Lava

Mon Dieu ! Que vais-je bien pouvoir dire de ce livre ?
La première chose qui me vient à l'esprit, c'est que je viens de faire la plus étrange et la plus bouleversante expérience de ma longue vie de lectrice.
Comment parler avec des phrases banales, d'un ouvrage qui, lui, ne contient aucune phrase.
Tout au long des 128 pages l'auteur nous conte l'histoire de Lava avec des mots mis les uns à la suite des autres, séparés par une ponctuation aléatoires, des mots inventés parfois, dont on devine le sens, certains restent mystérieux.
Et l'histoire dans tout ça ?
Une femme est face à un tribunal, accusée du meurtre de son enfant. Elle livre son histoire dans un long monologue.
Est-elle folle ? Pas si sûr. Elle a sa logique, ses émotions, son idée du bonheur.
Je voudrais vous livrer quelques-uns des mots de Lava pour essayer de vous persuader qu'elle a sa place dans vos mémoires de lecteurs auprès de ces quelques héroïnes que l'on oublie jamais.

« Lava n'. Savait pas. Qu'elle avait. Un baba. Dans l'bidus ». ( ignorance de sa grossesse)
« C'est. Cet. Amour. Là. Pour son lièvre cet. Amour. de Lava. Stumédiant. »
(Elle crie son amour pour le père de l'enfant).

Et sa définition du bonheur :
« le bonheur. Je n'sais pas. S'il existe. Je pense. Quelque part. Parfois. Pour certains. Je crois que l. Bonheur. S'il existe est. Déc'vant. Se Tenir. La main. Marcher. A deux. Sur. La plage. Porter. Une. Robe. Blanche. Pidés. Nudi. Ti.
Dans l'eau. A voir. Les ch'veux. Au vent. Entendre. La mer. Ecouter être. En. Confiance. Ab. Solument. Comprise am. Oureuse. Avancer. C'est le. Bonheur. Simple et. Charmant. »

Si j'ai pu vous convaincre de lire ce livre, j'en suis très heureuse.

L'auteur Rémi David a un talent hors du commun, pour réussir à faire passer autant d'émotion dans ces mots.
L'éditeur « le Tripode » continu à me surprendre en publiant une fois de plus des textes de très grande qualité.

«Lava n'.
Savait pas. Qu'elle avait. Un baba. Dans l'bidus.
C'est. Important de. Savoir ça.»

Impressionnant premier roman de Rémi David, à paraître en Janvier 2015 aux éditions le Tripode, «Lava» est la parole d'une femme qui devant ses juges, veut dire qui elle est, mettre à jour ses failles et tenter d'expliquer son acte d'infanticide.

«Pour. La. Première. Fois vous. Allez. Voir. Celle. Qu'on. Croit. Voir mais. Qu'on n'. Voit. Pas celle dont. On parle et. Qui n'. Parl'. Pas vous. Allez. Connaître. Vous Derrière moi. En. Fin et. Une. Seule fois.
Lava.
La vraie.»

En inventant une écriture, langage malmené, douloureuse musique faite de mots et de phrases déformés et hachés, Rémi David réussit à dire sans pathos la vie déchirée, la parole traumatisée et le désespoir, la dissonance d'un acte d'infanticide trop monstrueux pour être appréhendé, et la forme d'exclusion qu'exercent ceux qui maîtrisent le langage.

«Lava va. Perdre. Ses ch'veux va. Comme tout l'monde. Perdre. Ses dents. Lava. Son visage va. Se creuser elle. N'y. Verra. Plus bien ses. Mains vont. Se. Fripper ses. Lèvres se. Riduler son. Fagusse. Arglouper comme. Vous et. La justice n'est. Nulle part. Ailleurs. Que la pas dans. La vroutche que. Vous. Ouvrez mais. Dans. Ce. Désastre. Là.»

Forant des trous dans la langue avec un texte truffé de points comme un champ de mines, ce monologue douloureux est un combat avec les mots, un empêchement du sens pour un acte au-delà du sens commun. Langage non-immédiat, le récit de Lava devient vite familier, formant une oeuvre qui se regarde et s'entend tout autant qu'elle se lit.

«Et ma propre langue m'apparaît de plus en plus comme un voile qu'il faut déchirer afin d'atteindre les choses cachées derrière.» (Samuel Beckett, Lettre à Axel Kaun – en épigraphe)

Un tout petit livre que j'ai mis, pourtant, un certain temps à lire. Je ne pouvais pas en lire plus de 4 à 5 pages par jour tant l'émotion me prenait à la gorge. A suivre la ponctuation, qui montre le désarroi de Lava, je me suis surprise à déclamer à haute voix les mots de Rémi David. Parlons-en de ces mots inventés, broyés, que l'on reconnait pourtant par leurs proximités avec leurs « synonymes » en bon français. Quelle douleur, quel désarroi à travers ces mots tronqués, ces phrases hachées, comme la vie de Lava.
Cette jeune femme instruite et intelligente ne peut sortir, je voudrais presque dire accoucher, de sa souffrance que par ce langage tripal. Elle ne sait dire autrement les faits. Raconter son père qui a abusé d'elle, son frère mort, sa passion pour le Lièvre qui tourne à la tiédeur. Et puis son corps, qui refuse le baba qui pousse en elle, comme si ce corps, trop tôt abusé, ne lui appartenait plus. La naissance du baba et… l'indicible. Lava est seule, terriblement, horriblement seule devant le mur des gens, les murs de la prison, ses propres murs qu'elle a érigées. Ce long monologue est une longue déchirure, une lente introspection.
Un livre qui, de prime abord, désoriente mais qui laisse une empreinte profonde dans mon ventre reptilien et mon esprit. Les mots inconnus, la ponctuation ont accentué mon écoute de Lava.

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