Défi non fiction 2024.
à Gaza, bien que l'oeuvre rende compte d'un autre contexte, le parallèle m'est venu tout au long de ma lecture. Les étudiants et profs qui militent, bravo à eux, et honte à ceux qui arment. Pas en mon nom.
La figure de Chomsky, linguiste spécialiste de syntaxe qui fit souffrir bien des étudiants en linguistique, et "intellectuel engagé", qui a en ce moment presque cent ans, me fascine. Et l'opposition à l'origine du livre, la fac comme rouage du marché du travail* vers une fac émancipatrice, traverse mes idées depuis longtemps, car mettre les jeunes au travail et parler orientation à un enfant de douze ans est pour moi (le mot est fort) une forme de perversion du système éducatif. le risque (qui m'est propre) c'est donc le biais de confirmation, puisque je pense être d'accord avec l'auteur.
Analyse texte par texte :
Le premier texte, généraliste, porte sur la conception de Chomsky de l'université. Citant notamment le philosophe analytique Russell, et évoquant le dualisme compétence/performance présent dans sa linguistique. S'inspirant aussi de Humboldt, il évoque la création et le travail. Sa vision transparaît, et le dualisme raison/émotion (ainsi, sont qualifiés d'émotifs dans le débat public ceux qui s'opposent à la guerre du Viet Nam). Chomsky sait avoir de grandes idées sans pour autant se perdre dans les nuées, et sa critique de la fac, si elle peut être lue comme une critique un peu générale (ex. Je n'ai pu m'empêcher d'effectuer un parallèle avec la mobilisation pour Gaza), elle n'est pas anhistorique et Chomsky s'appuie sur des faits historiques précis.
Le texte suivant poursuit cette tâche que d'opposer la fac comme lieu censé être subversif, alors qu'il arme littéralement de grandes puissances.
Chomsky reviendra ensuite sur l'histoire impérialiste des USA, écrivant notamment que les USA ont une façon presque ludique de mettre en scène le génocide des autochtones d'Amérique. Il propose, plutôt que de rejoindre les étudiants anti fac (qu'il cherche à comprendre), de faire de la fac un lieu subversif et un outil critique, répondant au passage à deux questions que je me posais : la fac est elle censée être un service public ? (sachant que la notion n'est pas la même en France et aux USA) et quelle est la responsabilité des chercheurs quant à l'interprétation par autrui de leurs résultats ?
Noam Chomsky critique aussi la privatisation. le livre se termine par un entretien. Il y a un truc tout de même qui me fait tiquer, c'est le choix du terme "dissident" (encore une fois, pas le même contexte) qui en tant que française du 21e siècle m'évoque un certain antisémite d'extrême droite pour tracer une barrière entre les intellectuels médiatiques et les intellectuels qualifiés de faux prophètes, mais qui ont raison. Que les intellectuels médiatiques n'aient pas toujours la lumière à tous les étages, je le conçois : https://www.youtube.com/watch?v=jSWFkGY6O-0 mais je sais aussi que beaucoup utilisent une étiquette "on me censure, on veut me faire taire" pour attirer la sympathie et insinuer qu'ils ont raison. Dans le fond, cette idée que ceux qui ont raison ne sont pas les plus récompensés institutionnellement est assez commune, peut être salutaire, mais peut se retourner contre nous.
Chomsky a un pied dans la science, un pied dans le militantisme ; un pied dans l'histoire, un pied dans l'universel. Son texte a une importante valeur politique.
Dans quelle mesure ce texte, salutaire, nécessaire, peut il s'appliquer à d'autres contextes, occidentaux et contemporains, que les USA des années 70 ? Je pense qu'il serait intéressant de rédiger un semblable livre/ensemble de conférences sur notre époque. En fait, c'est un travail que n'importe qui ayant connu la fac devrait faire.
*ce vers quoi tendent les politiques où l'on professionnalise plus tôt, où l'on supprime des heures du tronc commun en pro, où l'on éjecte les prolos vers la sortie dans un tri social.