C'est un récit écrit il y a une vingtaine d'années, qui plonge dans la psyché d'un gérant de fonds d'investissement milliardaire nommé Eric Packer, alors qu'il traverse New York dans sa limousine pour se rendre… chez le coiffeur.
Au cours de ce « voyage initiatique » au prétexte très basique, l'auteur déroule un monologue qui exprime une critique acerbe du capitalisme contemporain, dans une société technologique post-moderne.
Le personnage principal, Eric Packer, est entouré de luxe et de richesse, mais il se sent vide et isolé. La limousine hermétiquement close dans laquelle il se trouve tout au long du roman devient une métaphore de son isolement émotionnel et social, qui illustre la déconnexion de l'homme moderne avec le monde ambiant, malgré la technologie et la proximité physique avec les autres. Il n'a pas l'air d'aimer sa future femme (c'est un mariage de raison) et ses employé(e)s sont ses seul(e)s ami(e)s de substitution.
Eric Packer cherche à tout prix à réaliser quelque chose de significatif, que ce soit dans sa quête de profit financier ou dans ses interactions avec les autres. Cependant, plus il poursuit le sens, plus il semble s'éloigner de lui. A l'image de la société contemporaine qui peut souvent se concentrer sur des objectifs, superficiels au demeurant, mais au détriment d'une quête plus profonde, celle du Sens.
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Cosmopolis" explore le rôle de la technologie dans ce mécanisme de déshumanisation. Les interactions de Eric Packer avec les écrans, les informations financières en temps réel et les communications numériques le connectent au monde… et le déconnecte de la réalité humaine : tout est factice, comme le luxe clinquant de sa limousine dans un New-York arrogant de suffisance.
C'est une véritable radiographie du monde financier avec « l'art de gagner de l'argent ». Au coeur de celle-ci, les thèmes forts de la désillusion, de l'aliénation. « La culture de marché est totale. Elle produit ces hommes et ces femmes. Ils sont nécessaires au système qu'ils méprisent. Ils lui procurent énergie et définition. Ils sont motivés par le marché. Ils s'échangent sur les marchés mondiaux. C'est pour ça qu'ils existent, pour vivifier et perpétuer le système. »
Dans cette dystopie, il y a de nombreuses trouvailles amusantes : la secte millénariste anti-capitalise qui a le rat pour symbole (référence évidente à la « rat race »), la mort d'un rappeur soufi qui crée un embouteillage, un héros qui est prêt à risquer sa vie pour… une coupe de cheveux !
Le personnage ? Peu d'information disponible, on sait seulement qu'il est âgé de vingt-huit ans, qu'il est très riche, qu'il lit des livres compliqués tout en contrôlant son empire financier et qu'il a les yeux rivés en permanence sur les cours financiers.
Les longs monologues intérieurs d'Éric Packer donnent un aperçu de sa psyché complexe et de son état émotionnel proche de la bipolarité, qui nécessite en permanence d'être stimulé. Quoi qu'il fasse, notre héros doit gagner beaucoup ou perdre beaucoup pour ressentir quelque chose, mais le frisson est de courte durée.
…jusqu'à une… rencontre : « Tout dans nos vies, la vôtre et la mienne, nous a conduit à ce moment ».
La narration linéaire semble être un peu artificielle, tant la succession des personnages souligne la thèse de l'auteur, sans réelle substance avec des dialogues souvent abscons et plutôt prétentieux.
Contrairement à ses autres romans, l'auteur a choisi ici une prose philosophico-poétique déroutante, mais qui reste fascinante avec ce clash permanent entre le trivial et la pensée.
Cela rappelle
la Société du Spectacle de
Guy Debord.
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Cosmopolis » exige une attention soutenue, mais c'est stimulant.
Je recommanderais de voir le film tiré de l'oeuvre et réalisé par
David Cronenberg avant de lire le roman pour mieux en saisir les subtilités.