Je reprends conscience par à-coups.
Pourquoi je ne l'ai pas vu venir ? 19 mois de taule, la libération. Retour à l'air libre, mais pollué. J'exulte de joie, même si je n'ai plus rien à faire. J‘ai appris au cours de ces derniers mois à m'endurcir, à me forger un caractère, à accentuer ma solitude. 19 mois pour avoir tabassé mon frangin qui a baisé ma femme. Résultat, il est un légume en chaise roulante et moi, je suis libre…
La souffrance est telle que je n'essaie même pas d'ouvrir les yeux. C'est comme si quelqu'un continuait à me cogner la tête méthodiquement, violemment. Les nausées me donnent l'impression de tanguer et je crois que je vais vomir.
Pourquoi s'enfuir ? Changer la batterie et démarrer la BM. Rouler à tombeau ouvert, les petites routes de campagne. Et puis il y a ce gite à l'écart de la civilisation, genre de vieille ferme à peine réaménagée. La vieille a l'air gentille, même si elle pue la vieille. Elle me propose des sandwichs et une gourde remplie de cidre lorsque je pars en promenade. Elle est au petit soin pour moi. Elle ne doit pas souvent avoir de la visite, surtout des gens qui viennent de la capitale pour s'enterrer quelques temps de ce coin perdu, ce bout de terre paumé. J'ai acheté plusieurs cartes IGN détaillées du coin, justement pour m'évader, respirer le bon air de la campagne, cet air de solitude et de bien-être. Je crapahute du matin au soir.
Je reste un long moment à flotter ainsi, remontant des limbes ou n'importe quoi d'autre qui y ressemble. Je suis allongé sur quelque chose de dur, peut-être par terre. Ça sent le moisi, l'humidité enfermée. Mes idées se remettent en place une à une, incertaines. La maison abîmée. le vieux en salopette. Je me rappelle aussi son invitation pour le café, ma sensation désagréable en face de lui.
Ce matin, la vieille me trace un chemin non répertorié sur la carte. Vous verrez me dit-elle, ça monte un peu, mais une fois en haut, vous aurez une vue magnifique sur la région, le soleil qui se couche dans la vallée, un chemin à l'ombre de la forêt. Allez, prenez cette bouteille et ce sandwich au pâté de foie.
Son regard blanc levé sur moi. Juste avant le choc.
Pourquoi me suis-je arrêté ? Pourquoi n'ai-je pas continué ma route sur ce chemin pentu et sinueux à travers la forêt ? Tout ça, juste pour un café que je pressentais dégueulasse. le vieux, si vieux qu'il m'en a attendri…
Je fais un geste de défense, anticipant le coup dont le souvenir me revient brusquement ; le mouvement me secoue, m'arrachant un cri de douleur fulgurante dans la tête.
Pourquoi suis-je enchainé dans ce qui ressemble à une vieille cabane, les fers aux chevilles, comme
des noeuds d'acier. Pour qui me prennent-ils ? Un esclave ? Un chien ? Suis-je devenu leur nouveau clébard ?
Je m'évanouis à nouveau.
«
Des Noeuds d'acier », se méfier des vieux en salopette.
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