Extrait de Le Vent dans la brèche
1.
J’ai vu Hull (Québec) dans un temps
qui mélangeait soleil et bise
au ciel des oiseaux mécontents
sifflaient la neige et la banquise
raillaient l’hiver morne à joue grise
or ces gros merles rouges, voi-
ci la chanson qu’ils m’ont apprise :
Dieu gard’ nos amis québécois
l’Europe est loin pour les enfants
de Hull, alors s’ils mêlent Pise
avec Paris je les comprends
les tours augmentent leur méprise
quant aux parents l’un se dit suisse
et l’autre belge ou franc-comtois
pour leur compagnie tant exquise
Dieu gard’ nos amis québécois
brouillés des fuseaux déchantants
qui nous avaient pris par traîtrise
on a laissé Hull au printemps
avec slip chaussette et chemise
j’ai fourré Hull dans ma valise
(au moment qu’on part chaque fois
quelque chose à nous s’éternise)
Dieu gard’ nos amis québécois
prince l’on américanise
tout sur le bord de l’Outaouais
qu’en soit préservé Hull, oh plise !
Dieu gard’ nos amis québécois.
Extrait de Le Vent dans la brèche
2.
Ne m’en tenez pas rigueur si j’insiste
à faire entendre un pépiement d’oiseaux
l’hiver dans l’églantier, si le fruit triste
et rouge des cynorhodons persiste
à mes vers, et si je pointe un museau
tout enfariné de neige et d’étoiles
pardonnez-moi, mais convenez qu’on vêt
plus volontiers son voluptueux duvet
de clématites quand il faut qu’à tort
et à travers on hume le gasoil
vous dire ça, voyez-vous, m’aide à vivre
à pareille vitesse au gré des livres
de mes compagnons humains, de mon corps
mais avant tout, tant que la chose existe
encor, ça m’aide à chahuter la mort.
NOTRE MORT PROBABLEMENT
Lézards en descendant
les escaliers
nous faufilant
contre des éboulis
en plein soleil
nous serons vigne vierge
au soir, quand nous ferons
le chemin à rebours
le printemps les lilas
(vieille rengaine)
ça fait-il pour autant
qu'on est moins las
et qu'on a moins de peine ?
je vous entends James
Sacré lire vos poèmes
où c'est toujours un peu l'été
la chaleur et l'été
vigne vierge ou lézards
qui tranchera ?
y a-t-il pas surtout de l'hiver
dedans nos voix ?
p.100-101
Tu nous disais jeudi soir sous le store
que tu n’avais jamais été
heureux jusqu’ici qu’en avion, porté
au-delà des nues en pléthore
elle est injuste au vrai la vie des hommes
rien qu’une mesure de blé
manque à la plupart, moi qu’elle a comblé
de bienfaits je dis nous ne sommes
pas au monde, mais l’écrire autorise-
t-il à remplir la ligne un peu
désuète où la rime comme un feu
crépite au vieux bois de cerise ?
si j’écris nous ne sommes pas au monde
ça sonne un tantinet faux, n’est-
ce pas, et sentencieusement un tantinet
j’ai l’air d’un cabot qui te gronde
après, l’allure d’un épouvantail
malade au milieu des moissons
que je trouve la vie injuste ou non
ça peut te paraître un détail
et mon poème un feu de paille en pleine
canicule, or ce feu j’en poursuis
les flammèches montantes, je ne suis
déjà plus au monde qu’une haleine
dans la nuit de juin, juste un braiement d’âne
entre les abois qu’on perçoit
j’aimerais cher François que mes vers soient
pour toi comme un aéroplane.
NOTRE MORT PROBABLEMENT
Nos vitres opaques
du carême aux pâques
fait flamber ton bois
dans la cheminée
transparents vestiges
des fleurs et de leur tige
si frêle au vent, bois
ton vin de l'année
la feuille en pelote
luisante grelotte
où qu'on regarde on
trouve porte close
alors en voiture !
mais l'heure est trop pure
et sous le choc, ton
pare-brise explose.
p.94