Il s'agit du premier tome d'une série indépendante de toute autre. Il comprend les épisodes 1 à 6, initialement parus en 2015/2016, coécrits par
Amanda Conner et Jimmy Plamiotti, dessinés et encrés par
Rafael de Latorre, avec une mise en couleurs de Marcelo Maiolo. Les couvertures ont été réalisées par
Amanda Conner, avec une mise en couleurs de
Paul Mounts. le tome s'ouvre avec une introduction d'une page rédigée par Palmiotti expliquant l'origine de cette série. Il comprend également la couverture variante réalisée par
Darwyn Cooke et celle réalisée par
Phil Hester.
Dru Dragowski est une adolescente au lycée, avec une intelligence supérieure à la moyenne et une idée fixe. Elle veut absolument devenir une superhéroïne car elle a l'intime conviction que des extraterrestres sont en train de préparer une invasion de la Terre. Elle vit à Tampa, en Floride, avec ses parents aimants et quelque peu débonnaires, et sa grande soeur Amy qui invite parfois son copain Eddie. Elle prépare souvent ses plans foireux avec sa copine Tana qui se fait maltraiter par son père que sa femme a quitté. Alors que le récit commence, Dru Dragowski engage un SDF (David Cooke, surnommé Wax) pour agresser ses parents à la sortie d'un théâtre et les dépouiller. En récréant ainsi les circonstances de l'agression de Martha et Thomas Wayne, elle est sû
re de récupérer des superpouvoirs qui lui permettront d'assumer l'identité de Paladina et combattre ces envahisseurs venus d'une autre galaxie.
Entretemps, il lui faut se rendre en cours où elle s'endort une fois encore. le professeur l'envoie chez la principale Kathy Alvarez, elle y est escortée par Kevin Heaton (élève exemplaire, mais peu apprécié des autres). Après s'être fait passer un savon, elle rentre chez elle, où elle assiste aux facéties d'Eddie dans la piscine familiale (il se déshabille pour inciter Amy à en faire autant). La mè
re de Dru applique une solution radicale et pacifiste qui assure qu'Eddie n'aura plus jamais envie de recommencer. le soir venu, Dru espionne le pè
re de Tana, pendant que le SDF (appelé Wax) prend des initiatives. Il ne lui reste plus qu'à essayer d'autres méthodes pour acquérir des superpouvoirs.
Aftershock est un éditeur récent dans le monde des comics, créé en 2015, mais qui a rapidement accueilli des grands noms des comics comme
Warren Ellis,
Mark Waid ou encore
Garth Ennis, et donc pour la présente série :
Amanda Conner &
Jimmy Palmiotti. Il s'agit du duo qui a remis Harley Quinn sur le devant de la scène, à commencer par Hot in the city en 2013. Dans l'introduction, Palmiotti explique qu'il s'agissait de raconter l'histoi
re de la naissance d'une héroïne, plutôt que celle d'une superhéroïne, de montrer une jeune demoiselle créative et intelligente, mais persuadée de la possibilité d'obtenir des superpouvoirs. Les coscénaristes développent donc leur récit sur cette base : Dru pleine de ressources est persuadée qu'en recréant des conditions d'origines secrètes de superhéros de comics, elle pourra elle aussi finir par acquérir des superpouvoirs.
Dès la première page, le lecteur ne sait pas trop sur quel pied danser. Les auteurs lui en donnent pour son argent en termes de narration, avec les pensées de Dru Dragowski détaillées dans des cellules de texte, et cette jeune femme est tout le temps en train de planifier et de repasser les étapes de son plan dans sa tête. Il y a également des séquences d'action muettes, mais globalement le lecteur ressent la volonté des auteurs de raconter une histoire consistante. le résultat se lit facilement, sans avoir l'impression d'être gavé par des monceaux d'information. L'accès aux pensées du personnage principal permet à la fois de comprendre ce qu'elle prépare et de comparer avec ce qui se passe réellement. Il permet également de se faire une idée de sa personnalité car Conner & Palmiotti savent faire passer son état d'esprit dans ses pensées.
Les coscénaristes développent donc leur intrigue : Dru Dragowski réussira-t-elle à acquérir des superpouvoirs ? En tout cas, pas du premier coup, ni du deuxième. En plus elle va devoir souffrir, entre autres parce que sa copine Tana n'a pas trouvé d'araignée et qu'elle doit se soumettre à la piqû
re de fourmis de feu (et ça fait mal, ces petites bêtes-là). le lecteur sourit devant les références à des origines secrètes de superhéros, et à la maniè
re dont Dru tente de les mettre en oeuvre (non Dru, n'essaye pas les rayons gamma !). En parallèle, Dru continue de rêver à cette invasion extraterrestre, ce qui permet aux auteurs d'inclu
re des séquences avec la superhéroïne imaginaire Paladina. Ils montrent également l'environnement dans lequel Dru évolue : sa copine et son père violent, son meilleur copain qui voudrait bien devenir plus que ça, ses parents aimants, la principale du lycée qui la connaît bien, et ce SDF inoffensif que ses parents accueillent dans une tente plantée dans leur jardin. Ces séquences sont aussi l'occasion de constater comment Dru manipule son monde, avec une dextérité qui fait également sourire.
Le lecteur apprécie également que Dru Dragowski et les autres personnages évoquent leurs références culturelles qui ne sont pas les mêmes en fonction de leur âge. Par exemple, Eddie (le copain d'Amy, la soeur de Dru) cite la dernière phrase du discours de
Martin Luther King dans lequel il évoque son rêve, sans en connaître
la provenance, alors que les parents de Dru l'identifie immédiatement. Bien sûr, Dru dispose de références en matiè
re de superhéros et de leurs origines secrètes, allant de classiques sous-entendus (Peter Parker se faisant mordre par une araignée, mais elle était radioactive celle-là) à d'autres moins célèbres comme Daimon Hellstrom ou encore Painkiller Jane (un clin d'oeil à une aut
re des créations des auteurs, voir The 22 brides). Mais la cultu
re de Dru Dragowski ne s'arrête aux superhéros, et elle également capable de tenir une discussion bien informée avec le pè
re de Kevin Heaton, qui travaille sur la base de lancement de Cap Canaveral. Au fil des pages, le lecteur peut donc s'amuser à repérer les références culturelles qui vont du festival Burning Man à l'utilisation de nunchakus.
Le premier contact visuel avec Dru Dragowski se fait par le biais des couvertures qui mettent en avant sa jeunesse, sa détermination, et une forme d'autodérision, plus ou moins discrète en fonction des épisodes, pour le plus grand plaisir du lecteur.
Rafael de Latorre réalise des dessins descriptifs, avec un bon niveau de détails, une approche convaincante de Tampa et de sa région. de séquence en séquence, le lecteur peut contempler les détails du Volskswagen Combi conduit par Dru, l'ameublement de la salle de classe et du bureau de la principale, la chamb
re de Dru, la chamb
re d'hôpital dans laquelle elle est amenée à faire un séjour (ça pique vraiment fort les fourmis de feu), la base de lancement de la NASA. L'artiste ne dessine pas ces endroits avec une précision photographique, mais il leur donne assez de volume et de particularités pour qu'ils deviennent réels aux yeux du lecteur. pour les scènes d'extérieur, Marcelo Maiolo fait baigner les objets et les personnes dans des couleurs un délavées, attestant de la forte luminosité.
Rafael de Latorre représente les personnages avec des morphologies normales, de la sveltesse de Dru et Tana, à l'embonpoint du pè
re de Dru. Les adolescents ressemblent à des adolescents et les adultes portent les marques du temps qui passe, sans exagération. Il n'y a que Wax qui dispose d'une musculatu
re développée, ce qui est expliqué par la suite. Même Paladina conserve une silhouette aux mensurations normales pour une adolescente. Lors des séquences imaginées par Dru avec les extraterrestres, de Latorre continue de dessiner avec cette même approche réaliste et un peu simplifiée, et Maiolo conserve cette impression de surexposition pour souligner qu'il s'agit de séquences oniriques. Les dessins sont en phase avec la natu
re du récit, présentant un monde un peu aseptisé (allant de pair avec la forme partielle de naïveté de Dru), assez détaillé pour qu'il soit concret, avec des personnages qui sourient régulièrement et qui ne semblent pas menaçants ou écrasés par les responsabilités. Ils accompagnent les moments humoristiques de la série (qui sont réguliers et drôles), sans les exagérer, sans les tirer vers la parodie.
Ce premier tome de cette nouvelle héroïne surprend par son ton personnel qui se démarque de l'ordinai
re des séries de superhéros. Comme l'indique
Jimmy Palmiotti dans son introduction, il est possible de considérer ce récit au premier degré, pour une aventure amusante et décalée d'une jeune femme intelligente persuadée qu'elle peut acquérir des superpouvoirs et qui s'y emploie activement. Les dessins présentent des environnements agréables et ensoleillés, avec des personnages sympathiques et amicaux, sans tomber dans une édulcoration fade ou gnangnan. Il est également possible d'y voir un commentaire sur l'état des superhéros, sur la maniè
re datée dont ils acquièrent leurs superpouvoirs, comme si ces méthodes étaient restées bloquées dans le années 1960 pour les plus récentes. Il est possible aussi de se laisser charmer par Dru Dragowski, son entrain, son esprit d'initiative, sa capacité à se moquer d'elle-même, et son courage bien réel.