Blade Runner est de ces romans qui vous laissent perplexe après avoir achevé la lecture, avec la conviction que l'on n'a pas terminé d'y penser, encore et encore...
Rick Deckard est donc dans ce roman principalement défini par sa tâche, métier qu'il effectue par passion, au point de ne pas avoir voulu émigrer sur Mars, par exemple, même si l'Etat lui avait fourni gratuitement un androïde pour ce faire. Les androïdes, il les "réforme", c'est-à-dire platement qu'il les tue, lorsqu'ils entrent illégalement sur Terre. Nous sommes sur Terre dans un monde situé temporellement dans les années 2000 (sachant que le roman a été publié en 1968), un monde totalement démoli par les guerres et l'usage de l'arme atomique. Les humains qui n'ont pas encore émigré sont, pour quelques-uns, "normaux", pour d'autres "spéciaux" (en-dessous du niveau intellectuel requis), jugés trop abîmés par les radiations et la "poussière". Tous vivent ou survivent dans des immeubles désespérément vides, parfois totalement décatis, les meubles et objets inutiles s'accumulant et tombant eux-mêmes en poussière.
On ne sait pas réellement pourquoi les androïdes sont jugés si dangereux et hors-la-loi, sinon lorsqu'ils se révoltent et tuent des humains pour espérer échapper à la servitude et vivre une vie normale. Ils sont de toute façon considérés comme des sous-hommes, inférieurs même aux animaux, qui du reste ont pour l'essentiel disparu et sont jugés infiniment précieux. Les clins d'oeil à l'éthique des robots selon
Isaac Asimov ne manquent pas (une des fondations fabriquant les robots est nommée
Asimov). Les ennuis de Rick Deckard commencent lorsqu'une nouvelle gamme de robot, les Nexus-6, dont le cerveau approche encore plus celui des humains, a vu le jour et fait des siennes : huit androïdes se sont échappés de Mars pour se réfugier sur Terre. Rick en a la liste et doit tous les réformer.
L'ennui : ils sont si perfectionnés que seul le test Voigt-Kampff, qui décèle spécifiquement l'empathie, peut les identifier - oui, car on ne tue pas les robots directement, il existe toute une procédure pour les détecter formellement, en toute légalité. Or, la première fois qu'il effectue le test, Rick est trompé par une androïde présentée comme humaine, Rachel Rosen, de la fondation qui a créé les Nexus-6. Il accepte son aide pour retrouver les androïdes restants, et se sent rapidement attiré par la jeune femme. Ainsi, se rapprochant d'une androïde, il est gagné par le doute et commence à désespérer de tout.
Ce roman est si riche qu'il est difficile de tout mentionner : il reste pourtant la passion de Dick pour les animaux vivants, et non les ersatz électriques, passion qui jalonne solidement l'intrigue, se révélant parfois un point faible, parfois une récompense pour ses efforts. En filigrane, une réflexion sur la religion est menée, à travers le mercérisme, qui se pratique à l'aide d'une "boîte à empathie", permettant en quelque sorte de vivre le chemin de croix d'une figure christique au rabais, Mercer. Ayant lu auparavant
le Maître du Haut-Château, je ne pense pas m'avancer trop en notant des thèmes récurrents : l'existence d'un homme essentiel qui pourrait détenir une vérité, ainsi qu'un "outil" qui sert à déchiffrer les rapports humains, que ce soit le
Yi-King dans
le Maître du Haut-Château, ou l'Argus des animaux dans Blade Runner.
C'est un livre que j'ai dévoré, et un coup de coeur, et de toute façon un pilier de la culture populaire, ne serait-ce que par le film de
Ridley Scott (une des raisons pour lesquelles j'ai voulu lire
Philip K. Dick est le fait que presque tous ses ouvrages aient été adaptés au cinéma).