Irlande/
Frank Delaney
En 1951, l'
Irlande est encore parcourue par quelques conteurs qui vont de villages en villages offrir la mémoire du pays aux oreilles curieuses. le talent du Conteur fait de lui un personnage mythique qui hébergé chez l'habitant se voit offrir le dormir et le manger contre une soirée ou plusieurs au cours desquelles se regroupent dix puis vingt puis trente villageois autour de l'âtre pendant les soirées d'hiver.
La famille O'Mara comprend John le père, avide de connaissance, et Ronan le fils qui veut devenir conteur lui aussi. Les deux sont complices pour retenir le Conteur, mais la mère, Alison, voit tout cela d'un mauvais oeil. On se demande pourquoi…
Et l'on découvre l'histoire de Newgrange, cette construction extraordinaire située au coeur du pays. Puis celle du roi d'Ulster, Conor , celle de
Saint Patrick, et encore bien d'autres comme celle de Brendan le Navigateur qui découvrit l'Amérique au Vé siècle ou encore l'invasion des Vikings à la fin du VIII é siècle et le règne de Brian Boru au XI é siècle.
C'est toute l'histoire de ce pays fascinant qu'est l'
Irlande qui est narrée dans un style simple, lyrique, de façon ludique et originale comme un conte merveilleux pour enfant, mais riche d'enseignement.
Et Ronan va se faire conteur d'occasion, puis son professeur d‘histoire à l'université prend le relais. Avec habileté, l'auteur passe d'une histoire à l'autre pour un récit passionnant qui décrit aussi la façon dont vivait le peuple irlandais autrefois. On apprend notamment pourquoi le trèfle est l'emblème de ce pays. Et aussi que tout chef irlandais qui combattait l‘Angleterre dans une armée française recevait en récompense une terre enrichie de vignobles, d'où les noms de crus tels que Phelan, Lynch, Kirwan, Haut-Brion (pour O'Brien). C'était au début du XVII é siècle.
« Les vieilles légendes contées au coin de l'âtre les soirs d'hiver provenaient tout droit du fond des siècles et les personnages, pétris d'amour, de haine et de feu surgissaient devant nous ».
La question qui se pose en y réfléchissant, c'est celle de savoir si l'on peut séparer l'Histoire du mythe dans un pays comme l'
Irlande ? Car derrière chaque conte, mythe ou réalité historique, il y a une vérité, une sagesse inhérente, une leçon de vie. Cela conduit à une réflexion plus profonde et essentielle. le mythe possède ce caractère très particulier de se rattacher presque toujours au temps fabuleux des commencements. Il se situe en fait hors de l'Histoire et son temps est celui de l'éternité, de la permanence et de la répétition, d'où le rôle du Conteur. Sa vérité quoique non objective est primordiale car elle donne un sens à ce que l'homme ne parvient pas à expliquer de sa propre histoire. Elle a une fonction étiologique en quelque sorte. Il arrive souvent qu'à un tel événement historique s'ajoute un aspect mythique, les deux fusionnant et finissant par se confondre (Histoire de
Saint Patrick par exemple). Avec le temps, la fusion s'est défaite et seul le mythe perdure principalement. Il se produit une sorte de déshistorisation de l'événement, et le substrat historique résiduel est considéré alors comme une fable.
Ce thème sera d'ailleurs le sujet de thèse de doctorat de Ronan : « Valeur du mythe dans
L Histoire ».
Un autre aspect de l'Histoire est son manque de sentiment en ce sens que lorsque nous lisons
L Histoire, nous connaissons les faits, mais nous ne savons jamais ce qu‘éprouvaient l'ensemble des gens à ce moment là. Prenons un exemple : en 1610, lors de l'assassinat de Henri IV, la population dans l'ensemble fut-elle soulagée ou consternée ? Et la mort de Louis XIV en 1715 attrista-t-elle la population ou non ? Qui le sait ?
Alors qu'on s'achemine tranquillement vers la fin des 430 pages de ce récit merveilleux, la découverte par Ronan d'une lettre écrite par le Conteur vient apporter un éclairage tout à fait différent sur tous les personnages.
Un très beau livre qui se lit avec passion.