Splendide catalogue de l'exposition dédiée au paysage organisée par le musée d'art moderne André Malraux du Havre en hommage à Nicolas de Staël pour le centième anniversaire de sa naissance l'année dernière.
Je voudrais simplement citer cette lettre que lui adresse son ami René Char le 8 avril 1952 et reproduite page 69 :
"Tu étais frais comme le cresson de ma rivière natale, et dispos comme un chardonneret sur la branche du cyprès, Cher Nicolas, ce midi. J'ai été content et content de t'entrevoir.
Je t'aime bien, durablement.
Ton tableau a l'odeur d'un bouquet d'étoiles de chaleur. Tout s'y passe dedans comme le coeur et l'exigence, la difficulté de notre esprit et la simplicité de notre sensibilité ardemment le demandent. Il est beau et je le regarderai longtemps. Je suis à l'Isle vendredi après-demain.
Fraternellement.
René Char"
Tout est dit je crois. C'est pourquoi j'emprunte sa formule à René Char : "Il est beau et je le regarderai longtemps", tant ce livre invite à la contemplation.
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Le trait de Nicolas de Staël a toujours été tendu entre la puissance de l'intériorité créatrice et l'appel de la lumière solaire. C'est le hasard rencontré à travers l'expérience du monde sensible qui révèle un tableau portant en germe sa vie intérieure. Les dialogues entre le trait et la couleur, le monde visible et la pensée métaphysique, le mur de la grotte d'Altamira et le grain de papier, le paysage et l'atelier se retrouvent d'un seul geste dans l'oeuvre entier du peintre.
Altamira, Marie du Bouchet, (p.131)
Il y a dans l'expérience du paysage une puissance d'abstraction ou une abstraction en puissance. Elle met en jeu des données qui échappent aux prises de la figuration, à laquelle on croit trop souvent condamné l'art du paysage. C'est en travaillant sur elles que des paysagistes comme Mondrian et Kandinsky ont inventé l'abstraction. Si, malgré les liens qui l'unissaient à des peintres comme Magnelli ou Domela, Staël n'a jamais voulu faire partie du "gang de l'abstraction avant", c'est qu'il a toujours eu conscience de ce que son travail le moins figuratif devait au monde concret.. Il ne veut pas qu'on lui parle d'art "abstrait", parce qu' "il sait, il sent" que "le peintre aura toujours besoin d'avoir devant les yeux, de près ou de loin, la mouvante source d'inspiration qu'est l'univers sensible".
Abstraction, horizon, émotion, Michel Collot (p.48).
Nicolas de Staël rencontre René Char au début de l'année 1951, lors d'un déjeuner où le poète lui est présenté par Georges et Marguerite Duthuit. Entre eux l'amitié est immédiate, née de l'intuition qu'ils sont de la même lignée des grands instinctifs, ceux qu'anime un sang vif où bat une aile d'anxieuse altitude. Le poète, ami des peintres, et le peintre, grand lecteur de poésie, sont faits pour se reconnaître. Staël, d'ailleurs, offre aussitôt à Char un dessin, vraisemblablement "Le Vol d'oiseaux" inspiré par un de ces ballets d'étourneaux qu'on appelle un murmure. A l'évidence le poète, de sept ans l'aîné de Nicolas, voit dans son cadet un "allié substantiel" et pressent l'urgence dont il brûle, les périls de son idéal intransigeant, le geste risqué où sa main de peintre l'engage dans "une action décisive".
L'Orée des bois, Renaud Ego, p. 25
L'espace pictural est un mur mais tous les oiseaux du monde y volent librement. A toutes profondeurs.
A Pierre Lecuire, Paris, 3 décembre 1949.
Un continuel voyage sur une mer incertaine, Federico Nicolao, p. 198.
A y regarder attentivement, Staël, né deux ans après Pollock, dix ans après Rothko, arrive également après d'autres chantres du mystérieux appareil pictural qui a transformé le monde et les choses : Kandinsky, Mondrian et Malevitch. Il sait encore s'étonner de la relation entre ce qui paraît sur la toile et ce qui se révèle sous ses yeux. D'où cela lui vient-il, sinon du sentiment de surprise qui le saisit quand il voit surgir, aussi bien dans les dessins et les tableaux que dans son regard, la possibilité de distinguer des choses, de les désigner, de se laisser envahir par elles ? Et tout cela à l'aide des matériaux très ordinaires qu'il utilise pour peindre : pas d'expérimentation technique particulière chez lui, comme le souligne Anne Malherbe, mais un attachement aux outils les plus élémentaires et au regard.
Un continuel voyage sur une mer incertaine, Federico Nicolao, p. 179.
Jean-Louis Andral. Monaco fête Picasso.