Un roman très riche, qui retrace une décennie de l'histoire des États-Unis qui a vu dans les années soixante un enchaînement d'événements particulièrement marquants, avec les assassinats de JFK à Dallas en 1963, de son frère Robert et de
Martin Luther King en 1968, le désastre de « la baie des cochons » et la crise des missiles de Cuba, ainsi que l'engagement militaire américain au Vietnam, replaçant l'histoire dans le contexte d'un monde qui n'a jamais été aussi proche d'un embrasement Est-Ouest qu'au moment de l'accession à la présidence de John. Moins historique, la mort en 1967 et 1968 des parents d'un certain Mark O'Dugain, professeur à Vancouver, décide celui-ci à écrire quelques années plus tard une thèse sur Robert Kennedy et effectuer des recherches sur l'histoire familiale, persuadé jusqu'à l'obsession d'un lien entre les deux.
Le récit s'attarde beaucoup sur les circonstances du drame de Dallas, de façon minutieuse mais franchement partisane. Il est certain qu'il vaut mieux adhérer à la thèse du complot. Les lecteurs ayant fait leurs les conclusions de la commission Warren en faveur du tireur unique et des trois balles, dont une perdue et une magique, auront du mal à apprécier les positions prises dans sa thèse par O'Dugain qui sont sans ambiguïté, voire parfois un peu dans l'excès : « Un tueur isolé ? Tu parles ! Ils ne devaient plus savoir où se mettre, derrière la fameuse palissade, ces tueurs à gages de la Mafia et de la Cia... ». Tous les protagonistes supposés qui ressortent des théories complotistes sont pointés du doigt, du vice-président Johnson à Edgar Hoover en passant par Bush père, la Mafia, la Cia, l'armée, les groupes anticastristes, l'extrême droite ségrégationniste, le plus qu'influent complexe militaro-industriel, le lobby pétrolier... qui avaient tous une raison ou une autre de vouloir se débarrasser, quel que soit le moyen, d'un président considéré comme gênant.
La vie de Robert Kennedy après la mort de son grand frère est longuement détaillée, le narrateur rappelant sa sensation d'avoir été responsable de l'assassinat de John en raison de sa lutte acharnée contre le crime organisé, « l'ennemi intérieur ». Cette culpabilité le poursuit jusqu'à sa mort qui survient alors qu'il est candidat à la primaire démocrate et porteur de beaucoup d'espoir pour les exclus du rêve américain, son assassinat suscitant les mêmes doutes qu'à Dallas sur la présence d'un seul tireur, la thèse d'un complot anti Kennedy renaissant de ses cendres comme un éternel recommencement. le récit propose de nombreux allers-retours temporels entre les deux événements marquants de cette décennie tragique pour la famille Kennedy, alternant avec la partie purement fictive du travail du professeur sur sa famille, Mark O'Dugain ayant commencé une véritable enquête policière, que j'ai trouvée particulièrement intéressante, afin d'en savoir plus sur le passé de ses parents, et de connaître les réelles circonstances de leurs décès si brusques et rapprochés.
Le clan Kennedy n'est pas totalement épargné, à l'image de ses principaux membres pas toujours décrits à leur avantage. Joe, le père candidat déçu d'une élection présidentielle, très proche de la pègre, John, à la frénésie sexuelle compulsive qui faillit lui valoir une destitution, et Bobby le petit frère sensible mais maniaco-dépressif.
Le contexte social de cette période est particulièrement bien rendu. J'ai bien aimé l'évocation très désabusée qui est faite de la révolution culturelle qui s'est développée dans les sixties, principalement à San Francisco, d'une grande intensité créatrice, portée par la vague hippie prônant la liberté et rêvant sous LSD d'un monde meilleur sans guerre et rempli d'amour, trouvant une sorte d'apogée au festival de Woodstock, puis s'éteignant doucement noyée dans l'utilisation de drogues diverses.
Le ton est souvent assez cynique, à travers de petites phrases très acides sur certains personnages qui ne font pas le voyage à vide, à l'image de Lyndon Johnson, Edgar Hoover, Joseph McCarthy, et quelques présidents de périodes plus récentes.
J'ai commencé cette chronique en disant que ce roman était très riche, ce que je répète tant les domaines abordés sont divers. J'ai eu l'impression de lire un récit historique, mais aussi un thriller politique, policier et psychologique, le tout agrémenté de l'étude sociologique d'une époque. Je me suis vraiment régalé à la lecture de ce livre qui m'a passionné, et je dois avouer avoir apprécié les prises de position bien claires... de Mark O'Dugain bien sûr. C'est l'avantage du roman de permettre de soutenir les théories les plus folles sur des événements alimentant toujours l'imaginaire populaire.