la femme se vérifiera également dans la personne de Véronique, musicienne française rencontrée à Paris, torturée comme lui par la vie.

La seconde présence de ce roman est celle d'Haolang, l'ami d'enfance, communiste convaincu, le troisième élément du trio que le narrateur forme avec Yumei. Cette entente amicale à trois ne durera pas et, déçu par des gestes d'intimité qu'il surprend entre eux. Il en est bouleversé et déçu. A la faveur d'une bourse, il part pour la France où il mène une existence précaire, mais il trouve dans la peinture un baume à sa blessure mal fermée. Par Yumei, il apprend qu'Haolang est mort et décide de revenir en Chine, apprend que son amie s'est suicidée mais retrouve son camarade dans un camp de travail où il achève sa vie et lui confie ses écrits.

Drame de l'amour et de l'amitié sur fond de guerre sino-japonaise et de révolution culturelle chinoise, choc de deux civilisations entre l'occident qui ne pense qu'aux richesses et la Chine qui fait une grande place à la philosophie et à la religion, à l'équilibre du monde. La figure du moine taoïste qui apparaît dans la première partie du roman symbolise ces valeurs. Dans l'évocation de la Chine de Mao, qui forme en quelque sorte son pendant révolutionnaire, cette approche change pour laisser la place à la souffrance et à la mort. C'est donc un itinéraire intérieur et personnel, dans une trame historique, que nous livre l'auteur.

C'est aussi une quête impossible de la femme à travers les portraits esquissés de Yumei et de Véronique. Il oppose à sa propre vision du personnage féminin, magnifié à travers sa beauté, tissée notamment à travers la vision fugace de Yumei pendant ses ablutions, ces photos de femmes violées et cruellement humiliées pendant la guerre.

C'est également le mythe du retour qui est évoqué ici, retour douloureux vers cette Chine défigurée par le communisme avec, en filigranes la quête de Yumei qui se révélera vaine. En cela l'auteur semble nous dire que la femme est à la fois idéalisée et inaccessible. Sa recherche est promise à l'échec parce que le destin de l'homme lui-même débouche sur une impasse.

Pour autant, le narrateur enrichit son propos de développements passionnants notamment sur la peinture et la littérature occidentales. Il trouvera dans l'écriture, entendue à la fois comme une création et un acte de témoignage une manière de consolation à son mal-être intérieur.

L'écriture en est limpide, agréable à lire, poétique et nostalgique à la fois, attachante, par l'émotion que suscite ce récit. François Cheng, en spécialiste de la culture, communique à son lecteur attentif, au-delà même du récit, sa passion pour la connaissance, la profondeur de ses réflexions notamment sur le destin de l'homme, ce qui en fait un oeuvre profonde et d'une grande richesse, au confluent de l'orient et de l'occident. Il semble dire que la valeur de l'homme, la seule peut-être, réside dans l'art, dans cette extraordinaire faculté qu'il possède à la fois de porter témoignage de son vécu et donc de la condition humaine de le transcender pour en faire une oeuvre universelle et unique.


Hervé GAUTIER – Février 2009.http://hervegautier.e-monsite.com 
Lien : http://hervegautier.e-monsit..
Commenter  J’apprécie          201
Un parcours, un chemin singulier mais aussi pluriel. L'histoire d'une vie, de plusieurs vies. le heros, Tyani, un chinois d'une province du Sud. Son enfance dans la Chine d'avant guerre (40-45), sa decouverte de Yumei, l'Amante et ses premiers pas dans la peinture. Son adolescence, sa rencontre avec Haolang et son apprentissage artistique. Puis, une vie d'artiste a trois, avec Yumei retrouvee, la bas, plusau Nord. Bientot, un depart en Europe pour Tyani, la decouverte de la peinture flammande mais aussi De La Renaissance italienne…
Une troisieme partie, une troisieme vie: le mythe du retour. La Chine communiste et l'horreur des camps.
Dans ce livre, la decouverte pour moi d'une autre culture que je n'avais jamais ressenti autant de l'interieur. Une Chine aux facettes multiples. Un temoignage fiction de la vie sous le joug de Mao. Un recit parfois un peu long mais riche, prenant et qui invite a d'autres parcours dans l'ame de cette vaste Chine …
Commenter  J’apprécie          130
Défi ABC 2019-2020
Autant d'autres ouvrages de François Cheng m'avaient infiniment touchée (Et le souffle devint signe, Cinq méditations sur la mort autrement dit sur la vie, cinq méditations sur la beauté), autant ce récit m'a gardée à distance. Les pages émouvantes sont là, bien sûr, l'amitié et l'amour, l'art, la poésie, la calligraphie et la peinture, la langue, la liberté... le rythme des phrases, l'évocation de la nature, la cruauté et l'humanité, tout est là, admirablement. Et pourtant, je suis restée un peu à côté, un peu en-dehors du récit.

Commenter  J’apprécie          120




Lecteurs (900) Voir plus



Quiz Voir plus

Les écrivains et le suicide

En 1941, cette immense écrivaine, pensant devenir folle, va se jeter dans une rivière les poches pleine de pierres. Avant de mourir, elle écrit à son mari une lettre où elle dit prendre la meilleure décision qui soit.

Virginia Woolf
Marguerite Duras
Sylvia Plath
Victoria Ocampo

8 questions
1721 lecteurs ont répondu
Thèmes : suicide , biographie , littératureCréer un quiz sur ce livre

{* *} .._..