Ce hors-série de Dossier de l'art se présente comme un très bon document pour ceux qui n'auraient pas vu l'exposition sur Jean-Léon Gérôme au musée d'Orsay, pour ceux qui y seraient allés sans lire les textes et sans se documenter avant leur visite, ou encore pour ceux qui veulent se rafraîchir la mémoire. En effet, la revue épouse parfaitement le point de vue de l'exposition et déroule un à un les thèmes qu'elle aborde, avec, en exergue, cette idée qui a guidé les commissaires d'exposition tout au long de leur projet : Gérôme est un fabricant d'images complètement à part.
A travers plusieurs thématiques, dont l'accueil fait à Gérôme par la critique de l'époque, son rapport à la peinture d'histoire, à l'Orient, à la sculpture, se dresse le portrait d'un artiste moins académique et beaucoup plus intéressant qu'on a pu nous le laisser penser au vingtième siècle, période pendant laquelle on avait coutume de juger les oeuvres et les artistes à travers le prisme étroit d'une certaine modernité (celle de l'impressionnisme, du fauvisme, du cubisme et de l'abstraction). Alors évidemment, on sent bien ici que Gérôme n'est pas un révolutionnaire à la Picasso ou à la
Kandinsky ; il n'empêche que, au-delà d'un métier (au sens technique et artisanal du terme) dans lequel il excellait et dont il était très fier, il a su faire preuve d'une originalité qu'on a longtemps ignorée. Avec lui, la peinture d'histoire, moribonde, prenait un tournant, et voilà qui est très bien mis en valeur dans ce Dossier de l'art qui lui est consacré. de plus, c'est un plaisir de profiter des reproductions des oeuvres de ce coloriste hors-pair, notamment de celles liées à l'Orient.
Le défaut majeur de ce numéro, en revanche, c'est que ce leitmotiv du fabricant d' images, qui est celui de l'exposition, est martelé à l'envi dans quasiment tous les articles. On peut pratiquement affirmer que l'ensemble du hors-série tourne autour de cette unique idée. On veut tellement nous convaincre qu'on nous répète en gros la même chose, inlassablement, sur tous les tons, ce qui se révèle légèrement fatigant. D'autant qu'il n'était nul besoin d'insister autant, les arguments des commissaires de l'exposition, avancés dès l'entretien dans les premières pages, se tenant très bien. Ce hors-série se veut finalement un peu trop inféodé à l'exposition elle-même.
J'ajouterai également que lesdits commissaires d'exposition ont une fâcheuse tendance à se laisser aller à des digressions lorsqu'ils répondent aux questions de la journaliste, donnant l'impression de réciter leur texte bien sagement, l'un après l'autre. Je ne suis pas non plus très convaincue par la thèse qui voudrait que Gérôme ait influencé le cinéma américain ; je ne l'étais déjà pas lors de l'exposition. C'est un sujet qui mériterait d'être mieux développé, s'il le mérite, notamment par l'intervention de spécialistes du 7ème art. Enfin, l'article sur l'atelier de Gérôme m'a laissée pantoise : je n'en revenais pas qu'on y présente le peintre comme un modèle d'ouverture d'esprit, alors qu'il est bien connu qu'il a eu des rapports très difficiles avec
Odilon Redon, qui fut son élève, parce que celui-ci ne se pliait justement pas aux méthodes académiques de son professeur !
Cela dit, il reste intéressant de se référer à ce hors-série pour aborder l'art de Gérôme, entre autres pour les analyses des oeuvres Corinthe, Pollice verso et L'Éminence Grise. Mais c'est une lecture qui mérite d'être complétée afin de parvenir à une vision un peu plus fine de l'artiste.