"Soir" Renée VIVIEN
La lumière agonise et meurt à tes genoux.
Viens, ô toi dont le front impénétrable et doux
Porte l’accablement des pesantes années :
Douloureuse et les traits mortellement pâlis,
Viens, sans autre parfum dans ta robe à longs plis
Que le souffle des fleurs depuis longtemps fanées.
Viens, sans fard à ta lèvre où brûle mon désir,
Sans anneaux, – le rubis, l’opale et le saphir
Déshonorent tes doigts laiteux comme la lune, -
Et bannis de tes yeux les reflets du miroir…
Voici l’heure très simple et très chaste du soir
Où la couleur oppresse, où le luxe importune.
Délivre ton chagrin du sourire éternel,
Exhale ta souffrance en un sincère appel :
Les choses d’autrefois, si cruelles et folles,
Laissons-les au silence, au lointain, à la mort…
Dans le rêve qui sait consoler de l’effort,
Oublions cette fièvre ancienne des paroles.
Alain BORNE
L'amour finira avant que j'aie l'Amour
je le verrai comme d'une prison
on voit les fleurs
si belles
qu'elles ont l'air de marcher
et que les yeux sont en larmes
de se répandre jusqu'à elles.
L'amour finira mais je dirai
qu'une certaine nuit
de drap de paupière de vent et de cigale
je suis entré dans le jour de ton corps.
Je dirai
que j'ai vécu de toi
et que je meurs
en descendant pétale à pétale
l'escalier du souvenir.
"Je rêvais de toucher... " Georges BATAILLE
Je rêvais de toucher la tristesse du monde
au bord désenchanté d'un étrange marais
je rêvais d'une eau lourde où je retrouverais
les chemins égarés de ta bouche profonde
j'ai senti dans mes mains un animal immonde
échappé à la nuit d'une affreuse forêt
et je vis que c'était le mal dont tu mourais
que j'appelle en riant la tristesse du monde
une lumière folle un éclat de tonnerre
un rire libérant ta longue nudité
une immense splendeur enfin m'illuminèrent
et je vis ta douleur comme une charité
rayonnant dans la nuit la longue forme claire
et le cri de tombeau de ton infinité.
"Mes amis" Raymond QUENEAU
Une abeille en toile cirée
demande le silence
une sauterelle un peu blé
vole vers la France
la coccinelle apeurée
veut une revanche
ces insectes sont mes amis
vos gueules tas de tanches