Le fossoyeur faisait la pause. Il avait lâché pelle et pioche, avait empoigné un litre de vin. Adossé à la paroi de la tombe, il se désaltérait à même le goulot. Sans quitter la bouteille, il porta deux doigts à sa casquette, quand Worms passa. Il avait le cuir couleur de pain cuit, le nez fleuri.
Worms s'arrêta.
---Beaucoup de travail ?
L'homme se torcha les lèvres du revers de la main.
---Trop, monsieur. On n'en finit pas.
Il alla enfouir la bouteille à moitié vide sous sa veste qu'il avait jetée au bord du fossé, et de ses bras croisés pris appui sur le manche de la pelle.
---Février est mauvais, dit-il. Froid, humidité, ça vous nettoie en quinze jours autant de monde qu'en trois mois ordinaires. Et nous, qu'est-ce qu'on trinque ! Des jours entiers à remuer de la boue. Et, y'a pas, le boulot, faut qu'il soit fait ! Les morts, ça n'attend pas. Notez qu'on leur demanderait d'attendre, y seraient point contrariés !
La grosse lampe très basse dessinait un rectangle lumineux au centre du bureau couvert de dossiers. Le reste de la pièce demeurait dans la pénombre.
L'homme était seul. A pleines mains, il arrachait des tiroirs du meuble, fébrilement ouverts, des cahiers, des lettres, qu'il feuilletait nerveusement. Par moment, quand il se penchait pour mieux lire, un rayon atteignait son visage luisant de sueur.
--- Comment est-il, ce garçon ?
--- Il milite à la S.F.I.O. Actif, beau parleur. Beaucoup d'ascendant sur ses camarades d'atelier. Nos Bretons sont ainsi : ils béent d'admiration devant le premier étranger venu qui les changent de leur accent pesant !
--- Un étranger, lui ?
--- Disons plus exactement qu'il n'est pas du coin. Si j'ai bonne mémoire, il a vécu un moment à Nantes, ou à Saint-Nazaire. (...) Il est arrivé à Douarnenez pendant la guerre.
Mourelle était âgé, sa femme était jeune et jolie. Il était distant, on ne l'aimait pas. On le lui ferait payer. Bientôt la ville entière éplucherait cette vie. Les journaux ne tarderaient pas à entrer dans la danse. Worms lisait déjà les formules hautement morales du bien-pensant Ouest-France, et les allusions croustillantes de l'autre feuille locale. Le scandale...
Chronique consacrée aux grands noms de la littérature policière, et animée, depuis octobre 2018, par Patrick Vast, dans le cadre de l'émission La Vie des Livres (Radio Plus - Douvrin).
Pour la 31ème chronique, le 11 septembre 2019, Patrick présente l'auteur français Jean-François Coatmeur.
Patrick Vast est aussi auteur, notamment de polars. N'hésitez pas à vous rendre sur son site : http://patricksvast.hautetfort.com
Il a également une activité d'éditeur. À voir ici : https://lechatmoireeditions.wordpress.com/
La page Facebook de l'émission La Vie des Livres : https://www.facebook.com/laviedeslivres62
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