Je n'avais jamais lu Colette.
Malgré son statut d'auteure devenue "classique".
Malgré sa dimension d'icône féministe.
Malgré sa biographie, follement romanesque et fascinante, qui dévoile une femme incroyablement libre, célèbre et célébrée. Peut-être est-ce d'ailleurs à cause de cette célébrité que je n'avais pas franchi le pas, le cap des ouvrages de la romancière qui fut tellement bien plus que ça... Je crois que j'avais un peu peur que cette célébrité à la
Sarah Bernhardt. Peur de découvrir des textes qui ne valaient pas leur réputation ou qui ne s'appuient que sur celle de leur auteure... Et puis je craignais le vieillissement de la plume de Colette qui l'aurait rendue désuète.
Et bien, je l'avoue sans ambages: j'ai été foutrement, triplement idiote, l'esprit englué dans les préjugés. C'est à un extrait photocopié de "
Sido" trouvé par hasard que je dois d'en être sortie, d'être aujourd'hui en mesure d'écrire que je me suis trompée sur Colette et que j'en suis heureuse. L'extrait en question qui parlait d'eau et de soleil, de maison chérie et de liberté m'a en effet semblé si beau, si poétique, si bien écrit qu'il m'a toute retournée. Je me suis alors rappelée cet exemplaire du "Blé en Herbe" qui traînait depuis des lustres sur les rayonnages de ma bibliothèque... Il ne m'a pas fallu bien longtemps pour le retrouver, me jeter sur lui, le dévorer.
"
Le blé en Herbe" -le titre est magnifique et bien sûr qu'il m'a rappelé la chanson de Dalida- est une lecture solaire, un roman d'amour et d'initiation, un hymne à l'extrême jeunesse et aux émois adolescents. Il m'a rappelé, d'une manière un peu étrange et pourtant familière, le très bel "Appelle moi par ton nom", comme si l'un était l'aïeul de l'autre...
Phil et Vinca sont les rejetons adolescents de deux familles de la bourgeoisie parisienne qui viennent passer chaque été, depuis toujours ou presque, dans une villa des Côtes-d'Armor, face à l'océan. Cet été là, Phil a seize ans et Vinca quinze printemps. Les deux amis d'enfance ne tardent pas à se rendre compte qu'entre eux et qu'en eux quelque chose a changé depuis le dernier été. La pêche, la baignade et les châteaux de sable ne les amusent plus comme autrefois et cette idée les étreint presque douloureusement, comme étreint toujours la conscience de l'enfance qui se termine et celle d'un avenir incertain. Et puis, et puis... Il s'agacent Phil et Vinca, ils s'exaspèrent, ils s'impatientent... Ils s'aiment mais ne se le disent pas encore, pas vraiment. Ils se désirent, mais il ne le savent pas encore, pas vraiment. Autour d'eux, les "ombres" ne se rendent compte de rien, forcement: leur monde n'est pas le même, pas tout de suite. Phil et Vinca ont encore un peu de temps avant d'en être, de devenir des adultes. Ils ont pour eux et encore un peu l'incandescence de l'adolescence.
C'est alors que surgit au détour d'un chemin de sable une femme brune, toute vêtue de blanc. Elle a le double de l'âge de Phil et comme dans la chanson de Dalida, elle trouve sans doute ce dernier "beau comme un enfant, fort comme un homme"... Son apparition sur le chemin des goémons a quelque chose d'irréel, pourtant ce qu'elle fera vivre à Phil dans la pénombre de sa villa n'aura rien d'éthéré et l'adolescent dès lors délaissera sa Vinca, le coeur coupable, pour les bras de
Camille Dalleray.
"
Le blé en herbe" qui brûlait déjà dans les feux de l'été se mue ici en roman d'apprentissage et on suit les pas de Phil qui avec l'arrivée de septembre et le départ de
la femme de trente ans (pour paraphraser
Balzac) va perdre ce qui lui restait d'enfance et d'innocence.
J'ai ressenti tant de choses à la lecture du "Blé en Herbe", que j'ai bien du mal à ordonner ce que je m'apprête à écrire...
J'en ai profondément aimé l'écriture, que j'ai trouvé à la fois vivante et poétique, ciselée, chantante comme une rivière qui éclabousse ses rives, qui serpente entre les rochers et dont le soleil vient chercher le reflet. C'est une langue à la fois précise, élégante, ciselée et rebelle, audacieuse, sensuelle. Offerte.
J'en ai aimé les paysages, la Bretagne si bien décrite avec ses couleurs, mais aussi et surtout ses parfums, ses odeurs mêmes, ses sensations. Dans "
Le Blé en Herbe", on sent et ressent le paysage, la mer, les plantes, les pierres et le sable plus qu'on ne les voit. J'en ai aimé le rivage, les vagues, les coquillages, les pique-niques, les sentiers ensablés et les parties de pêche. le vent qui échevèle et les embruns.
J'en ai aimé le propos, féroce comme l'enfance, plein d'élan comme l'adolescence et sensuel comme la fin de l'été et les derniers feux du mois d'aout. J'en ai aimé le gout suranné qui se mêle à l'insolence et l'audace. J'en ai aimé la pudeur qui joue étrangement avec le désir. J'en ai aimé la douce cruauté, comme la première étreinte blanche du soleil en juillet. J'en ai aimé les personnages si vivants, si imparfaits mais attachants. J'en ai aimé la fin autant que le début.