Cinq livres que j'ai tenté de débuter et que j'ai refermés – pas le bon moment, pas le bon état d'esprit. A deux doigts de l'abattement livresque – si, si – j'ai ouvert «
Les Indifférents ». Et dès la première page j'ai su.
On se prend déjà une sacrée gifle avec le prologue : phrases courtes et affûtées, style vif et texte volontaire qui nous assomme et nous intrigue. A nouveau pleine d'espoir, je me dis : je vais aimer ce roman.
Pire : je l'ai adoré.
Le récit pirouette entre deux époques : la rencontre de Justine avec la bande des Indifférents et puis la dernière scène, ce drame où l'existence riche et facile a basculé dans la cruauté, ce drame sibyllin dont on nous distille d'infimes indices par à-coups. Plus on avance dans la lecture et plus on est inquiet, troublé, désorienté.
Après, j'avoue avoir deviné dès le début l'issue de l'histoire parce que j'ai lu beaucoup de romans dans ce style, mais cela n'entache pas le plaisir que j'ai pris à lire ce livre.
Nous errons dans une atmosphère sombre et angoissante qui ne chavire jamais dans le mélodrame. Y ruisselle un humour très intelligemment dosé, insolent, effronté, qui renforce la majesté du récit. Les personnages sont solides et extrêmement bien travaillés : on aime adorer les « bons » et haïr les immoraux. C'est incisif, mordant ; c'est un texte qui a du culot.
Derrière l'histoire de ces gosses de riches, un peu écorchés par-ci, un peu paumés par-là, se glisse un texte très engagé.
Julien Dufresne-Lamy balance et il le fait avec habileté et intelligence. Avec lui, pas besoin de circonvolutions : lorsqu'il veut dénoncer une chose, il la dénonce avec fracas. Il ne s'embarrasse pas de détours ou d'hypocrisies, il gueule, il accuse, il donne de grands coups de pieds dans ce qui le heurte et l'écoeure. Et c'est marquant, admirable et impressionnant.
Ça parle de la vie dans ce qu'elle a d'arbitraire, des vieux secrets qui croupissent au fond des familles, de la recherche de soi et d'une forme de liberté absolue, de la mort et de l'impunité. Il y a une vraie et belle réflexion sur l'impact qu'ont les parents sur les comportements et actes futurs de leurs enfants : ce qu'ils transmettent de leur propre histoire, de leurs erreurs et leurs désastres, de ce qu'ils ont manqué et de ce qu'ils ont perdu. C'est un récit qui vous révolte parce qu'il raconte la vraie vie et que, très souvent, ce sont les innocents qui perdent et les coupables qui triomphent.
Avec ce texte fort, l'autre atout évident du roman, c'est l'écriture de l'auteur.
Julien Dufresne-Lamy utilise des phrases courtes, vives, taillées au couteau, à la fois gracieuses et acides. Et cette alliance aboutit à une composition aussi captivante que fracassante. Ça cavale sans respirations, haché et brut comme ce drame qui s'avance au loin, ça court et vit à mille à l'heure comme les adolescents qu'on suit. Aucun paragraphe pour combler du vide, chaque phrase a sa place et son rôle, et pour moi c'est assez exceptionnel de rencontrer un livre aussi minutieusement sculpté. J'ai croisé des paragraphes par dizaines que j'aurais rêvé inventer.
Oui, vraiment, ce roman est une très belle révélation, la grande bouffée d'air dont j'avais besoin. C'est très anxiogène mais étonnamment on se surprend à sourire très souvent, et ça, c'est sacrément habile. C'est dur et tendre, c'est beau et terrifiant. Nul besoin d'aller farfouiller dans les moindres replis du texte pour happer une minuscule imperfection : ce roman est impeccable, voilà. Si je n'avais pas deviné très vite le dénouement final, il m'aurait littéralement éblouie.
Un grand merci à Babelio, aux éditions Belfond et à
Julien Dufresne-Lamy pour ce roman subtil et engagé.
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