Ce livre dont le titre complet est "
Moi, Tituba sorcière...Noire de Salem" est paru pour la première fois au Mercure de France en 1986. Il s'agit pour moi d'une relecture.
L'histoire débute au XVIIe siècle à la Barbade, une île antillaise faisant partie des colonies britanniques.
La petite Tituba apprend très vite qu'elle est le fruit d'un viol, sa mère Abena a été en effet violentée par un des marins anglais sur le bateau négrier qui la menait vers les Antilles. Abena n'aime pas sa fille et ne lui témoigne aucun signe d'affection. La petite fille se réfugie auprès de Yao le nouvel amant de sa mère qui va beaucoup s'attacher à elle. Mais Abena blesse gravement le maître blanc qui veut abuser d'elle. Elle sera pendue sous les yeux de Tituba...Peu après, Yao est vendu et se suicide durant son transfert.
Tituba est alors recueillie par une vieille femme, Man Yaya, qui connait les simples et va lui transmettre tout ce qu'il faut savoir sur les plantes. Elle lui apprend aussi à communiquer avec les morts. A sa mort, Tituba n'a que 14 ans mais va se construire une case en pleine nature, à l'écart du village, elle est libre, elle n'appartient à personne. Un jour, elle tombe sous le charme de John l'Indien, un esclave bien traité par sa maîtresse, Susanna Endicott. Par amour pour lui et parce qu'elle se marie, elle renonce à sa liberté. Elle va subir de nombreuses humiliations et finir par provoquer (pour se venger) une maladie invalidante chez sa nouvelle maîtresse. Cette dernière qui a eu peur de perdre la vie à cause de Tituba et de ses pouvoirs, sans en avoir de preuve, vend le couple à un mystérieux et austère pasteur, Samuel Parris, qui va les emmener bien loin de la Barbade, jusqu'à Boston, puis jusqu'à la petite ville de Salem.
Là-bas, le destin de Tituba la rattrape : elle inquiète beaucoup les habitants de cette petite communauté puritaine, d'autant plus qu'un mystérieux mal se répand chez les enfants qui piquent des crises d'hystérie sans aucune raison apparente. L'hystérie collective gagne... Tituba est alors accusée de sorcellerie, avec pour complices deux autres femmes de la communauté, Sarah Good et Sarah Osborne, mais elles deux sont... blanches.
Voilà un roman qui mêle fiction, littérature et histoire. Tituba et Samuel Parris ont réellement existés. Hester Prynne qu'elle rencontrera en prison et qui la conseillera habilement est un personnage emprunté à la littérature ("
La Lettre écarlate" de
Nathaniel Hawthorne). Les autres personnages sont de pures inventions.
L'autrice s'appuie sur des éléments réels et connus de la vie de Tibuba. Elle a été en effet l'esclave de Samuel Parris. Elle a été accusée d'être une des sorcières lors des procès ayant eu lieu à Salem (Danvers aujourd'hui) en 1692. Plus de cent quarante femmes et hommes furent jugés lors de ces célèbres procès des Sorcières de Salem. A noter, les documents originaux de ces procès sont aujourd'hui conservés dans les Archives du Comté d'Essex.
Vingt seulement parmi les accusés seront exécutés. Les autres seront oubliés pendant deux ans au fond de leur prison puis amnistiés. Tituba faisait partie de ceux-là. On ignore la fin réelle de sa vie, on sait juste qu'elle a été à nouveau vendue, mais à qui ? C'est pourquoi l'autrice a inventé la fin.
Maryse Condé a voulu à travers son roman, réhabiliter ce personnage oublié de l'histoire, lui permettre de retrouver l'amour, de retrouver sa liberté, puis son pays natal. C'est un personnage attachant dont nous allons suivre la vie amoureuse et amicale ce qui ajoute beaucoup d'humanité à ce roman.
Le lecteur découvre le déroulement des procès des Sorcières de Salem et l'ambiance particulièrement hystérique dans laquelle ils ont eu lieu. On découvre aussi les actions des nègres Marrons et les premières révoltes des esclaves lors du retour (fictif) de Tituba dans les Antilles.
Tituba, à cause de sa couleur de peau et de ses connaissances connaitra le racisme, le fanatisme et l'intolérance elle qui voulait avant tout se dévouer aux autres, les soigner, soulager leurs souffrances. Elle deviendra le symbole de ce qui a été également le vécu de milliers de femmes noires, qui ont toutes été comme rayées de la grande Histoire par les historiens eux-mêmes.
Ce roman qui se déroule au XVIIe siècle, revêt une intemporalité étonnante, car il nous parle avant tout de la condition des femmes noires et des esclaves à l'époque coloniale mais aussi des croyances populaires et de l'emprise de la religion sur les mentalités de l'époque, une emprise qui existait aussi en Europe entrainant une peur irrationnelle des sorcières et de la sorcellerie (et donc du diable bien entendu).
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