AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
3,29

sur 191 notes
La part du fils est pour moi un roman magnifique de Jean-Luc Coatalem, éblouissant, douloureux aussi. Forcément émouvant parce que cela a aussi réveillé des pans de mon histoire familiale...
Nous sommes sous le régime de Vichy. Début septembre 1943, Paol, un ex-officier colonial, est arrêté par la Gestapo dans un village du Finistère. Motif : "inconnu”. Il semble avoir été dénoncé. Il sera conduit à la prison de Brest, la prison de Pontaniou, puis ce sera l'engrenage vers les camps nazis, en France et en Allemagne, Buchenwald, Dora, puis Bergen-Belsem. Rien ne pourra l'en faire revenir. Il mourra là-bas. De cela, un silence pèsera longtemps sur la famille...
Ce livre ressemble à une sorte d'enquête sur l'histoire du grand-père de l'auteur, Paol.
L'auteur revient sur les pas de ce grand-père qu'il n'a pas connu.
Le narrateur du livre est bien l'auteur, il pèse ici un silence qui cache une douleur transmise d'une génération à une autre, sans que rien ne puisse la soulager. Pierre, fils cadet de Paol et père de l'auteur, demeure muré dans le silence.
Jean-Luc Coatalem nous délivre ce roman avec une immense générosité. Oui c'est bien un roman et non une autobiographie, car l'auteur invente parfois, trébuchant sur les silences, les vides d'une histoire qu'il tente de reconstruire à rebours. Qu'importe si cela l'aide à mieux revenir à son grand-père, aux siens...
Dans cette part du fils, je me suis demandé au travers de cette histoire, qui était le fils et quelle était sa part : Pierre, fils de Paol ou bien Jean-Luc, fils de Pierre.
La part du fils, c'est sans doute la part que le père de l'auteur n'a pas tenue, ce que son père n'a pas fait pour chercher à comprendre... Mais Pierre fut aussi un jour un enfant et attendit impatiemment le retour de son père avec l'attente de cet enfant qu'on imagine... Je suis persuadé que, de cette souffrance muette, il s'est ensuite enfermé dans un silence proche du détachement...
Forcément, habitant le Finistère depuis ma plus tendre enfance, ce livre était fait pour me happer. J'y ai reconnu tous les lieux qui sont cités. Cela ne suffisait pas bien entendu pour m'en faire un coup de coeur. Le coup de coeur est venu dans sa lecture et les choses qui sont venues après, ce retour d'une lecture comme le ressac de la mer, quelque chose qui vous ébranle un peu après... L'histoire de ma famille, aussi...
Ce roman éveille et visite des lieux que je connais presque par coeur. La presqu'île de Crozon et son splendide littoral, Plomodiern, la mer d'Iroise, le goulet, mais aussi la ville de Brest et l'ancienne prison de Pontaniou évoquée dans ce récit... Je connais et j'adore cette ville, pour y avoir vécu mon existence d'étudiant. Habitant à quelques encablures, de l'autre côté de la rade, un pont me sépare d'elle. Je m'y rend encore presque tous les jours. L'auteur la décrit comme je voudrais qu'on en parle. Oui c'est vrai, cette ville est franchement laide, les façades des immeubles sont grises, hideuses, il se dégage une reconstruction un peu à la façon stalinienne, comme on le disait à l'époque. Et pourtant, et peut-être pour toutes ces raisons aussi, cette ville cache une âme secrète. Chaque pas dans ses rues me fait dire que cette ville d'allure froide et humide recèle des endroits infiniment généreux.
La part du fils, c'est tenter de tourner les pages d'un album de famille, c'est effleurer des existences, des visages, des émotions. C'est remuer la poussière du temps.
Savoir pourquoi... Savoir qui... Les recherches du narrateur sont vaines au début.
C'est un travail de mémoire. C'est son héritage. Cette histoire, l'auteur en devient peu à peu le gardien et le passeur.
C'est aussi le sentiment d'un malaise qui étreint l'auteur et nous étreint aussi. Parce que son père ne veut pas s'en remettre à ce devoir de mémoire, ne comprend pas son fils qui cherche à savoir, à comprendre... L'auteur se heurte au silence de sa famille. C'est un sentiment douloureux.
Les fantômes du passé reviennent avec le vent du large, le ressac de la mer. La mer d'Iroise et son encre étale, entre chien et loup. les voix de Michèle Morgan et de Jean Gabin, venus ici tourner le film Remorques au début de la guerre, effleurent le bord des pages.
Brest, ville détruite d'où a surgi plus tard la vie, d'autres vies. Je me souviens que mon père, résistant, était présent sous les bombardements américains qui ont détruit la ville. Il s'est tu, n'a jamais voulu me raconter ce qu'il a vécu...
Brest, les rues mouillées de pluie et de mélancolie. Brest, lorsqu'on y parvient en train c'est le terminus, le bout du monde. Pour l'auteur, c'est une forme de terminus intime lorsqu'il revient sur les pas de son enfance...
Brest, ville terminus, j'imagine ce train en 1943 qui partit d'ici, traversa la France, traversa la nuit, les nuits, avec ses wagons plombés, jusqu'au camp de Bergen-Belsem où mourut Paol.
Je vais souvent dans ce quartier de Brest ou fut enfermé le grand-père de l'auteur, puisque la nouvelle médiathèque est à deux pas de là construite dans les anciens ateliers de la Navale ; c'est ici que je vais chercher parfois les livres dont j'aime à vous parler. Je longe la rue au-dessous de l'ancienne prison de Pontaniou et de ses façades lépreuses. Sur le mur de la rue il y a cette plaque commémorative « Ce lieu fut le dernier séjour après tant de souffrance d'hommes entraînés par la guerre vers leurs tragique destin. »
J'ai du mal à imaginer que Brest que j'aime fut l'antichambre de l'horreur et de la mort.
La part du fils, c'est aussi pour moi la part d'une sœur, l'une de mes sœurs, ma sœur ainée... La part de cette sœur dont j'ai reconnu dans ce récit une part de son histoire, celle d'où elle vient, sa naissance, en quelque sorte... Elle est née d'une histoire d'amour entre ma mère et un jeune résistant, qui malheureusement fut fusillé par la Gestapo trois jours avant sa naissance... Lui aussi avait été dénoncé comme deux autres de ses camarades... Ma mère se maria en 1947 avec celui qui devint mon père. Ma sœur appris brutalement cette histoire à l'âge de onze ans. Elle porta cela comme un fardeau... Nous autres l'apprîmes bien plus tard...
Ma mère s'était murée depuis longtemps dans le présent, ignorant ce passé qui pourtant lui avait fait connaître son premier amour. Elle est décédée il y a deux ans et ma sœur ainée, à son grand désespoir, jusqu'à l'ultime moment de son existence, jusqu'à son lit de mort, n'a jamais pu faire s'exprimer avec intimité notre mère sur cette épisode de sa vie... Ma sœur, tout comme l'auteur, a dû faire sa propre enquête toute seule, au prix de larmes et de joies...
Les guerres sont cruelles, tuant des gens sur place et continuant de détruire plus tard des familles, avec les secrets immenses, souterrains, creusant des zones telluriques à venir...
Commenter  J’apprécie          5618
«  Écrire comme un travail de deuil.Une effraction et une floraison . Une respiration entre deux apnées . »
Extrait significatif de cette quête - enquête sur la disparition d'un grand- père ,Paol, mort en déportation pendant la deuxième guerre mondiale.

J'avais lu en 2013 «  Nouilles froides à Pyongyang » Je redécouvre l'auteur qui , avec ténacité ,courage , magie de l'écriture , revient sur les pas de son grand- père et dénoue une histoire familiale , ancrée en Bretagne et en Indochine .

Jean- Luc fait revivre la mémoire de cet homme oublié , une figure tutélaire dont personne ne parlait jamais dans un dialogue singulier avec lui. : «  Je ne l'ai pas connu , un inconnu familier disparu trop tôt et mal .. »
Il veut savoir. comprendre . ....cherche le chemin de la vérité,

Septembre 1943 , sous le régime de Vichy , Paol, ancien officier colonial qui a survécu au carnage de la Première guerre mondiale ,a travaillé dans une imprimerie et une usine de construction .
Installé dans un petit village du Finistère il est arrêté par la Gestapo , une lettre de dénonciation a tout déclenché .....
L'auteur met ses pas minutieusement dans les pas de Paol, , fouille les archives régionales , triture des dossiers poussiéreux , quête des informations oubliées , sillonne les rues de Brest et les prisons, se rend partout dans les zones de transit,, les camps de concentration de Buchenwald - Dora et Bergen Belsen où Paol est mort, bravant les silences de son père, muré dans sa souffrance qui n'approuvait pas ce creusement de l'histoire familiale .
Dans ce pays de vents et de landes, on ne parle pas ....du malheur.....
Un texte fort et émouvant ,à la fois intime et universel , mêlant fiction et faits réels , aussi vibrant que digne !
La littérature sert aussi à ça : «  Et ce que je ne trouverai pas de la bouche des deniers témoins ou dans les registres des archives , je l'inventerai.Pour qu'il REVIVE » .

Commenter  J’apprécie          536
Sur les pas de Paol

En creusant l'histoire familiale, celle de son père et surtout celle de son grand-père, Jean-Luc Coatalem nous offre son roman le plus personnel, mais revient aussi sur les conflits du siècle écoulé.

Commençons par dire quelques mots du titre du nouveau roman de Jean-Luc Coatalem. Dans La part du fils, il est en effet question d'un fils, le narrateur derrière lequel l'auteur ne se cache nullement, cherchant à découvrir qui était vraiment Pierre, son taiseux de père. Mais le récit va au-delà de cette génération et s'attarde encore davantage sur la part de Paol, le grand-père. D'où le titre de cette chronique et les premières pages, qui nous livrent en guise d'introduction, les éléments biographiques connus: «Paol est né en 1894, à Brest. Il vient d'une famille finistérienne où les hommes sont généralement employés à l'Arsenal, la base militaire et navale. Il a fait la Première Guerre. Il a épousé Jeanne. Trois enfants, Lucie, Ronan et Pierre, mon père. Officier de réserve, il a été muté en Indochine, dont il est rentré en 1930. Dans le civil, il a travaillé ensuite pour une imprimerie et dans une entreprise de construction. Puis, comme la plupart des Français, il a été mobilisé de nouveau, en 1939, au grade de lieutenant. Je ne l'ai pas connu. Parti trop tôt, trop vite, comme si le destin l'avait pressé. Mais il nous reste sa Bretagne à lui qui est devenue la nôtre.»
C'est à partir de ces indices que la quête va pouvoir commencer et nous réserver, comme dans les meilleurs romans policiers, quelques fausses pistes et quelques avancées remarquables, accompagnées d'émotions à intensité variable. Car remuer le passé n'est pas sans risques, d'autant que la vérité peut se cacher derrière bien des non-dits ou être à géométrie variable. Alors ne vaut-il pas mieux se taire?
C'est le choix qu'a fait Pierre: «Tout juste nous aura-t-il lâché un peu de son enfance saccagée, la morsure des dimanches pensionnaires, la veilleuse bleue des dortoirs au-dessus des cauchemars, l'odeur humide des préaux, cette dévastation initiale que le temps n'entama pas. Il lui avait fallu être ce fils courageux qui dut porter le poids de l'absence sur ses épaules, grandir quand même, et que les heures de la Libération ne libéreront pas, creusé par ce gouffre, au final le constituant, sans soupçonner que sa souffrance serait un jour, pour moi, son ainé, un appel.»
Après les bribes d'informations soutirées presque contre son gré à ce père, il faut élargir le champ des recherches, se rendre aux archives, chercher dans les dossiers, recouper des informations souvent parcellaires. Et quelquefois se contenter de l'histoire des autres, compagnons de régiment, de tranchée ou de captivité, qui ont cheminé aux côtés de Paol.
Jean-Luc Coatalem a compris que cette communauté de destin soude les hommes et que tous ceux qui se sortent de conflits aussi meurtriers que le fut la Grande Guerre se forgent une «opinion sur la peur, la mort, et entre les deux, ce qu'est la viande humaine sous un déluge de fer ou dans les volutes de l'ypérite.» Avant d'ajouter, fataliste: «Une histoire banale de soldat français. Paol n'a que vingt-cinq ans, Paol a déjà mille ans.» Et passer d'une guerre à l'autre, dont il ne reviendra pas.
Si j'ai beaucoup aimé suivre le voyage qu'effectue l'auteur sur les pas de ses aînés, c'est parce qu'il ne nous cache rien de ses tâtonnements, de ses doutes, de ses interrogations, obligé de concéder que «plus les choses se ramifiaient, plus elles se complexifiaient. Un témoignage venait en contredire un autre, les dates ne se recoupaient plus, il manquait des pièces et des interactions. Tout aurait-il été embrouillé? A qui s'adresser? Il aura beau faire, aller jusqu'à Buchenwald et Bergen-Belsen, le puzzle restera incomplet.
Mais ici ce n'est pas la résolution de l'énigme qui compte, c'est le chemin emprunté. Cette tentative de ramener à la lumière le destin d'un homme oublié, de «tenter de nouer ce dialogue singulier avec lui». Ce beau roman – plein de fureur et de pudeur – y parvient avec talent.

Lien : https://collectiondelivres.w..
Commenter  J’apprécie          520
Jean-Luc Coatalem a pris à bras le corps cette histoire douloureuse qu'il raconte à la fois pour lui et pour sa famille. Cette histoire, c'est celle de son grand-père paternel qu'il n'a jamais connu, car mort en déportation. Une chape de silence a recouvert le destin de cet homme dont on refuse de parler dans la famille. La douleur est toujours là, tapie dans le souvenir et le vide creusés par l'absence d'un père pour ses deux fils et d'un époux pour la grand-mère de l'auteur.
Mêlant ses propres souvenirs de vacances en Bretagne, berceau de la famille Coatalem, l'auteur revient sur les traces de ce passé étouffé. Il cherche à comprendre la sidération et la souffrance provoqués par l'arrestation sur dénonciation, puis la déportation et la mort de Paol.

Rassemblant des bribes de l'histoire, il va remonter les traces de l'aïeul, cheminer à ses côtés pour tenter de comprendre. « Longtemps je ne sus quasiment rien de lui, hormis ces quelques bribes arrachées, ces miettes »
Né en 1894, Paol va connaitre l'enfer de 14-18. Officier de réserve, il partira deux ans en Indochine, laissant femme et enfants à Brest. Puis, en 1943, il est arrêté sur dénonciation et jeté dans les geôles de la Gestapo. Ensuite, après la prison à Brest, le camp de triage à Compiègne, suivra la déportation vers les camps de Buchenwald, Dora et Bergen Belsen.
Ce livre d'un destin fracassé, l'auteur le porte en lui depuis longtemps. Il va entreprendre un long travail de recherche et de documentation, chercher des témoins, afin de retracer le parcours de Paol. Son père Pierre ne comprend pas cette obstination, et la souffrance de la disparition d'un père est encore là, à fleur de peau.
Malgré la difficulté de l'entreprise, Jean-Luc Coatalem poursuit sa quête, allant même visiter ces lieux de mémoire que sont les camps, en particulier Dora. Creusé dans la montagne, Dora abritait l'usine de fabrication des V2. Les prisonniers, qui vivaient sous terre nuit et jour, travaillaient à creuser des galeries dans des conditions inhumaines. Rares ont été les survivants.
Au-delà du travail de recherche, la beauté du roman tient à cette approche imaginée de la vie de Paol, tous ces manques que le petit fils tente de combler d'une plume vibrante et sensible. Partant de quelques photos retrouvées, il remaille les trous de l'histoire et nous offre un récit troublant.
Je me suis laissée embarquée, à la fois par l'écriture, poétique, évocatrice, et par le récit émouvant.


Commenter  J’apprécie          430
Paol est né à Brest en 1894. Il a épousé Jeanne et a eu trois enfants, Lucie, Ronan et Pierre le père du narrateur. Sous Vichy, une lettre de dénonciation a suffi, Paol a été arrêté par la Gestapo. On lui a retiré ses papiers, ses lacets, sa ceinture. Il est conduit à la prison de Brest, interrogé, puis transféré à Compiègne, un camp de transit où il est fiché et numérotisé, puis le voilà dans un wagon en partance pour les camps en Allemagne, direction Buchenwald.

À l'église de Kergat, son nom est inscrit sur la liste des victimes de la guerre. Au cimetière, il est gravé en lettres dorées sur le caveau familial qui ne le contient pas. le narrateur décide de partir à la rencontre de Paol son grand-père, résistant, déporté politique, disparu en Allemagne.

Jean-Luc Coatalem nous offre un récit très intime, celui de sa quête pour retrouver la trace de son grand-père disparu en Allemagne.
« J'avais le sentiment d'être à ma place, en phase, cette quête n'était pas une simple recherche, mais bien un pan de ma vie vraie. »

Contre l'avis de son propre père, Pierre qui ne s'est jamais remis du poids de cette absence, ne s'apitoyant jamais ni sur les autres ni sur lui-même, un taiseux qui a enfoui son drame et sa peine. Un deuil inachevé, le poids du silence.
« J'étais-là pour l'accompagner à rebours, le tenir à bras-le-corps, lui rendre ses contours et son allure. Un petit-fils devenu archéologue. »

Jean-Luc va donc fouiller les registres de la mairie, du département, de la préfecture, des services de police, à Paris, en Allemagne. Une quête pour retrouver n'importe quelle bribe sur un inconnu jeté au milieu de millier d'autres dans un convoi de la mort. Il manque presque toutes les pièces du puzzle, les témoins qui ne veulent pas parler ou qui ont disparu.

Ce livre m'a intéressé bien au-delà de cette recherche familiale de l'auteur. Bien au-delà des portraits d'hommes qu'il dessine Paol, le grand-père, Pierre le père, Ronan l'oncle. Il aborde en effet lors de sa visite à Dora, " au pays des bourreaux ", le camp qui devait fournir douze mille missiles pour inverser le cours de la guerre, le sort des anciens criminels nazis. C'est dans ce camp comme dans d'autres que des prisonniers vont fournir une main-d'oeuvre gratuite et corvéable à merci, des esclaves pour la machinerie nazie sous la houlette de Wernher von Braun. Personnage trouble, devenu citoyen américain en 1955, avec ses équipes venues de l'ancienne Allemagne Hitlérienne il est le père de la fusée Saturne pilier de la conquête spatiale. Les premiers pas de l'homme sur la lune ont été faits en partie sur les cadavres de ces milliers de prisonniers. Ce qui relance le débat sur ces industriels qui ont bâti leur empire en profitant de cette main-d'oeuvre bon marché, renouvelable en permanence, les nouveaux débarqués des trains remplaçants les morts à l'infini. Terrible et glaçant.

« N'en déplaise à von Braun et à son sourire triomphal, sa conquête des étoiles avait dû franchir d'abord la porte des enfers. Les prisonniers de Dora en firent les frais, Paol parmi eux. Comment l'oublier en regardant le ciel ? »



Commenter  J’apprécie          363
L'auteur raconte l'histoire de son grand-père, disparu dans un camp de concentration nazi.
En incessants aller-retours, il remonte le temps, il passe de la grande boucherie que fut la guerre de 1914-1918, décrite en phrases percutantes, à l'arrestation de Paol, puis suivent une description de l'atmosphère brestoise et une visite en Indochine à l'époque de la colonisation française.
Après quelques pages, ces sauts dans le temps et dans l'espace ne m'ont pas dérangée.
Nous suivons aussi Jean-Luc Coatalem dans ses recherches auprès des archives départementales de Quimper, puis dans la campagne bretonne et jusqu'en Allemagne, à Buchewald, Dora et Bergen-Belsen où son aïeul a terminé sa vie.
Cette quête est pour lui l'occasion de mettre à jour les non-dits dans sa famille, de comprendre pourquoi il en savait si peu et de découvrir enfin son nom sur des registres et des monuments. La grande Histoire est bien présente, celles de toutes les guerres françaises du XXème siècle, y compris la guerre d'Algérie qui a vu la brouille entre son père et son oncle se concrétiser.
Ce livre est écrit pour partie pour son père, qui refusait d'en parler.
La visite des camps est poignante, l'auteur ne pouvant même rester dans le tunnel construit pour abriter les missiles de von Braun (futur concepteur de la fusée qui se posera la première sur la lune) et dans lequel travaillait son grand-père. On voit là encore que l'être humain est capable du pire comme du meilleur.
C'est un livre d'introspection (et si...), il est moyennement épais (quelques 260 pages) mais chacun des chapitres est riche de réflexion, d'interrogations et d'évocation d'ambiances et de paysages. D'ailleurs, j'avais apprécié d'autres romans de cet auteur, tel celui sur Gauguin, qui tous se référent plus ou moins à son histoire familiale.
Commenter  J’apprécie          350
A mes deux grands-pères, tous deux déportés, et l'un même lors des deux guerres. Ils en parlaient très peu.
A mon papa, ex-inspecteur de français, qui s'en va doucement à mots comptés.
A mon plus jeune frère, professeur de français dans les hautes écoles, qui m'a donné ce livre à lire.


Un livre à découvrir. de quoi parle-t-il donc ce livre de silences ? Des dommages collatéraux de la guerre dont l'onde de choc se répercute sur des générations ? Ou bien la guerre n'est-elle que le détonateur à cet assourdissant silence ? Indicibles non-dits nid des secrets de famille en fouillis, enfouis. "Le silence était une pâte transparente qui avait durci jusqu'à nous immobiliser dedans." p.206


J'ai de la littérature l'idée, l'espoir, le rêve de nous approcher au plus près de notre humanité. Si j'étais professeur je le proposerais en lecture à ma classe, je leur ferais comparer cette phrase de la p.16 "Des années après, en dépit du temps passé, j'irais à la recherche de mon grand-père. Comme à sa rencontre". avec celle de la quatrième de couverture "Des années après, j'irai, moi, à la recherche de cet homme qui fut mon grand-père. Comme à sa rencontre." A la rencontre de ce moi qui s'est effacé, et de ce simple "s" soulignant une condition indéfinie. Condition humaine. Indéfinie marge de liberté.


Et puis ce qui frappe c'est ce Pierre, certes beau prénom s'il en est, mais qui ne saurait remplacer un papa qui ne s'exprime pas.
Un livre à la rencontre de soi.
Un livre beau comme un homme.
Commenter  J’apprécie          329
La part du fils Jean-Luc Coatalem Stock. Août 2019
#LaPartDuFils #NetGalleyFrance

"Dans ce pays de vents et de landes, on ne parle pas du malheur. Des années après, j'irai, moi, à la recherche de cet homme qui fut mon grand-père. Comme à sa rencontre. Et ce que je ne trouverai pas, de la bouche des derniers témoins ou dans les registres des archives, je l'inventerai. Pour qu'il revive. "
Presqu'île de Crozon, en face de Brest, juillet 1943 un homme est arrêté par la Gestapo. Cet Homme c'est Paol Coatalem, le grand-père de Jean-Luc. Il ne reviendra pas.
Le silence fait le deuil ou le deuil est fait de silence, une seule chose est sure le choc a été brutal, Pierre le fils de Paol et le père de Jean-Luc s'est muré dans le silence.
Jean-Luc veut savoir, comprendre le pourquoi, le comment, qui était cet homme dont il descend. le chemin sera long quasi obsessionnel, la route le mènera des côtes bretonnes à Compiègne puis en Allemagne ... Une route douloureuse mais indispensable à celui qui veut savoir. Connaitre mieux ce grand-père trop tôt disparu n'est-ce pas à la fois lui rendre la place qu'il n'a jamais cessé d'occuper et en même temps apprendre qui l'on est d'où l'on vient ?
Un texte fort et émouvant. Mêlant faits avérés et fiction Jean-Luc Coatalem retrace la vie de ces nombreux hommes et femmes qui, un jour , ont pris ces trains pour nulle part.
Merci aux éditions Stock pour ce partage.
Commenter  J’apprécie          300
« Écrire comme un travail de deuil ». Jean -Luc Coatalem admet porter ce livre en lui depuis des années.

Un grand-père, ancien militaire et résistant, évaporé pendant l'occupation, emprisonné par dénonciation et déporté. Une perte familiale si lourde que la douleur est muette et le souvenir enfoui dans le coeur des proches. On ne dit rien, on n'évoque rien, comme un arrêt sur image.

Peut-on se délester du passé ? Un petit-fils peut-il se voir contraint, instinctivement, de reprendre le fardeau, chercher à l'alléger par la compréhension des faits, rendre vie et justice à l'absent? J'aime l'idée du passage de témoin intergénérationnel, ces secrets ou pudeurs d'une lignée qu'on se transmet sans le vouloir, en dépit du silence de ceux qui ont subi les faits et des difficultés à retrouver les traces historiques.

L'auteur se fait l'enquêteur du drame. Une quête intime et un travail d'archéologue par les lieux revisités et les photos dénichées, accompagnés d'un exercice narratif fictif pour remplir les blancs et raconter des faits possibles. La plume est belle, poétique, visuelle et intelligente dans le devoir de mémoire. L'ensemble est assez émouvant, en dépit d'un contexte maintes fois relaté dans les témoignages de la seconde guerre mondiale.

Mon plaisir de lectrice fut sans doute complété par ma connaissance des lieux décrits et cette identité bretonne que je partage avec l'auteur.
Commenter  J’apprécie          281
« Et c'est pour cette raison que j'aurais aimé que, comme un père avec son fils, une fois, durant toutes ces années, il me parlât de lui, de son père à lui, et côte à côte ou face à face, il aurait égrené un peu de la tragédie et je lui aurais répondu, comme un fils avec son père, que je comprenais tout ça, bien sûr, que j'en serais le gardien et le passeur à mon tour, puisque ce qui nous avait forgés m'appartenait […]. »

Dans ce récit aux forts accents biographiques, mais dont son auteur tient à souligner en postface la part fictive, reconstituée, reconstruite peut-être, Jean-Luc Coatalem revient sur ses origines paternelles.

Son grand-père, Paol, arrêté en 1943, sans motif évident, finira son existence en Allemagne, au camp de travail de Dora. C'est là que les nazis mettaient au point et construisaient les V2. Des milliers de déportés y sont morts, dont plusieurs milliers de français, qui creusaient les tunnels nécessaires pour ces armes puissantes, dans des conditions épouvantables.

Le père de l'auteur, Pierre, par contrecoup est resté taiseux. Il a toujours évité le sujet de l'arrestation et de la déportation de son père, Paol. Il a été un père présent pour ses enfants, mais pas très communicatif.

C'est donc le petit-fils, Jean-Luc Coatalem, qui entreprendra ce travail de mémoire. Et c'est cette enquête qu'il nous relate dans ce beau récit, superbement écrit. Les traces sont minces, les témoins plus très nombreux et les mémoires défaillantes. Mais il arrivera tout de même à trouver quelques réponses et quelques hypothèses sur ce qui a causé l'arrestation de Paol.

En lisant ce récit, où la Bretagne est très présente, j'ai aussi retrouvé des accents que son auteur a également mis dans sa biographie de Victor Segalen, lue il y a quelques mois.
Commenter  J’apprécie          272




Lecteurs (391) Voir plus



Quiz Voir plus

Retrouvez le bon adjectif dans le titre - (2 - littérature francophone )

Françoise Sagan : "Le miroir ***"

brisé
fendu
égaré
perdu

20 questions
3662 lecteurs ont répondu
Thèmes : littérature , littérature française , littérature francophoneCréer un quiz sur ce livre

{* *}