Un ouvrage navrant.
Lovecraft a toujours affirmé son rationalisme intégral, ce qui est attesté non seulement par ses écrits mais par les témoignages de ceux qui l'ont connu.
Cependant Doumergue voit dans ses oeuvres de multiples Indices qui le relie aux croyances ésotériques les plus échevelées et contradictoires portant notamment sur un prétendu passé mystérieux de l'humanité, et le présente comme adhérent à ce corpus de croyances. Il aurait été un "initié", voire, comme l'auteur le laisse entendre dans sa conclusion, une créature issue des abymes de l'espace-temps.
Bien entendu ses démonstrations sont biaisées. Ainsi les allusions à la théosophie dans l'oeuvre de
Lovecraft b"prouvent" qu'il aurait été partisan de cette doctrine fumeuse, voire initié à ses arcanes les plus secrètes. Or ces allusions prouvent certes qu'il en connaissait l'existence comme tous ses contemporains cultivés, mais qu'il ne l'avait pas particulièrement étudié et l'utilisait comme un point d'appui dramatique au même titre que les ouvrages occultes qu'il a inventé, tels que
le Necronomicon, ou "le culte des goules" du Comte Derlette (private joke sur le nom de son ami
August Derleth). Sa correspondance établit par ailleurs qu'il tenait la doctrine de Mme Blavatsky pour la fumisterie qu'elle était et n'avait pour elle que mépris.
D'une manière générale, la méthode de raisonnement de l'auteur consiste à partir d'un thème de l'oeuvre de
Lovecraft illustré de quelques citations principalement dudit et plus rarement de l'oeuvre de Joshi, le tout exact mais parfois hors sujet pour la thèse de Doumergue, puis d'exposer une ou plusieurs théories ésotériques, puis, sous forme de questions au conditionnel, de suggérer des rapprochements avec le corpus lovecraftien. Doumergue se garde le plus souvent de répondre à ces questions. Mais il s'agit d'une méthode rethorique consistant à mettre sur le même plan des faits largement établis et des affirmations non étayées et présentée de manière favorable, en poussant le lecteur à répondre aux questions, ou plutôt aux fausses questions, posées par l'affirmative. Ce mode de raisonnement est typique des écrits occultistes et plus largement sortant du cadre de la raison. C'est la technique de la pente savonneuse.
L'ouvrage de Doumergue ne comporte pas de bibliographie établissant notamment les sources concernant
Lovecraft sur lesquelles il a travaillé. Il semble d'après son introduction qu'elle se résume à l'édition intégrale en trois volumes parue chez Bouquins en 1991, ouvrage certes digne d'éloges en son temps mais dépassé depuis la parution de l'intégrale
Lovecraft parue chez Mnemos l'année dernière, qui restitue les textes généralement mal traduits et souvent tronquée, qu'il est dommage d'ignorer si l'on prétend travailler sur
Lovecraft aujourd'hui. On ignore d'où il a tiré ses éléments concernant la vie de l'auteur. S'il a lusa biographie définitive, le "Je suis Providence" de
S.T. Joshi., Il est bien en peine, et pour cause, d'y trouver quoi que ce soit à l'appui de ses thèses.
En conclusion, de deux choses l'une :
-ou bien vous n'êtes pas familier de l'oeuvre d'HPL. Alors ne lisez pas ce livre, qui vous en donnerait une idée fausse pour le cas où vous voudriez ensuite vous plonger dans les écrits du Maître ( ce qui serait d'ailleurs une bonne idée)
-ou bien vous la connaissez. Alors ne le lisez pas non plus, ce n'est pas la peine de s'énerver (à moins que, comme votre serviteur, vous n'ayez le goût pervers de lire des livres pour le plaisir d'en medire).
Je tiens à préciser que tout ceci ne remet pas en cause les qualités de Monsieur Doumergue qui a écrit un très bon livre sur le complotisme "
Au coeur des théories du complot"