Antoine Compagnon est professeur au
Collège de France et à Columbia University. En 2012, Philippe Val lui demande de tenir une chronique estivale à propos de
Montaigne.
Montaigne ? C'est qui ? Un vieux philosophe de XVIème siècle ? Qui cela peut-il intéresser de nos jours ? Tout le monde l'a oublié depuis belle lurette ! Mais bien sûr, tous les amis du génial Bordelais savent qu'il n'en est rien, et
Antoine Compagnon relève le gant et s'attache à nous présenter la modernité de l'humaniste.
Première difficulté : comment choisir ? Car l'émission ne durera que quelques minutes. « Quiconque aurait osé découper
Montaigne et le servir en morceaux aurait été aussitôt ridiculisé, traité de « minus habens », voué aux poubelles de l'histoire. (…) Ensuite, choisir une quarantaine de passages de quelques lignes afin de les gloser brièvement, d'en montrer à la fois l'épaisseur historique et la portée actuelle, la gageure paraissait intenable. »
Pourtant,
Antoine Compagnon va accepter et ce petit livre passionnant rassemble quarante textes de trois pages et demie, abordant les sujets les plus divers. Les responsabilités politiques de
Montaigne qui, ne l'oublions pas, fut maire de Bordeaux pendant les guerres de religions et la peste. Sa fonction de magistrat, son besoin de vérité, sa philosophie du scepticisme.
Mais
Montaigne est aussi un être humain souffrant. Il est atteint de la gravelle (pierre aux reins) et doit accepter sa maladie, la douleur, la mort. Toutes ses réflexions l'amènent à vouloir profiter de chaque instant.
Sérieux, philosophique, ce livre ? Certes. Mais non pontifiant et austère. de nombreuses anecdotes nous permettent d'aborder l'auteur des « Essais » de manière plus amusante. « A Rouen, en 1562,
Montaigne rencontra trois Indiens de la France antarctique, l'implantation française dans la Baie de Rio de Janeiro. Il furent présentés au roi Charles IX, alors âgé de douze ans, curieux de ces indigènes du Nouveau Monde. Puis,
Montaigne eut une conversation avec eux. » A partir de là, l'auteur nous prouve combien
Montaigne est moderne. « Par un renversement que les «
Lettres persanes » de
Montesquieu rendront familier, c'est maintenant au tour des Indiens de nous observer. » Ils s'étonnent de voir des hommes forts, adultes, se plier à obéir à un enfant (le roi, je le rappelle, n'a que douze ans). Et que se passerait-il si le peuple arrêtait d'obéir ? de là à la résistance passive prônée par Gandhi, il n'y a qu'un pas.
Les Indiens s'étonnent aussi de voir une telle quantité de pauvres, alors qu'une poignée de riches dominent tout, possèdent tout. Il suffirait que cette majorité se soulève pour balayer cette injustice.
D'autres histoires sont abordées, si nombreuses, si variées, qu'on ne peut les citer toutes : l'accident de cheval dont fut victime
Montaigne, percuté par un poids lourd. J'entends « un de mes gens grand et fort, monté sur un puissant roussin (…) vint à le pousser à toute bride dans ma route, et fondre comme un colosse sur le petit homme et le petit cheval. » Plus loin « la chute d'une dent donne lieu à une petite fable sur la mort ».
Montaigne, comme moi, se sent bien dans sa « librairie » (sa bibliothèque), « son refuge contre la vie domestique et civile, contre l'agitation du monde et les violences du siècle. »
Montaigne, je le connaissais bien, je l'ai beaucoup pratiqué. Je l'ai retrouvé avec grand plaisir et j'ai découvert dans ce petit ouvrage des aspects que je ne connaissais pas, cependant.
C'est pourquoi cette lecture m'a vraiment beaucoup plu.