Publié par Sonatine, «
Un employé modèle » est le premier livre d'un auteur Néo-Zélandais. Voilà un pays qui manquait à la littérature policière, après ces dernières années marquées par le polar scandinave (Jo Nesbö,
Henning Mankel,
Stieg Larsson, la réédition de l'excellente série de Per Walhoo et
Maj Sjowall datant déjà des années 70, pour n'en citer que quelques-uns et au passage mélanger allègrement torchons et serviettes).
«
Un employé modèle » a été encensé, selon l'éditeur, comme une « variation subtile sur le thème du tueur en série » et a connu un beau succès. Je viens de le finir.
D'abord, c'est un livre agréable à lire. Pas de longues descriptions, l'auteur va au coeur du sujet ou de l'action, parfois de façon un peu trop elliptique : il m'est arrivé de revenir en arrière en me disant « mais que fait cette personne dans le coffre de sa voiture ? Je ne me souviens pas qu'il l'y ai mis ! ».
Le récit bascule entre le point de vue du personnage principal, Joe, agent d'entretien, tueur en série, fils soumis, garçon perspicace et un peu imbu de lui-même, et celui d'une collègue a priori sans intérêt qui deviendra un élément essentiel du récit à deux reprises. le contrepoint est intéressant : un homme trop sûr de lui, coupable se croyant innocent, qui se fait passer pour un idiot ; et une femme mal dans sa peau, innocente mais qui se sent coupable, confuse mais plus subtile qu'il n'y parait – allégorie du bien et du mal. On ignore, jusqu'au bout, qui provoquera la chute de l'autre.
On ne perd pas de temps avec la psychologie : il n'y a pas d'étude de caractère à proprement parler, les situations sont décrites sans interroger les motivations des personnages, à chacun de faire sa petite cuisine personnelle. le personnage principal évacue d'emblée toute tentative « psychologisante » : il n'est soumis à aucun « passager noir » intérieur, à aucune pulsion irrépressible, il n'est pas malade ni bouleversé, merci beaucoup ; simplement il aime assouvir ses fantasmes, qui sont d'une nature sexuelle et brutale, et ne voit pas de raison morale à s'abstenir. Mais si on regarde bien, on s'aperçoit que ce n'est peut-être pas vraiment le cas et que Joe en réalité se voile la face… C'est agréable, pour le lecteur, de ne pas constamment être pris par la main : on peut se faire sa propre idée sur l'idiosyncratie de chaque personnage et rechercher les véritables intentions de l'auteur. Ou pas. du coup, le texte se lit rapidement, facilement, sans longueurs.
Ensuite, c'est souvent drôle. Pas comme un
Joe Lansdale, mais un humour constant, décalé, critique sur le monde et la société moderne qui enfante des monstres comme le héros de cette histoire. Cela renforce le plaisir de lecture et donne une distance bienvenue avec le sujet. En cela, «
un employé modèle » se rapproche de « Dexter » : comme ce dernier, Joe travaille dans un commissariat et occupe ses nuits à assouvir ses pulsions intimes, dans un récit aux tonalités humoristiques, tragi-comiques, utilisant comme ressort narratif l'amoralité assumée de l'homme meurtrier, qui fait frissonner d'un pervers frisson l'honnête homme du lectorat. Mais disons-le d'emblée : si « Dexter » est mieux construit, «
un employé modèle » est bien mieux écrit.
Enfin, et c'est là tout l'intérêt du livre, vers la moitié du récit, celui-ci bascule. Je ne vais pas spoiler le sujet ici, mais c'est le point où l'expression « brillante variation sur le thème du tueur en série » mis en avant par l'éditeur prend son sens. Attention, on a dit que ce livre était insoutenable. C'est absolument faux. Pas de longues tortures sadiques, des descriptions gores et complaisantes façon
Clive Barker, excepté en un seul point, ce fameux point où le récit bascule du récit « ordinaire » de tueur en série (devenu un genre à part entière, objet d'une étrange et malsaine fascination dont les deux meilleurs précurseurs sont «
Au-delà du mal » de
Shane Stevens, 1979 quand même, et «
Un tueur sur la route » de
James Ellroy dix ans plus tard à peu près) vers cette variation néo-zélandaise clairement ironique.
Ce n'est pas un livre d'horreur destiné à vous retourner le coeur.
Paul Cleave n'utilise ce moyen qu'à une seule occasion, pour souligner le réalisme d'une scène qui le nécessite absolument pour préserver la dynamique du récit. le reste du temps, il aurait même plutôt recours à de pudiques ellipses. Découvrez-le par vous-même sans crainte.
En conclusion ? Si vous aimez les polars teintés d'humour, aux intentions légèrement décalées, pressant nos interrogations sur la morale moderne, sans prétention, lisez-le. Ce n'est pas un pur chef d'oeuvre (mais combien en existe-t-il ?), mais c'est un très bon premier roman, qui dépasse allégrement quelques auteurs reconnus aux recettes connues et sur-bouillies.
(article écrit par S.V. avec l'aimable autorisation de Christiane Brody)
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