Et quelques fois, j'essaye de lire de la poésie, m'égarant très loin de mon cercle de confort littéraire, comme avec ce Poème d'amour postcolonial de
Natalie Diaz, traduit par
Marguerite Capelle. Une aventure pas très dangereuse pour lecteur pas trop téméraire.
Et quelques fois, j'apprends des mots, beaucoup de mots. le livre en recèle à chaque page, moins défis pédants que découvertes et volonté d'utiliser toute la diversité et la richesse qu'offre la palette de la langue : argémones, topazion lux, feldspath, culebra, ichor, Hécatonchine, Centimane, lenape, tourmaline, icosaèdre, succube, circumambuler, sphéraclcée, labrys…
Et quelques fois, d'autres voix de l'Amérique m'interpellent, comme celle de cette Native Woman mojave, que le français ne sait traduire que par le réducteur Amérindienne. « Ils ne sont clairs que parce que nous sommes foncés. » La langue de Diaz est belle, colorée – prédominance rouge - mais cette beauté n'éclipse en rien la douleur du passé et la violence subie de ces minorités devenues des majorités violentées.
« Nous sommes américains, et nous représentons
moins de 1 pour cent
des Américains . Nous sommes plus doués pour
mourir
aux mains de la police que pour exister. »
Et quelques fois, je lis la rage, celle qui transforme le basket en revanche : « Et pour gagner, on a fait comme tous les Indiens avant nous face à leurs adversaires plus grands, plus blancs – on s'est changés en coyotes et en rivières, et on a couru plus vite que leurs baskets de compète, quadrillant le terrain, match après match. On s'est changés en éléments – on soufflait en rafales, on pleuvait des trombes d'eau, on illuminait le gymnase à chaque pas. »
Et quelques fois, je lis l'amour, celui du frère : « Il avait aussi le torse d'un Mojave – poitrine ample, épaules larges, longs bras et mains ballantes contre ses genoux, comme des frondes, disait ma mère, pour signifier : c'est un guerrier. » Ou celui de l'aimée, et des étreintes de son corps de miel, où fusionnent bouches, hanches et cuisses dans des étreintes passionnées.
« Moi aussi, je progresse vers l'endroit où
sans cesse je retourne -
Elle »
Et quelques fois, j'entends le cri : « Je porte en moi une rivière. C'est ce que je suis : ‘Aha Makav ; Ça n'est pas une métaphore. Quand les Mopjaves disent : Inyech ‘Aha Makavch ithuum, nous disons notre nom. Nous racontons une histoire de notre existence. Et au milieu de mon corps coule une rivière. »
Et quelques fois, j'apprécie la poésie que je lis, même si je ne suis pas sûr de totalement la comprendre. Cette présentation bilingue qui permet des allers et retours d'une langue à l'autre ; cette mise en page plurielle, souvent déconstruite, qui interpelle et donne à chaque mot son importance ; ce prix Pulitzer qui donne une dimension stressante à certaines de mes incompréhensions. Beaucoup m'aura probablement échappé. Pas grave, c'est beau…
« Prends mon corps et fais de lui –
une Nation, une confession.
Grâce à toi-même moi je peux être lavée. »