Après «
Bienvenue au club » et «
le Cercle fermé », "
Le Coeur de l'Angleterre est le troisième opus que
Jonathan Coe consacre à l'histoire politique de l'Angleterre des années 50 à nos jours à travers les destins croisés de plusieurs membres de la famille Trotter et de leur entourage.
Ici, il se penche au chevet de l'Angleterre des 10 années qui ont précédé le Brexit et tente de comprendre ce qui a bien pu amener une majorité d'anglais à vouloir sortir de l'Europe. Pour cela, il convoque notamment le souvenir des Jeux Olympiques de 2012 qui réveillèrent chez beaucoup d'anglais une ferveur nationaliste enfouie, celui des émeutes de Londres qui témoignèrent des tensions raciales et économiques aggravées par des années de politiques de restrictions budgétaires. Il évoque aussi les attentats islamiques qui remirent en cause la confiance envers le modèle communautariste britannique et rappelle le comportement désinvolte de la classe politique britannique dont les errances aboutirent au référendum.
En personnage central, nous retrouvons Benjamin en écrivain au petit pied vivant confortablement grâce à l'explosion des prix de l'immobilier londonien. Autour de lui gravitent Lois, sa soeur, qui ne surmonte pas le traumatisme de l'attentat dans lequel elle a perdu son amour de jeunesse, Sophie, la fille de Lois, qui se frotte vaillamment aux embuches de la carrière universitaire et voit son mariage vaciller à l'approche du référendum, et Colin, son père, maintenant veuf, qui ne se reconnaît plus dans un monde qui a tant changé et affiche des idées de plus en plus rétrogrades. Et puis, Doug, l'ami de toujours, devenu journaliste à succès, d'appartenance plutôt progressiste ce qui ne l'a pas empêché d'épouser... une femme richissime, et dont la fille embrasse sans états d'âme toutes les causes qui peuvent fâcher ses parents et ce, sans s'embarrasser des dégâts collatéraux.
Jonathan Coe est un magnifique conteur et mène son récit d'un style limpide. L'intérêt ne faiblit jamais tant l'intrigue se déploie avec fluidité et virtuosité. le roman s'ouvre sur le récit des obsèques de la mère de Benjamin qui permet de retrouver plusieurs des personnages quittés à la fin du « Cercle fermé ». C'est une scène pleine d'émotion et de mélancolie mais aussi ponctuée de pointes d'humour comme ce sera le cas tout au long du livre qui n'est jamais pesant et même parfois très drôle. Au travers de ses personnages et des péripéties de leurs vies,
Jonathan Coe illustre petit à petit l'engrenage infernal qui a mené au Brexit et au schisme profond qu'il a provoqué tant dans la société que dans les relations familiales et amicales. Il brosse aussi le portrait d'une Angleterre divisée, nostalgique d'un passé glorieux, gangrenée par le complotisme et le racisme de certains, les poussées nationalistes et les inégalités sociales.
Voici donc un roman très réussi, un régal de lecture, l'un de ces livres qu'on n'a pas envie de terminer et que l'on quitte à regret.