Ernest Pignon-Ernest : Comme des pas sur le sable

Tout petit livre mais très grand artiste. Rémi David présente aux éditions A dos d'âne une mini biographie d'Ernest Pignon-Ernest destinée aux adolescents mais je dois dire que ce livre est tellement passionnant qu'il est à mettre entre toutes les mains.

Passionnant parce que c'est l'histoire d'un précurseur.
Ernest Pignon Ernest est un formidable dessinateur mais c'est avant tout un très grand artiste, précurseur de la peinture urbaine ou du Street-art à la française.
Il est le premier au monde à réaliser une oeuvre qu'il n'expose pas dans un musée : en 1966, c'est dans la Vaucluse que l'artiste a choisi d'intégrer ses dessins « in situ », en réponse à l'installation de la frappe nucléaire française sur ce territoire. Il va peindre directement sur les rochers ou les façades pour exprimer son désaccord.

Passionnant parce que l'oeuvre d'Ernest Pignon-Ernest laisse des traces.
D'abord au pochoir, la technique utilisée par Ernest Pignon-Ernest évoluera vers la sérigraphie qui va lui permettre de fabriquer traces et empreintes.
Rémi David montre simplement que les dessins sont essentiels dans le travail d'Ernest Pignon-Ernest mais qu'ils sont comme un outil car son oeuvre c'est ce que provoque l'insertion du dessin dans la réalité du lieu et du moment. C'est le fruit d'une réflexion qui veut prendre en compte tout ce qui ne se voit pas d'emblée mais qui est là, dans l'espace, la lumière, la texture du mur. C'est, en même temps, tout ce qui appartient à l'histoire, à la mémoire, aux traces.

Passionnant parce que c'est la vie d'un homme engagé
L'oeuvre d'Ernest Pignon Ernest n'étant pas le dessin en soi, mais ce dernier collé dans un contexte particulier où il fait sens, le lieu est choisi suivant le sujet traité par l'artiste.
Par exemple, Rémi David nous apprend que Ernest Pignon Ernest a rendu un hommage particulier au poète palestinien Mahmoud Darwich, décédé en août 2008, en collant des portraits de l'artiste dans des lieux jugés emblématiques de la Cisjordanie et d'Israël.
Comme l'annonce le sous-titre de ce livre « Comme des pas sur le sable », l'oeuvre d'Ernest Pignon Ernest est éphémère car les images s'effacent et se détruisent avec le temps. Mais c'est ce qui est recherché, afin de renforcer le travail de mémoire.

Passionnant parce que c'est une excellente façon d'honorer un artiste accompli et ouvert aux autres.
Quand on regarde les entretiens qu'Ernest Pignon Ernest accorde, on est surpris par la modestie de cet artiste qui a une force de conviction et une grande ouverture sur le monde.
Il faut dire, et j'en suis enchantée, qu'il est l'auteur des portraits des résistants Geneviève de Gaulle-Anthonioz, Pierre Brossolette, Germaine Tillion et Jean Zay qui ont trônés sur le « monument aux grands hommes » quand ils sont entrés au Panthéon.

Lu dans le cadre d'une opération masse critique, j'ai vraiment apprécié ce livre. Rémi David a su montrer l'essentiel de celui qui a deux prénoms et raconte comment, grâce à une erreur de l'imprimeur, il a gardé un pseudonyme qui le rend pourtant unique.

Ernest Pignon-Ernest dans la collection "Des graines et des guides" destinée aux 8-12 ans et + est un petit livre qui effectivement sème des graines.
Des "graines" faisant éclore pensées et réflexions grâce au "guide" Rémi David.
Nous accompagnerons les plus jeunes, explorerons avec eux l'engagement d'un artiste, ses choix pour nous le dire, les supports utilisés (palissades, murs, recoins...), pour éveiller la conscience de chacun.
Poésie et lignes se rejoignent dans un même élan, celui de la rue "comme des pas dans le sable", celui de la culture intégrée au quotidien pour vaincre l'indifférence.
Depuis l'anecdote amusante du prénom pour introduire l'artiste jusqu'aux événements qu'il nous faudra expliquer plus amplement, puis le passage inévitable par "L'homme aux semelles de vent", visage d'ange vénéneux, veste nonchalamment posée sur l'épaule, d'une modernité intemporelle, par la Palestine meurtrie mise en poème par Mahmoud Darwich, par le Chili et Pablo Neruda en figure de proue et enfin "La Piéta africaine" d'Afrique du Sud, un fil se déroule.
Celui du jeune artiste se découvrant peintre "grâce" ou "à cause " de Picasso et celui de l'artiste trouvant son propre mode d'expression qu'on appellera l'art urbain. Un langage éphémère mais vigilant, interpellant, interrogeant, dérangeant, marquant, vivant.
Le livre est certes court mais il contient toutes les graines d'une humanité dense. A semer dans les chères têtes brunes ou blondes.

Merci à Babelio et aux Editions A dos d'âne. Une belle découverte.