Or, l’œuvre, comme objet de crise et comme objet quantique, échappe à toute identité culturelle figée. Ou plutôt, elle la dépasse. Par sa nature d’objet en mouvement, d’objet non-figé, situé dans une temporalité relative et multiple, l’œuvre est un paradoxe permanent. Elle peut alors être facilement déplacée, replacée ou laissée dans son contexte. Étant à la fois réelle et virtuelle, son déplacement n’entraîne pas un effondrement du paysage culturel dont elle fait partie, mais un réaménagement temporaire de sa perception. La culture est une identité rhizomique, au sens deleuzien du terme, dont les « centres » ou les « nœuds » sont essentiellement symboliques et mobiles. Lire devient alors un déplacement qui suit un déplacement.
Ce déplacement suit, voire épouse l’effet, et risque constamment de tomber dans le plus grand piège : celui d’attribuer à cet effet une identité définitive. C’est confondre un désir avec un besoin. Le besoin passe par la catégorie, le désir, lui, appelle le genre. C’est un désir né d’une angoisse, provenant elle-même de cé déplacement provoqué par la lecture. Or ce mouvement est celui de l’Histoire, dont l’aléatoire ne peut être corrigé que par des fantasmes. L’effet de l’œuvre ne sera cependant jamais son identité définitive, pas plus que sa forme ne l’associe à une espèce « pure ». L’œuvre, comme la culture, est toujours hybride d’hybride. (« LIRE »)
L’effet de l’œuvre, c’est à travers quoi on la lit. C’est ce qui détermine la lecture du naïf et intéresse celle du critique. Car l’effet peut être trompeur – il l’est même souvent. C’est ce qui provoque l’affect et conditionne notre réaction. Or cet effet est toujours sciemment construit et indépendant du sens. Lier l’effet au sens est l’erreur la plus commune de la lecture, comme celle d’identifier le narrateur à l’auteur. Confusion des espaces, confusion des intentions. (« LIRE »)
Pourquoi lire, écouter, regarder ce que nous ne pouvons pas comprendre ? L’adhésion, c’est le plaisir de l’abstrait, de l’acceptation de l’énigme, du non-sens. C’est la recherche de l’inconfort – limité, comme dans l’identification – par la déchirure à venir. C’est tester la limite du jeu fictionnel et/ou poétique, admettre que « l’autre » sera toujours « autre ». Surface contre surface. (« LIRE »)
L’écrivain est avant tout un lecteur. C’est une évidence cent fois redite, mais qui est essentielle par rapport à l’acte fondateur de l’écriture, car elle participe de la même tragédie – celle de l’impossible réconciliation avec le monde matériel.
C’est en cela que la lecture et l’écriture sont les deux côtés du même acte social fondamental – celui de la prise de conscience. (« ÉCRIRE »)
L’écriture est un art martial, comme l’aikido, qui se sert de la force de son adversaire pour le terrasser. L’écrivain utilise la force du monde contre lui-même. (« ÉCRIRE »)
Sébastien Doubinsky lit le poème ''Tu es plus belle que le ciel et la mer'' de Blaise Cendrars.