Dans cet
Entretien avec une chamane sibérienne, la chamane bouriate
Darima Boudaraevna raconte son parcours, son initiation et sa pratique du chamanisme jour après jour.
La préface et l'introduction, qui exposent les conditions de l'entrevue ainsi que le contexte et les particularités du chamanisme bouriate, sont d'une rare intelligence. Et malgré tout, il n'empêche que l'intérêt de l'ouvrage réside en la qualité de l'entretien. Face à la doctorante en sociologie venue l'interviewer (la soeur de l'autrice de l'ouvrage),
Darima Boudaraevna s'ouvre avec sincérité et naturel sur son quotidien : elle expose les graves troubles dont elle a soufferts durant sa jeunesse et qui l'ont finalement contrainte à devenir chamane ; elle parle de l'initiation des chamanes bouriates, ne tait pas ses relations avec les esprits, décrit dans le détail ses perceptions au cours des séances et rituels. Elle commente avec une certaine finesse plusieurs cas rencontrés au cours de sa pratique.
Dans son parti pris de présenter un ressenti subjectif, l'Entretien devrait intéresser plus particulièrement les sociologues et les psychologues. Il permet de constater que ce n'est pas dans les figures romanesques du sage, de la sainte, du druide, de la prêtresse de la Nature, etc. qu'il faut chercher des parallèles au vécu du chamane ; son quotidien - somme toute peu pittoresque - , son expérience – autant extérieure qu'intérieure -, ses questionnements sur sa profession, son rôle social et, semble-t-il, la façon dont il est perçu en Sibérie le rapprochent bien plus de ceux que nous connaissons en France en tant que guérisseurs, magnétiseurs, exorcistes ou « voyantes extralucides ».
On constate à travers ces confidences à quel point le phénomène sous-tendu est changeant, vite adaptable aux convulsions de l'environnement social. On entrevoit toute la difficulté qu'il y a à prétendre le proposer comme un système suffisant en soi. Aussi l'
Entretien avec une chamane sibérienne a le mérite de servir de contrepoint – et souvent de démenti – à deux types d'ouvrages sur le chamanisme : ceux qui l'exaltent en le présentant comme une forme sublime de voie mystique individuelle ; et les textes ethnologiques français récents qui, dans leur souci de s'opposer aux précédents, dans leur esprit de système et leur malaise sensible à aborder le « vécu paranormal », soit minimiseront l'existence d'un apprentissage - en affirmant par exemple que la formation du chamane sibérien ne durera jamais plus d'un jour (Stepanoff) -, soit l'importance des états seconds en laissant entendre que, si la transe peut intervenir à l'occasion « dans des circonstances privées et informelles » de la vie du chamane, en vérité « c'est en chants et en danses que consiste son activité rituelle » (Hamayon).
Le principal défaut de l'ouvrage - aussi sa qualité majeure - est que ce témoignage exceptionnel demeure brut, non commenté. Ainsi l'
Entretien avec une chamane sibérienne reste destiné à des lecteurs capables de lire s'il le faut entre les lignes, de réfléchir par eux-mêmes, des lecteurs qui n'éprouveront pas le besoin de se reposer sur une pensée prédigérée.