De Pietrasanta en Italie, à Sartène en Corse, l'auteur nous entraîne sur les pas du jeune Giovanni Bonucelli, contraint à l'exil. le lecteur découvre alors l'Italie des Carbonari puis les tragédies induites par la Révolution de Juillet 1830, qui endeuillent la ville de Sartène. Seize chapitres qui sont un rappel de l'Histoire, de la politique de l'époque, de la guerre de clans, de vendettas... C'est aussi une irruption dans la société d'artisans italiens installés à Sartène et dans la région. Au fil du temps et des rencontres, Giovani, habile horloger en Italie, apprendra le métier de maçon et deviendra aussi un excellent greffeur reconnu pour la qualité de son travail.
Beau portrait de cette société de cette première moitié du XIX ème siècle, superbes peintures de l'austère ville de Sartène et de la vie de cette cité, magnifiques descriptions de paysages à couper le souffle.
Chacun de ces chapitres se termine par quelques vers et tout au long de ce roman, l'auteur ponctue le texte de références historiques. Un voyage dans le temps, qui n'a rien d'une agréable villégiature, mais qui dépeint les us et coutumes d'une petite société ancrée dans les traditions séculaires (procession du Catenaccio) et enfermée au sein de ses montagnes.
Belle écriture, roman instructif et riche en événements. Roman dont je conseille la lecture.
Commenter  J’apprécie         160
Cinq étoiles pour un livre sur mes lieux et mes lares, et au diable la partialité !
Le personnage principal n'est pas le jeune toscan exilé, — il n'est que le témoin —, mais bien le bourg de mon enfance dont la prétention d'être la plus corse des villes corses témoigne bien de ses défauts : orgueil et ressentiment. Mais revenons à Jean le toscan et à son oncle, u ziu untu e finu, cousin de Gribouille, qui pour le soustraire à un hypothétique péril, l'envoie en Corse à l'épicentre de la querelle la plus longue et la plus sanglante du siècle. Toutes ces aventures donnent l'occasion à l'auteure de faire revivre la période la plus animée et la plus active de cette région, même si la richesse produite fut bien mal répartie. La description fouillée et précise de ce territoire fraîchement français est convaincante et amusante, grâce à une langue riche et bien maniée. L'envol d'une poule faisane page 177 m'a surpris et étonné, mais renseignement pris, pas d'impair, ce gibier disparu était au XVIIIe particulièrement abondant en Corse et en Provence. Enfin s'il est difficile d'être nostalgique de cette épique époque, la libre circulation des quidams, sans quota, ni visa me parait être une liberté essentielle, sacrifiée pour une sûreté illusoire.
Commenter  J’apprécie         60
A première vue, Bastia ne le dépayse guère. Avec ses maisons hautes, on dirait une petite Gênes. La rue principale, longue et étroite, le conduit jusqu'à la demeure du signor Nicolao Santelli, dont on lui a dit qu'il est le meilleur ami des Italiens pauvres.
Ce philanthrope, à qui il remet un billet, le reçoit avec les manières d'un homme rompu à l'exercice de la solidarité envers ses compatriotes. Peu curieux de connaître les raisons de sa présence, il ne s'inquiète que du montant de son pécule et rassuré de le savoir solvable lui conseille la maison Tellier, où on lui procurera un couchage honnête et un souper revigorant. Qu'il se présente demain chez le capitaine Casalta qui lui fournira les moyens de poursuivre son voyage. Giovanni est ému de constater que la sollicitude de l'oncle l'accompagne à distance et que, même dépourvu de tout viatique, un Italien en difficulté peut toujours compter sur un autre Italien. A deux pas du marché, l'hôtel Tellier dresse sa bâtisse imposante. Dès le vestibule, le décor fastueux de stucs, de dorures, de glaces, de lustres et de lampes impressionne le voyageur.
Le voyage de retour, serrés dans la diligence, dure deux longues journées jusqu'à Ajaccio avec des enfants remuants, suivies d'un jour dans une carriole où ils sont affreusement ballottés. Passé Propriano, Giovanni éprouve soudainement la curieuse impression de rentrer chez lui. Le paysage, qui lui a paru si chaotique et si sauvage lors de sa première traversée de la Corse, est devenu lisible et il revoit les yeux fermés l'écartement des griffes de l'Incudine, au nord la Punta di a Cioccia, au sud l'Omo di Cagna, au fond la Vacca Morta et les pics déchiquetés des aiguilles de Bavella. Une splendeur printanière éclate sur les flancs des collines qu'encadre la dentelure évanescente des cimes. L'air léger, les feuilles neuves qui se déplient, la verdure opulente jusque dans les fossés et le tapage d'or, d'argent, de blanc des fleurs du maquis lui font tourner la tête. Puis en remontant de Propriano il aperçoit Sartène, la mélancolique, la renfrognée, perchée sur son piton, et en dépit de lui-même son coeur bondit.
Tuer un homme n'est pas dans ses habitudes. Giovanni, assis sur une pierre, laisse son regard dériver au loin sur le trait bleu de la mer qui, biffant l'horizon, marque les limites de sa contrée natale. Dans son dos, la Rocca di Sala, la vieille citadelle des Lombards réduite à l'épure de ses remparts et, plus haut encore, la denture de marbre des montagnes.
Quand, la nuit venue, il parvient aux abords d'un pont en contrebas d'un rude escarpement, une lune écornée dessine en grisaille des fantasmagories. Il met pied à terre, conduisant le cheval par la bride. Il lève les yeux. La cité se dresse menaçante, construite sur d'énormes blocs rocheux. Il suit le chemin qui contourne la ville haute et arrive devant les abruptes façades des premières maisons. Qu'il s'en trouve de telles est en soi une bonne nouvelle, tant il a eu l'impression d'une forteresse d'un seul tenant.
Le pouls de la ville bat fort sous son couvercle de nuages. La grisaille domine la place attristée par les branchages d'hiver. Arrivée longtemps à l'avance, une invasion houleuse venue de tous les villages enfle la foule des Sartenais endimanchés. Nobles, propriétaires gros et petits, rentiers, bergers, laboureurs se disputent le pavé sans trop se mélanger. Les robes, regroupées dans un chatoiement de soies bigarrées, tranchent sur la monotonie des redingotes sombres et des paletots. Les discussions se confondent dans le bourdonnement d'une attente fiévreuse. Soudain les cloches sonnent à toute volée. Le grand portail de Santa Maria Assunta s'ouvre. Et une poussée a lieu lorsque entre la foule avide d'assister à un spectacle qui, reprenant une ancienne tradition de l'Eglise, apporte sa caution morale et spirituelle à la résolution des guerres privées. En ce 7 décembre 1834, sous les auspices du général baron Lallemand, gouverneur militaire de la Corse, les familles puissantes, ennemies bien qu'alliées et consanguines, du quartier Sant'Anna et du Borgo se préparent à signer un traité de paix sur le maître-autel en marbre polychrome, avant d'entonner le Te Deum.
ITV - Interview de la présidente Michèle Corrotti