AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
3,29

sur 2657 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Rentrée littéraire 2022 # 12 °°°

Ça démarre par un post instagram injurieux. Oscar, écrivain qui a eu son heure de gloire, dézingue le physique de Rebecca, actrice culte quinqua dont le physique de bombe sexuelle a très mal vieilli selon lui. La réponse de Rebecca est cinglante : « Cher connard (...) j'espère que tes enfants crèveront écrasés sous un camion et que tu les regarderas agoniser sans rien pouvoir faire et que tu les regarderas agoniser sans rien pouvoir faire et que leurs yeux gicleront de leurs orbites. » S'ensuit un surprenant – presque utopique - échange épistolaire qui prend de l'ampleur lorsqu'Oscar se fait metooïser ( pour harcèlement sexuel ) par son ancienne attachée presse, Zoé Katana, désormais à la tête d'un blog féministe très suivi sur les réseaux sociaux.

Virginie Despentes a le sens des formules et sent incontestablement l'époque. le personnage de Rebecca, flamboyant mauvais sujet, jubilatoire avec son humour trash et cash qui ne s'excuse de rien ( difficile de ne pas penser à Béatrice Dalle ) offre les meilleurs passages, c'est elle dont on attend la voix et l'entend le mieux, c'est avec elle que le fun arrive et qu'on se marre.

Après un démarrage drôle et punchy, j'ai cependant trouvé que le récit s'amollissait jusqu'à un certain assoupissement, comme si la forme épistolaire, telle qu'elle est utilisée par l'autrice, était responsable de cette mollesse. Les lettres que s'envoient Oscar et Rebecca sont très longues et tournent vite aux monologues statiques qui auraient plus leur place dans un essai. Il manque de la vivacité à leurs échanges, ainsi que des volte-face toniques.

Clairement, ça ne décoiffe pas assez. Les thématiques abordées sont très nombreuses ( les divisions du féminisme, MeToo et harcèlement sur les réseaux sociaux, patriarcat et capitalisme, les transfuges de classe, addictions à la drogue dure et à l'alcool, Narcotiques anonymes, COVID et confinement ). Leur traitement en saillies fourre-tout laisse malheureusement peu de place à autre chose que du survol déjà-lu même s'il y a d'excellents paragraphes.

En fait, la radicalité de Despentes ne réside pas là où on l'attendait. Sa radicalité naît dans la façon dont elle conduit le dialogue entre Oscar et Rebecca, puis avec Zoé. Dans Cher Connard, on ne se lève plus et on ne se casse plus, on se parle, on discute et on concilie. Rebecca et Oscar vont devenir amis.

A une époque usée et irrémédiablement divisée par l'hystérie de débats sans fin où chacun milite fanatiquement pour sa propre parole, où chacun est convaincu d'être du bon côté de la morale, aveugle et sourd à la parole de l'autre, ça fait un bien fou de voir un homme et une femme a priori irréconciliables s'accompagner pour évoluer, grandir, apprendre à comprendre l'autre en osant tomber le masque. Ça fait du bien de voir un personnage masculin s'interroger sur sa masculinité au point d'être désormais capable de changer de perspective et de se mettre à la place de la femme qu'il a harcelée.

C'est peut-être cela qui est le plus subversif venant de quelqu'un comme Despentes : que le salut des personnages féminins ne viennent pas d'un refuge dans la sororité ou dans un féminisme consolateur, ici présenté comme éclatée en chapelles rivales se taclant les unes les autres. On devine qu'elle a mis beaucoup d'elle dans ces personnages, féminins comme masculin, bien loin d'une guerre des sexes stérile. Loin d'être fadement consensuel, c'est l'ode à l'amitié homme-femme qui m'a semblé le propos le plus intéressant, surprenant et radical de ce roman parlant avec justesse des paradoxes de notre époque.
Commenter  J’apprécie          21743
Cette lecture est avant tout une lecture curiosité/découverte.
Je n'ai pas vraiment l'habitude de ce genre de littérature à vrai dire. Mais après tout le raffut qu'à fait le bouquin à sa sortie, la semaine dernière je suis passé dans ma librairie habituelle où il y avait tout un étalage de "Cher Connard" de Despentes en format poche.

On peut dire que l'autrice à joué un sacré coup de poker avec cet ouvrage. Et la où je m'attendais à une émasculation en bonne et due forme de la part de Virginie Despentes, au final c'est un livre assez banal mais qui se laisse lire avec un titre accrocheur qu'on aurait pu croire rattaché à un courant féministe extrême qui au final n'en est rien et a été un bon gros coup de com'.

Car oui, dans le récit il est question de féminisme mais ce n'est pour moi pas le thème principal du roman.
Il est surtout question de relations triangulaires entre trois protagonistes principaux.

Oscar, écrivain à succès camé comme ce n'est pas possible, qui au début du récit est un peu l'ordure de service.
Il y a Rebecca actrice de cinéma populaire qui elle aussi tourne à la came.
Puis vient enfin Zoé Katana blogueuse pour la cause LGBT et anti mascu'.

En fin de compte sur les trois personnages principaux, seulement deux ressortent franchement. Oscar et Rebecca. Où leur relation et leurs échanges via des mails tourne un peu en boucle, et ce qui était une haine féroce de Rebecca envers Oscar, se verra muter en une véritable histoire d'amitié.

Le livre a des airs de mélodrame sur fond de jet set, où tout tourne autour de la came. Coke, héro', shit, alcool... bref tout y est. Mais on ne parle pas ici de personnages issues de la misère mais bien de protagonistes pétés de thunes un peu bourgeois sur les bords, axés sur leur petit monde et leur petite personne.

Comme disait une Babeliote, à la fin du roman, on ne sait pas vraiment si l'on a aimé ou détesté le livre.

Perso, je lui ai attribué la note de 3,5 étoiles, peut-être un peu surévalué, mais je suis un lecteur ouvert et que j'ai passé néamoins un bon moment.
Commenter  J’apprécie          647
« Cher connard,
J'ai lu ce que tu as publié sur ton compte Insta. Tu es comme un pigeon qui m'aurait chié sur l'épaule en passant. C'est salissant, et très désagréable. Ouin ouin ouin je suis une petite baltringue qui n'intéresse personne et je couine comme un chihuahua parce que je rêve qu'on me remarque. Gloire aux réseaux sociaux : tu l'as eu, ton quart d'heure de gloire. La preuve : je t'écris. »

Ainsi se noue l'échange épistolaire entre Rebecca et Oscar. Elle est une sublime actrice quinquagénaire. Il est un écrivain qui vient de se faire metooïser par une blogueuse féministe.

Leur gouaille promettait des échanges percutants, tonifiés par la plume féroce de Virginie Despentes. Et pourtant, leur correspondance prend un tour inattendu. À l'heure où il semble devenu impossible de s'entendre quand on évolue dans des « bulles » différentes, la franchise de ces missives devient un roc auquel Oscar et Rebecca s'accrochent dans la tourmente que chacun traverse. Ils évoquent leur famille et leurs amitiés distendues, la littérature et le cinéma, Me Too et les Narcotiques Anonymes. Et réalisent qu'ils partagent plus qu'ils ne le pensaient : le sentiment de vulnérabilité de ceux qui ont échappé à leur condition sociale, une addiction aux substances et à la reconnaissance, une fragilité à la hauteur de la crânerie qu'ils affichent vis-à-vis du reste du monde.

J'éprouve toujours de la tendresse pour les personnages de Virginie Despentes. La nouvelle génération de féministes laisse Rebecca un peu circonspecte, mais elle n'a pas envie de plaindre Oscar. Elle l'écoute néanmoins, le comprend, lui dit les choses sans détour. Lui semble sincèrement pris de court : de même que le protagoniste du roman le voyant d'Etampes se pensait au-dessus de tout soupçon de racisme, lui qui s'engagea à gauche et dans la marche des beurs, Oscar est un homme de gauche qui trouve « important que la parole circule » et n'a jamais été physiquement violent. La franchise bienveillante de Rebecca le conduit à réaliser ses failles – et réciproquement. Leur échange, c'est un peu l'antithèse d'Instagram : des mots qui disent les faiblesses et l'entraide.

La voix de Zoé, et par elle celle des victimes, fait incursion comme une ponctuation sous la forme de billets de blogs.

Cher connard parvient ainsi à concilier la dénonciation de la violence des réactions à Me Too et le réconfort de montrer comment l'amitié, l'écoute peuvent accompagner une prise de conscience libératrice pour tout le monde et permettre de se sentir un peu moins connard. Voilà qui donne envie d'échanges, de mots alignés sans limite dans de longs échanges écrits.

Un roman un peu trop bavard mais d'une douceur surprenante.
Lien : http://ileauxtresors.blog/20..
Commenter  J’apprécie          633
" (...) j'aime que ce soit provocant". Et moi donc : j'aime quand les lignes bougent, quand un regard profondément différent vient bousculer le commun, l'établi, l'inébranlable. V. Despentes réussi encore cet exploit : combien de "alors celle là elle est bien placée", "j'adore", "et bam", "elle fait fort", "oh quand même", etc. Quand le fil conducteur du roman à lui seul suffit à nourrir l'intérêt : un écrivain à succès fait l'objet d'une dénonciation #metoo, et pour en parler, se disculper peut-être, chercher un soutien, une caution,, il ose se rapprocher (épistolairement) d'une actrice, qui par le passé était certes la meilleure amie de sa soeur, mais qui est reconnue pour être féministe, et qui ne l'apprécie pas (pour faire simple) : quel culot ce connard ! Et ils vont discuter : c'est détox (et pas seulement d'addictions). Ici, c'est toute la société moderne qui en prend pour son grade avec une plume qui s'est calmée dans la forme (et encore ! le titre ), mais heureusement pas dans le fond. le monde des idées est quelque peu chahuté. Un régal.
Commenter  J’apprécie          404
Je n'aurai peut être pas du jeter un coup d'oeil aux critiques précédentes parce que, du coup, ça me file un peu les jetons, de livrer ma petite critique nuancée en pâture aux grands fauves de l'idéalisation et du rejet total.
Virginie Despentes, je la kiffe depuis King Kong Théorie et j'ai vraiment aimé Vernon Subutex ( si on en enlève un bon tiers....) Télérama a mis 4 T , je me suis un peu méfié, mais l'interview était d'enfer.
J'aime aussi ce qu'elle dit aujourd'hui , féministe apaisée qui dénonce l'assassinat numérique des militantes de la génération Z : "Internet, avant tout c'est de la bile. Parfois, tu en vois un ou une qui s'en sert à l'ancienne, pour expliquer des idées compliquées et qui répond à des arguments. Mais en règle générale , le militantisme sur Internet, c'est le fanatisme à l'état pur: une fois que les gens sont convaincus d'être du bon côté de la morale, ils jugent décent d'égorger l'adversaire" (page 107).
Qui dénonce ( le patriarcat) AVEC plutôt que contre . Avec Valérie Solanas ou Monique Witting par exemple.
Qui tempère les effets de Meetoo ( ses outrances et ses hypocrisies) tout en soulignant son absolu nécessité .
Bon , vous me direz, et le roman dans tout ça ? Et bien c'est un peu là le problème .......
Je n'ai rien contre la forme épistolaire mais Zoé, Oscar et Rebecca ne sont que des avatars qui remplissent essentiellement une fonction-disons-journalistique ou essayiste .
Il y a de très belles pages , des formules fulgurantes et des réflexions pénétrantes sur l'addiction ( "On se drogue pour des raisons politiques" )et les morsures de l'âge . J'ai commencé à surligner , à faire des annotations..
...et d'un coup j'ai arrêter . Car c'est super-long et très redondant.
On a écrit que Rebecca était peut-être un mixte de Béatrice Dalle et de Despentes elle-même. Sans doute, ça ne change pas grand chose à l'affaire.
On l 'a aussi beaucoup comparée à Houellebecq !!! Parce qu'elle capte comme lui l'air du temps, un zeste de branchitude en plus . C'est absurde. On ne peut pas comparer ce qui se situe en fait dans des champs absolument différents .Qui aurait l'idée de comparer disons Olivier Norek (que j'adore) à Le Clézio ( que j'adore).
Cher Connard est un manifeste sympathique et bavard . On s'y ennuie un peu mais Virginie Despentes a le sens de la formule . du coup c'est surtout un livre sur.....l'Amitié .
De ce point de vue , c'est assez réussi.
Commenter  J’apprécie          3116
Je suis assez satisfait d'avoir pris le temps de lire "le dernier Despentes".
Ce livre prend donc la forme d'échanges épistolaires modernes, à base de rézosocios dont on se demande, à part insta dans l'introduction ce qu'ils sont réellement...
Le centre : la confrontation de deux visions d'un même évènement, un "mitou" qui se veut banal.
Bien sûr, on peut reprocher le peu de vraisemblance des interactions des quelques personnages rencontrés dans ce roman. de même, le milieu décrit, qui "matchera" dans les rédactions boboisées des magazines et autres médias vecteurs de publicité, paraît un choix de facilité, tellement proche de celui de l'auteure que c'en est un peu gênant.
Toujours dans le négatif, l'évolution des échanges ne traduit pas du tout ce qui est susceptible de se passer IRL (désolé les vieux).
Sinon, le ton est un mélange assez percutant et drôle, tendre parfois.
On peut lui reconnaître le mérite de nous faire réfléchir au conditionnement auquel on est soumis depuis notre enfance, à l'insu de notre plein gré, et qui fabrique des grilles de lecture rarement remises en question.
Cela a fonctionné sur moi, potentiel cher connard, et je me suis pris à m'interroger un peu plus que d'habitude.
Pour souligner la prégnance du milieu de l'auteure, déjà qualifié plus haut, on peut déduire à la lecture de son livre que le courant féministe qui récolte les faveurs de l'héroïne (donc de Mme Despentes) tend essentiellement à abandonner la drogue ou l'alcool (ou les deux) pour l'homosexualité ou la bisexualité.
Je sais, c'est un raccourci qui fera tiquer certains, mais je n'ai pas pu m'empêcher de penser cela en finissant ce livre.
Commenter  J’apprécie          304
« Je suis émue de voir ces gens qui déconnent autant que moi et qui, dans ce glissement général vers le grand n'importe quoi, se réunissent et font le contraire de ce que font les gens dans les dîners et sur les réseaux sociaux – s'avouent vaincus, s'avouent faibles, se montrent dans ce qu'ils ont de plus déglingué ».

Généralement, j'aime bien commencer mes billets par une citation qui, pour moi, résume le livre que je viens de lire. C'est drôle d'ailleurs de réussir à débusquer la phrase qui, quand je la lis, me semble dévoiler l'intention (ou en tout cas, l'une des) de l'auteur lors de l'écriture de son texte. Et cette phrase ici me touche, par sa sincérité cash et la vulnérabilité qu'elle dévoile. Car c'est ainsi que je pourrais résumer « Cher connard », roman qui divise, qui clive, et le plus souvent avec passion, comme son autrice, qui aime mettre une couche bien épaisse, tout du moins en apparence, de choc et de clash.

« Cher connard » est une preuve indéniable, si besoin encore était, que Virginie Despentes sait retranscrire l'air du temps, ici dans un roman foisonnant en ce qu'il réunit la lie des sujets en vogue depuis quelques années maintenant : les posts insultants, face visible du harcèlement, sur les réseaux sociaux, la recherche de gloire factice, les addictions (aux drogues, mais pas que), me too, le confinement (sujet qui offre de belles longueurs dans le roman en revanche)… des sujets déprimants, surtout révélateurs d'une certaine toxicité et écroulement de la société, le tout rédigé dans le style volontairement malpoli, gavroche, de l'autrice, espèce de repoussoir verbal anti-bourges pour ceux qui ne sauraient aller au travers.

Repousser pour ne garder que ceux qui s'accrochent, c'est bien résumer aussi le début du roman, qui commence sur deux gosses qui se disputent autour d'un post insultant. Sauf qu'en fait, ce ne sont pas deux gosses, mais deux adultes, Oscar Jayack le célèbre auteur qui, en plein scandale de harcèlement moral sur l'ancienne attachée de presse de sa maison d'édition, ne trouve rien de mieux à faire, entre deux gueules de bois, que d'écrire un post insultant sur Rebecca Latté, une célèbre actrice, qui lui répond en l'insultant elle aussi. Dans le monde réel, est-ce que celle-ci aurait pris la peine de répondre à un post infamant ? Et de commencer une correspondance épistolaire avec son agresseur après que celui-ci se soit excusé et écrit dans un tout autre registre, pour lui rappeler que Rebecca était l'amie d'enfance de sa soeur et qu'ils viennent du même endroit ? Je ne crois pas…

Une fois accepté ce point de départ fragile, « Cher connard » déroule donc les pensées – difficile de dire ici qu'il s'agit vraiment d'un roman épistolaire – de deux egos opposés qui ne prennent pas la peine de se répondre longtemps directement (autre signe des temps), lui le privilégié blanc égocentré insupportable d'auto-apitoiement qui vient d'un monde clairement dépassé, elle l'actrice à la gouaille bravache à la Béatrice Dalle (Rebecca m'a fait tellement penser à elle pour cette attitude 100 % rocknroll et bravache, mais aussi à l'autrice elle-même), qui est bien consciente squ'à plus de cinquante ans, elle commence à devenir hors course, et devient le héraut un peu opportuniste d'un féminisme qu'elle n'a pas toujours ressenti. de la confrontation entre ces deux personnes qui se ressemblent pour leur goût de l'amour (du) toxique, d'une intensité toujours plus grande et menant au drame, d'une identité fragile, naîtra une certaine amitié, qui permettra à Oscar de se rendre compte que oui, malgré tout ce qu'il pense, il est bien un connard fini, et à Rebecca de quitter son amant de toujours, la drogue.

Tout est bien qui finit bien, alors ? C'est bien joli l'amitié, c'est bien sympa de voir l'évolution (limitée jusqu'à un certain point) d'Oscar pour être autre chose qu'un prédateur malgré lui, mais pour moi l'intérêt de « Cher connard » (l'intrigue n'étant pas bien épaisse, car je pense très objectivement que l'autrice s'en fiche pas mal, ce n'est qu'un prétexte), ne se trouve pas là. Elle est dans cette lecture de l'époque par Virginie Despentes, dans sa manière d'analyser la période post-me too, cette espèce d'amertume proche de la gueule de bois qui claque au visage quand on se rend compte que les promesses induites par la vague Me too (la fin d'un système de harcèlement patriarcal institutionnalisé, dans la vie comme sur Internet) ne se sont pas concrétisées, et ne le seront peut-être jamais. le personnage de Zoé, la victime d'Oscar, est d'ailleurs celle qui s'en prend le plus dans la figure, le symbole de l'échec de Me too. Elle a dénoncé Oscar Jayack dans son blog, est-ce qu'elle s'en sort mieux ? La conclusion qu'on lit dans ce texte, c'est que non seulement Metoo n'aura pas été déferlante écrasante, mais qu'en plus la vérité n'est pas forcément une amie, et est surtout une utopie impossible sur internet et les réseaux sociaux, lieu de tous les dangers, dominés par une fachosphère mieux organisée que les autres mouvements. Glaçant et réaliste.
Commenter  J’apprécie          250
Une fois n'est pas coutume… J'ai cédé aux sirènes du battage médiatique qui a entouré (et encore aujourd'hui ) la sortie du dernier livre de Virginie Despentes, « Cher connard ». je n'ai jamais lu cette écrivaine dont je me faisais une très vague idée. A part les mots féministe et punk, je n'y rattachais pas grand-chose.

Donc pour moi, « Cher connard », c'est le saut dans le grand bain.
« Cher connard » justement, c'est Oscar Jayack, la quarantaine, un écrivain qui a eu du succès mais qui a été rattrapé par la vague Metoo et qui subit, 10 ans après les faits, les conséquences de son comportement avec son ex-attachée de presse, Zoé Katana. En plein désarroi, il reprend contact via des messages avec une actrice qui aborde la cinquantaine sans illusions quant à sa valeur sur le marché du cinéma et de la séduction , Rebecca Latté, qu'il a connue dans son enfance. Cette dernière n'est pas au début très chaude pour lui répondre mais de fil en aiguille, leurs échanges se multiplient et chacun livre à l'autre ses peurs, ses angoisses, ses doutes, ses réflexions, ses souvenirs… Zoé, devenue quant à elle une militante féministe qui s'exprime essentiellement à travers son blog, intervient épisodiquement.

Il ne se passe pas grand-chose dans ce roman épistolaire mais il s ‘y dit énormément de choses sur notre monde contemporain. Les thèmes sont terriblement actuels : les différentes formes de féminismes, la vieillesse, la place des femmes dans le monde du cinéma, les relations hommes-femmes-pouvoir, l'amitié, l'ascension sociale, la démence des réseaux sociaux, le confinement… le plus important sujet demeurant les addictions et la volonté/difficulté de nos deux protagonistes principaux pour s'en sortir. Il paraît que Virginie Despentes souhaitait depuis longtemps écrire un livre sur ce sujet et c'est chose faite. L'auteure disserte tellement à ce propos qu'elle m'a parfois un peu perdue dans ses analyses très personnelles. J'avais parfois l'impression de lire un essai plus qu'une fiction. Alors certes, cela m'a un peu lassée mais ce petit ennui n'était rien face au plaisir que j'ai eu à lire certains passages profondément émouvants et touchants. L'évocation des réunions des NA (narcotiques anonymes) sont autant de moments de douceur et de solidarité qui révèlent toute la fragilité et l'empathie des êtres humains. L'amitié aussi qui se tisse entre Rébecca et Oscar est très belle. Quelle grande gueule cette Rébecca ! Mais quelle amie aussi ! Quant à Oscar, la remise en question de cet écrivain et père de famille pas top est palpable aussi. Des connards, il y en aura toujours malheureusement. On peut juste espérer que certains ouvrent les yeux sur leur comportement comme le fait peu à peu Oscar.

Voilà, pour une première rencontre avec Despentes, c'était vraiment pas mal. Malgré le choix d'un récit sous forme épistolaire et certaines tirades qui s'essoufflent, l'ensemble est très dynamique. A travers Rébecca et Oscar, c'est bien sûr la voix de l'auteure que l'on entend, utilisant un style bien à elle, plein d'oralité et d'énergie.
On pourrait reprocher à la romancière d'en faire trop en surfant sur la vague des sujets de société mais au final, elle s'empare de tous avec rage. Et on ne pourra pas lui retirer ça : quand Virginie Despentes traite un sujet, elle le fait à fond. A nous de suivre… ou pas.
Commenter  J’apprécie          254
Correspondance entre deux lignes…de coke

J'ai un peu hésité avant d'ouvrir cette nouveauté 2022 qui enflamme quelque peu les milieux autorisés en cette rentrée littéraire. Bon, je n'ai pourtant lu ni libé ni Télérama, voulant rester ‘vierge' avant cette ‘expérience'. J'avais aimé les Subutex, alors, nous vernon bien.

Ce récit, où plutôt ces récits, c'est un peu comme une mer étale entre deux marées (c'est le breton qui parle), un moment de répit entre deux contractions. Il est composé des mails échangés par deux personnes d'origines modestes qui se sont connues enfants (elles ont sept années d'écart cependant), en province, dans les années 80, se sont perdues de vue et qui, épistolairement, se retrouvent bien plus tard, au septembre de leur vie (tout début d'automne) quand Paris les a pris dans ses bras.

L'une, Rebecca, devenue star de cinéma (un mix qu'on pourrait appeler Brigitte Dalle) est un peu sur ‘le retour', d'autant que, comme dit l'adage populaire, on ne peut pas être et avoir tété (picolé , sniffé, s'être piquée, shootée…).

L'autre, Oscar, un écrivain qui a connu un certain succès, se retrouve victime du syndrome de la page blanche et est en délicatesse (euphémisme) avec son ancienne attachée de presse qui l'accuse de harcèlement sexuel.

Ce sont leurs souvenirs réciproques qui refont surface au hasard d'une rencontre fortuite et à sens unique. Des souvenirs enfouis pour elle, toujours vivaces pour lui.

Sur leurs claviers AZERTY se tapent leurs réflexions par petites touches sur le temps qui passe, la nostalgie (ou non) d'une enfance vécue dans un monde si étranger à celui que connaissent les enfants d'aujourd'hui, leurs rapports à la notoriété, leur pouvoir de séduction, à l'âge qui avance, au corps qui s'épaissit et se fane, aux besoins et envies qui changent ou s'éteignent.

 Il est question de défonces, forcément (de légitimes ou illicites défonces, on est chez Despente tout de même), de digressions sur ce qui y mène, ce qu'elles produisent, procurent et pourquoi on les arrête, si on les arrête, si on y parvient.

Deux solitudes qui s'épanchent (logique s'il y a Despente) par écrit. Allo Macha, je suis dérangé(e). Modulation de fréquence radio du coeur en berne, ambiance comptoir en zinc  lumière tamisée au petit matin blême, voix éraillées et feutrées en veine de confidences intimes s. On ne se refait pas mais on refait son histoire à rebours ou bourrés, c'est selon.

Tiens, à propos d'histoire, je me dévoile un peu (un tout petit peu): J'ai quitté ma province et suis entré dans la vingtaine, les années 80 et la vie active en même temps.
Boum, le big bang !
L'autonomie, l'émancipation, ma vie m'appartient, mes choix aussi, on n'est pas ce que l'on naît, on est ce qu'on devient en gardant à l'idée, quand même, qu'il est important de savoir rester raisonnable. En 68, on aurait dit qu'il n'était pas raisonnable d'être raisonnable. En 80, ça avait déjà beaucoup changé.
La gauche au pouvoir, la FM vulgarisée dont je suis partie prenante me permet d'approcher des stars, quand ce mot n'était pas encore galvaudé  pour désigner des pseudo-célébrités d'un soir qui n'ont de talent que celui de se montrer.
Un autre monde pour le gamin que j'avais été. Lointain, inaccessible. Et pourtant !
Dilemme : le champ des possibles ou le chant des sirènes ? Torturé, je me soumets à la question.  Ce sera la voie(x) de la raison (Éducation, quand tu nous tiens) et bye la FM.
Les raisons de la colère alors, parfois, quand les regrets blanchissent mes nuits que la radio n'anime plus.
N'avais-je pas laissé passer ma chance, partir le train sans moi ?
Y aurais-je eu ma place ? La prétention de penser que oui, tant pis. Jamais ne le saurai. Frustration.

Alors je comprends cet Oscar et cette Rebecca, ces provinciaux qui ont fait le choix de rompre avec les diktats familiaux ancestraux qui toujours les hantent cependant, le choix d'une autre voie, moins prudente, plus ardente, dangereuse même. Ils ont osé, en ont vécu, mais à l'arrivée, quel constat quand leur tour de roue de la fortune semble passé ?
Et si tout cela n'était que vacuité (se dit celui qui va, cuité, du soir au matin comme du matin au soir) ?

Sur cette lunaire mer de la tranquillité vient cependant souffler un cyclone qui risque d'emporter Oscar (mais pas à Hollywood) : Zoé, son ancienne attachée de presse l'accuse de s'être laissé aller à quelques gestes déplacés.

Dans le passé, bien avant #metoo, j'ai également eu à ‘arbitrer' un cas de ce qu'à raison on appelle aujourd'hui, harcèlement. Alors je comprends cette Zoé qui n'avait rien demandé, rien sciemment provoqué, mais qui allait au boulot la boule au ventre et faisait bonne figure parce qu'on ne dénonçait pas ces choses là. Tabou.
J'imagine sa souffrance d'avoir dû supporter cette drague assidue pour conserver son emploi. Mais, je comprends aussi cet Oscar un peu beauf, old school, héritier d'un comportement patriarcal, qui, de bonne fois, sans s'en rendre compte ne faisait qu'une cour, certes un peu lourde, mais ô combien sincère à une Zoé dont il était tombé sincèrement  amoureux .
Et après tout, c'est un honneur, quand même, de susciter de la convoitise, non ? Et certaines sont si heureuses qu'on rende hommage à leur charme (les thons n'ont pas cette chance) !

Ce cyclone pourrait couper la communication entre nos protagonistes. Pourtant, leurs états d'âmes comme leur relation continuent de s'étaler tout au long des pages que nous tournons, leurs addictions restant leur terrain de prédilection, alcool, drogues…

Quelque part, nous entrons par effraction dans une espèce de roman vérité. Sans y avoir été invités (on a acheté le bouquin quand même), nous nous immisçons dans une discussion privée, en catimini, sur une page Facebook dont nous lisons tous les posts alors qu'ils étaient réservés à la seule intimité de leurs auteurs (for your eyes only). Voyeurs-liseurs, scrutateurs de vies qui n'ont finalement pas échappé à la banalité malgré les professions peu communes des rédacteurs.

Ce sont eux qui écrivent, mais ce sont aussi nous, nos amis, nos copains, nos voisins, nous tous qui hantons ces paragraphes, nous félicitant que même les gens paraissant extraordinaires peuvent avoir une vie d'une triste banalité.

Bien sûr que c'est un monde autre que celui de monsieur lambda, un monde où on est plus préoccupé par le prix du gramme de coke que par celui du litre de sans plomb 95 (fluctue-t-il de la même façon?), un monde où on s'interroge sur l'adresse du dealer le plus proche quand on part en vacances et non sur celle de l'intermarché (qui pue des pieds ou du Super U qui pue…) du coin.

On fraye avec un parisianisme bobo totalement déconnecté des préoccupations basiques, intellectualisant le quotidien à outrance mais qui, au fond, mène une vie somme toute très banale, juste en parallèle de la nôtre dans un second monde décalé, en retrait.
Eux aussi le Covid les scotchera chez eux comme toute la population plébéienne, eux aussi souffriront du confinement et chercheront à en outrepasser les règles, eux aussi se remettront en question, eux aussi évoqueront les faits de société actuels (féminisme exacerbé, #metoo, orientation sexuelle, parentalité, chirurgie esthétique,  vaccination…)

Alors, si les premières pages de ce roman épistolaire m'ont enthousiasmé, vraiment, arrivé à la moitié de l'ouvrage, j'ai commencé à patiner, avec l'impression d'essayer d'avancer sur une planche savonnée, ça ronronne planplan, ça redondance un tango verbal (un post en avant, deux en arrière), vais-je caler ou vais-je atteindre despentes pour enfin reprendre de la vitesse ? Vais-je devoir reprendre à mon compte cette contrepèterie cinématographique des années 80 de ‘connard le barbant' ?

Mais non, ça repart, l'intérêt me revient quand ils parlent, lui de ses relations violentes avec sa soeur, alors enfants, elle du viol qu'elle a subi à quatorze ans et de l'impact sur sa sexualité, lui de son sentiment d'être harcelé qui lui permet de réaliser ce qu'il a fait subir Zoé, elle de Zoé persécutée sur le net pour avoir dénoncé son harcèlement, lui de sa culpabilité se révélant à présent, elle de sa satisfaction devant une correspondance qui se transforme en psychothérapie.

Et quand, finalement, arrive l'ultime chapitre, avec lui arrive le sentiment de lire le meilleur du roman. Un dernier post de Zoé victime collatérale de cyber-harcelement en forme d'apothéose où elle résume sa vision du féminisme dans toutes ses composantes, un dernier post d'Oscar et de Rebecca, apaisés, revenus de leurs excès et prêts à se voir, dans la vraie vie.

Un début enthousiasmant, un ventre mou et bedonnant au centre puis une fin qui reprend des couleurs et de l'élasticité tels seront mes souvenirs de ce livre qui ne méritait pas de faire tant de gorges chaudes. Pas de quoi fouetter une chatte. Un conard ordinaire.

Et s'il y avait une bande sonore, piochons dans cette proposition les titres à y insérer :
-Confidence pour confidence 2.0 en temps de confinement ;
-les mots cent fois qu'on se dit avec les doigts ;
-shit, parle plus bas car on pourrait bien nous entendre ;
-Paroles, paroles, paroles !!
 
 
Commenter  J’apprécie          246
Cher.e attaché.e de presse de Virginie Despentes,

Virginie Despentes a bien fait de démissionner de l'Académie Goncourt pour se consacrer à part entière à l'écriture. Après la trilogie Vernon Subutex, elle ne pouvait que décevoir ses admirateurs.

C'est là que vous intervenez, même si Virginie Despentes est tellement médiatique que son livre est déjà célèbre bien avant sa sortie en librairie à la rentrée 2022.

De tous les thèmes abordés dans Cher Connard, celui qui me paraît avoir le moins retenu l'attention des Babeliotes, c'est l'âgisme. Dans notre société vieillissante, l'invisibilité des femmes de plus de cinquante ans mérite bien quelques coups de griffes.

Commenter  J’apprécie          221





Lecteurs (5761) Voir plus



Quiz Voir plus

Virginie Despentes

Virginie Despentes est un pseudonyme. A quoi fait-il référence ?

au nom de jeune fille de sa mère
à l'anagramme du nom de son chanteur préféré
au quartier des pentes de la Croix-Rousse à Lyon

10 questions
278 lecteurs ont répondu
Thème : Virginie DespentesCréer un quiz sur ce livre

{* *}