AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Françoise Du Sorbier (Traducteur)
EAN : 9782714446084
504 pages
Belfond (04/11/2010)
3.94/5   26 notes
Résumé :
En pleine Renaissance italienne, le nouveau roman de Sarah Dunant nous plonge au cœur des passions et des révoltes qui vont secouer la vie d’un couvent. Un huis clos troublant à l’atmosphère sulfureuse et aux subtiles résonances contemporaines.

Ferrara, 1570. Au couvent de Santa Caterina, nombreuses sont les femmes nobles mariées au Christ à défaut d’avoir trouvé un époux à l’extérieur. Mais une nouvelle novice n’est pas prête à se laisser soumettre :... >Voir plus
Que lire après Un coeur insoumisVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (9) Voir plus Ajouter une critique
J'étais très enthousiaste à l'idée de lire ce roman quand j'ai vu que l'intrigue se déroulait en Italie, pays que j'aime beaucoup et pendant la renaissance, période de l'histoire que je trouve très intéressante.

Et je ne peux que féliciter l'auteure pour son travail car on a vraiment l'impression d'être entre les murs de ce couvent. de plus, elle décrit très bien les conditions de vie des femmes de l'époque, condamnées au mariage de convenance ou si la famille n'a pas d'argent pour payer la dot, à vivre dans un couvent. Rien donc de très réjouissant.

L'écriture de Sarah Dunant est plaisante et agréable à lire mais mon bilan pour cette lecture est plutôt mitigé. J'ai souvent été mal à l'aise entre les murs de ce couvent. Ce roman est un huis-clos et je me suis souvent sentie oppressée, entre ses religieuses (pas toutes très commode!). Et puis surtout le rythme est assez lent et répétitif. Alors ce n'est pas une critique, ce rythme est normal au sein d'un couvent religieux ou tout est à heure régulière et L'auteure l'a très bien retranscrit mais ça m'a dérangé. Il y avait des moments, des longs chapitres ou il ne se passe rien ou quasiment rien puis ensuite une action arrive et tout va très vite. Puis on retombe dans la monotonie. Sans doute ne suis-je pas assez croyante pour lire ce roman (quoi que je ne pense pas qu'il faille l'être!) ou peut-être ne l'ai-je pas lu au bon moment mais je suis un peu déçue par l'intrigue....
Lien : http://missmolko1.blogspot.i..
Commenter  J’apprécie          230
Quel talent ! Mais quel talent !

Ce roman écrit par Sarah Dunant, auteure anglaise, est une merveille. Tout simplement une merveille.
Je suis entrée au couvent de Santa Caterina à Ferrare en même temps que la jeune Sérafina, et fut conquise par ces femmes au destin singulier.
Elles sont les épouses dévouées du Christ, quelquefois par choix, mais très souvent par obligation. Car dans la renaissance italienne, les familles nobles ne pouvaient pourvoir aux dots faramineuses fixées pour faire un bon mariage. Alors une seule des filles de la famille étaient élevées pour le mariage, les autres étaient éduquées pour prendre le voile. Les couvents étant moins gourmands, la dot demandée était souvent plus abordables.
Notre jeune novice, est envoyée de force au couvent,car coupable d'Amour. Elle ne compte pas rester dans cette prison pour femmes non désirées. L'abbesse Chiara, la confie à soeur Zuana, l'apothicaire du couvent, pour qu'elle l'initie à la vie du couvent, et pour accepte son sort.
Cette rencontre est une bénédiction pour les deux femmes. Soeur Zuana va aider Sérafina. Et en contre partie la jeune fille va ouvrir la conscience de Zuana.
Sur fond historique, Sarah Dunant dépeint avec brio la vie dans les couvents sous la renaissance italienne, mais nous offre en même temps une histoire qui déchaine les passions.
Chaque personnage a une personnalité bien différente et nous offre son regard sur la religion, la condition féminine, sur la politique de l'époque. le couvent Santa Caterina est réputé pour son choeur de soeurs et pour y accueillir les filles des familles les plus illustres. Mère Chiara, l'abbesse, est une grande diplomate et une femme de coeur. de ce fait, elle gère le couvent de façon plus moderne et comme ces jeunes femmes sont de familles aisés, certaines règles de vie sont assouplies... Mais ce confort est menacé par des réformes qui tendent à durcir la vie monastique. L'équilibre de Santa Caterina est devenu précaire. Surtout que certaines soeurs adhèrent à ces réformes. Sérafina est une bombe à retardement dans cette équation.
Sarah Dunant a réussi à m'envoûter, à m'éblouir, à m'émouvoir et à me troubler. Bref Sarah Dunant m'a offert un moment de lecture inoubliable.

Lien : http://lacaveauxlivres.blogs..
Commenter  J’apprécie          110
Franchement génial ! Je suis encore toute épatée par le talent de l'auteur qui a su faire d'une histoire dans un couvent un livre si original et terrible. Une héroïne au caractère versatile, victime d'une chose terrible, être enfermée contre son gré dans un couvent (ce qui était apparemment assez répandu à l'époque) pour avoir aimé un homme qui ne fallait pas.

Obligée de supporter la bigoterie insupportable des nones, leur humilité, leur obéissance obséquieuse -et très franchement insupportable elle aussi- le rythme que la règle de Saint-Benoît impose, notre héroïne Soeur Séraphina n'a pourtant de cesse de lutter contre cette injustice afin de retrouver sa liberté. Y parviendra-t-elle ? Je vous laisse le découvrir…

Cela dit, outre cette histoire d'amour d'un autre temps, l'auteur va aussi nous faire découvrir la vie dans un couvent à l'époque de la renaissance italienne. Alors que le concile de Trente essaye de son côté de redresser les couvents pour combattre l'hérésie au coeur de l'église, nous allons découvrir ou redécouvrir ce qui fait le plus gros de la vie des soeurs dans leurs églises avant les gros changements qui s'annoncent, c'est-à-dire pas grand-chose et principalement ; chorale, prières, manger, silence, un peu dodo et un peu de divertissement. Chorale, prières, manger, silence, un peu dodo et un peu de divertissement… La vie dans un couvent n'est pas très passionnante, soyons honnête, elle deviendra même pire après...

Cela étant, ne croyez pas, si vous lisez ce livre, que vous allez vous ennuyer en pensant lire toujours la même chose, car ce n'est absolument pas le cas ! Comme notre héroïne va travailler dans l'apothicairerie du couvent avec une autre soeur que j'ai beaucoup aimé, mais va aussi échafauder des plans pour sortir, enfreindre quelques règles, voir les mini guerres des soeurs, découvrir quelques menus mystères aussi, on n'a pas cette impression de tourner en rond ni de s'ennuyer. L'intrigue glisse facilement, sans se répéter, puisque malgré une ambiance aux apparences très calmes, ce livre comporte quand même quelques agissements et rebondissements qui rendent la lecture piquante.

En résumé c'est un livre que j'ai beaucoup aimé, et je le conseille vivement même si cette ambiance d'obéissance aveugle est en tout point insupportable. (D'ailleurs ça paraît incroyable d'imaginer qu'a une époque les gens pouvaient être aussi arriérés et si encrés dans la pensée de Dieu.) Mais quoi qu'il en soit, vous allez vous régaler si jamais vous l'ouvrez.
Commenter  J’apprécie          40
Ce roman nous plonge dans un couvent à Ferrare, en Italie au 16eme siècle. On y découvre le quotidien des soeurs et surtout celui de ces jeunes filles de très bonnes familles dont les vies étaient « consacrées à Dieu » sans leur consentement.
On s'identifie très vite à une jeune novice, placée au couvent par sa famille, pour l'éloigner d'un jeune homme.
Avec elle, nous vivons l'injustice et la révolte de cette vie sacrifiée mais nous découvrons aussi la bonté dont peuvent faire preuve certaines religieuses à l'égard de ces jeunes filles « qui auraient pu être leur fille », mais aussi les tourments et mesquinerie propres à chacune...

L'ambiance du couvent dans l'Italie au 16 eme siècle y est remarquablement décrite : j'ai ressenti la solitude suintant des murs des petites chambres ressemblant à des cellules, j'ai éprouvé le froid comme si je portais moi-même une lamentable robe en grosse toile rêche, j'ai eu faim et peur, j'ai ressenti cette envie de m'enfuir et de me battre contre cette injustice d'avoir été enfermée sans mon accord, j'ai ressenti de la colère, de la rage envers ces femmes qui bien qu'ayant parfois subi un sort identique semblaient froides et sans coeur.
Et puis, j'ai éprouvé également une forme d'apaisement au contact de certaines soeurs plus douces, plus confiantes en l'avenir à défaut d'avoir confiance en la bonté de l'homme.
Commenter  J’apprécie          80
En 1570, le couvent de Santa Catarina à Ferrare accueille une jeune fille de la bonne société italienne en tant que nouvelle novice. Il est en effet courant pour les familles nobles d'envoyer une ou plusieurs filles au couvent en leur fournissant une dot moindre de celle qu'elles seraient obligées de constituer en cas de mariage. Mais la jeune Serafina refuse cet enfermement à vie car elle est amoureuse d'un jeune musicien et chanteur. Mais la voix exceptionnelle de la jeune fille en fait un atout pour le couvent qui donne des concerts en l'honneur des bienfaiteurs et des généreux donateurs. C'est aussi sans compter le scandale qui surgirait si Santa Catarina laissait partir une novice, particulièrement au moment où le concile de Trente entend réformer la vie des couvents trouvée trop laxiste …
Qui aurait cru qu'un livre se passant exclusivement dans un couvent pouvait être aussi passionnant ? Je dois avouer que j'avais commencé ma lecture en étant assez perplexe car je suis très loin d'être portée sur la religion (mes seuls passages dans les églises étant pour des cérémonies telles que mariages ou autres invitations ou pour admirer l'architecture). Mais j'avais déjà lu un autre livre de cette auteure (« La naissance de Vénus ») et je l'avais beaucoup aimé donc j'étais curieuse d'en découvrir un autre. Il semble que Sarah Dunant soit passionnée par l'Italie et par L Histoire et elle connait apparemment très bien ses sujets. Je me suis tout de suite retrouvée plongée dans la Renaissance italienne qui transparait au travers des murs du couvent de Santa Catarina. Les souvenirs de la soeur apothicaire Zuana, qui va prendre Serafina sous son aile, ainsi que l'histoire de la jeune novice servent à rattacher l'histoire dans un contexte extérieur au couvent, avec aussi des petites incursions lors des « spectacles » que donnent les soeurs dans différents contextes (le carnaval ou bien Pâques). Sinon, la narration est rythmée par les prières et l'emploi du temps de Santa Catarina mais cela ne m'a en rien empêchée de me passionner par les guerres intestines qui ont lieu à l'intérieur du cloitre. L'abbesse Chiara, qui dirige le couvent, doit souvent ruser pour garder son autorité sur des nonnes souvent en proie à des exagérations mystiques, particulièrement soeur Umiliana, qui dirige les novices et qui désirerait plus d'austérité dans le couvent. J'ai aimé le côté scientifique du roman, avec les balbutiements de la médecine et des remèdes, subtilement amené via la soeur Zuana et qui va jouer un rôle important dans le roman. de même, j'ai appris quelques petites choses grâce au contexte historique, avec le concile de Trente, mais j'aurais aimé en savoir encore plus car celui-ci n'est qu'esquissé pour donner une toile de fond à l'histoire des soeurs du couvent et une justification à certains rebondissements. En conclusion, malgré un thème qui paraît rébarbatif, voilà un roman intéressant qui mélange plusieurs thèmes sur fond historique et qui m'a encore beaucoup plu.
Lien : http://bibliodudolmen.canalb..
Commenter  J’apprécie          50

Citations et extraits (4) Ajouter une citation
Avant l'explosion de hurlements, le silence nocturne de Santa Caterina n'est troublé que par ses murmures familiers.

Dans une cellule du rez-de-chaussée, le chien de manchon de sœur Ysbeta, emmailloté comme un bébé dans un carré de satin, chasse en rêve : grognements étouffés et grondements ponctuent le plaisir que lui donne chaque lapin acculé. Ysbeta elle aussi est occupée à la traque : devant le plateau d'argent qui lui sert de miroir, sa main droite, immobile, referme les mâchoires d'une pince à épiler en ivoire sur un poil blanc rebelle de son menton. Elle tire d'un coup sec, et exprime dans un même gémissement sa douleur et sa satisfaction.

De l'autre côté de la cour, deux jeunes femmes dont les formes dodues et les joues rondes évoquent l'enfance sont étendues sur une seule paillasse, les membres mêlés comme brindilles en fagot, le visage si proche qu'on dirait qu'elles échangent leur souffle : l'une inhale, l'autre exhale. Inspiration. Expiration. Inspiration. Expiration. Un léger parfum sucré flotte dans l'air. De l'angélique, peut-être. Ou de la menthe douce, comme si elles avaient mangé le même gâteau ou bu du vin d'épices au même verre. En tout cas, la substance absorbée les fait bien dormir, et le léger ronron qui s'élève dans la pièce témoigne de leur bien-être.

Pendant ce temps-là, sœur Benedicta a du mal à se contenir tant la musique emplit sa tête. Ce soir, c'est un arrangement du graduel pour la fête de l'Épiphanie où les différentes voix, tels des fils de tapisserie de couleur, se croisent et se recroisent avec, parfois, une telle rapidité qu'elle ne parvient pas à inscrire sur l'ardoise de son tableau cette forêt de notes crayeuses. Certaines nuits, elle a l'impression de ne pas dormir du tout : les voix sont si insistantes qu'elle a la conviction de chanter en même temps qu'elles. Mais personne ne la réprimande le lendemain, ni ne la réveille si elle pique du nez au réfectoire. Ses compositions font honneur au couvent, auquel elles procurent des bienfaiteurs, aussi ses excentricités sont-elles tolérées.

La jeune sœur Perseveranza, elle, est l'esclave d'une autre musique, celle de la souffrance. Une chandelle de suif crachote des ombres dans sa cellule. Sa chemise est si fine qu'elle sent l'humidité de l'hiver lorsqu'elle s'adosse au mur de pierre. Elle la relève au-dessus de ses mollets, de ses cuisses, puis, avec précaution, de son ventre, et exhale une série de plaintes tremblantes tandis que le tissu se décolle des plaies ouvertes qu'il recouvrait. Elle s'arrête, prend une ou deux inspirations rapides pour se calmer et tire plus fort quand elle rencontre de la résistance, jusqu'à ce que la peau à peine reformée vienne avec le tissu. La lueur de la chandelle révèle une ceinture de cuir cloutée qui lui serre la taille ; les pointes courtes, à l'intérieur, sont si profondément enfoncées dans la chair qu'elles ont provoqué des scarifications enflées, croûteuses, où peau et cuir ne font plus qu'un. Avec une lenteur délibérée, Perseveranza appuie sur l'un des clous. Sa main se rétracte involontairement, lui arrachant un cri, mais il y a de l'exultation dans ce cri, un défi à elle-même, et ses doigts appuient de nouveau.

Elle garde les yeux rivés sur le mur en face d'elle, où la lumière expirante s'accroche à un crucifix de bois sculpté. Le Christ, jeune, vivant, le visage creusé par le chagrin, les muscles tendus épousant le sens du bois et le corps penché en avant, tirant sur les clous. Elle le regarde fixement, tremblante, les joues baignées de larmes, les yeux brillants. Bois, fer, cuir, chair. Son monde est tout entier dans cet instant. La douleur fait place au plaisir. Elle est dans Sa souffrance. Il est dans la sienne. Elle n'est pas seule. Elle presse de nouveau le clou et pousse un long râle de satisfaction, un son presque animal, une consommation subie et accomplie.

Dans la cellule voisine, les doigts de sœur Umiliana s'arrêtent un instant sur les grains murmurants de son chapelet. Le bruit des dévotions de la jeune sœur laisse un goût de miel dans sa bouche. Plus jeune, elle aussi a cherché Dieu dans des blessures ouvertes ; maintenant qu'elle est maîtresse des novices, son devoir exige qu'elle fasse passer le bien-être spirituel des autres avant le sien. Elle penche la tête et retourne à son chapelet.



Dans sa cellule au-dessus de l'infirmerie, sœur Zuana, l'apothicaire de Santa Caterina, est absorbée dans sa propre forme de prière. Elle se penche sur le grand herbier de Brunfels, le front plissé par la concentration. À côté d'elle est posé le dessin récemment terminé d'un plant de géranium, dont elle a constaté que les feuilles avaient un effet astringent sur les coupures et les blessures. L'une des sœurs les plus jeunes perd des caillots de sang, et Zuana cherche à composer un mélange pour guérir une blessure qu'elle ne peut voir.

Les gémissements de Perseveranza se répercutent dans le couloir du cloître. L'été passé, quand ses plaies ont commencé à s'infecter avec la chaleur et que ses voisines se sont plaintes de l'odeur, la mère supérieure a envoyé la jeune religieuse se faire soigner à l'infirmerie. Zuana a nettoyé et pansé de son mieux les lésions infectées, et prescrit une pommade pour réduire l'inflammation. Elle n'a rien pu faire d'autre. Certes, Perseveranza finira peut-être par s'empoisonner à cause d'une infection plus sévère, mais elle est en bonne santé par ailleurs et, d'après ce que Zuana sait du fonctionnement du corps, elle ne pense pas que cela se produira. Le monde est plein d'histoires d'hommes et de femmes qui vivent des années avec de semblables mutilations ; et si Perseveranza parle de la mort avec tendresse, elle éprouve à l'évidence trop de plaisir à ses souffrances pour vouloir y mettre fin prématurément.

Zuana ne partage pas ce goût pour la mortification. Avant d'entrer au couvent, elle a passé de nombreuses années auprès de son père, professeur de médecine, dont elle était l'unique enfant et qui avait voué son existence à l'étude des vertus curatives de la nature. Elle ne se souvient pas d'un moment où elle n'a pas partagé sa passion. Elle aurait fait un excellent médecin ou professeur, comme lui, si la chose avait été possible. En l'occurrence, elle a eu la chance de pouvoir, grâce à la réputation de son père et à ses biens, s'offrir après la mort de celui-ci une cellule au couvent de Santa Caterina, où tant de jeunes femmes nobles de Ferrare trouvent un asile pour poursuivre le cours de leur vie sous la protection de Dieu.

Malgré tout, même un couvent où règne l'ordre tremble un peu en accueillant dans son sein quelqu'un qui ne veut absolument pas être là.



Zuana lève les yeux de sa table. Les sanglots en provenance de la cellule de la novice récemment arrivée sont trop violents à présent pour qu'on puisse les ignorer. La crise de larmes ordinaire du début s'est transformée en hurlements furieux. En tant que sœur infirmière, il incombe à Zuana, si les choses deviennent difficiles, de calmer la nouvelle venue à l'aide d'une potion somnifère. Elle retourne le sablier. Le breuvage est déjà mélangé et prêt à l'emploi à l'apothicairerie. Reste à savoir combien de temps attendre pour l'administrer.

La détresse d'une novice est difficile à évaluer. Lorsque le repas de fête est terminé, que la famille est partie et que les grandes portes se sont refermées sur le monde extérieur, il est naturel d'éprouver un certain désarroi, et même les jeunes filles les plus dévotes peuvent être prises de panique en affrontant la solitude et le silence d'une cellule close.

Celles qui ont des parentes à l'intérieur des murs sont les plus faciles à calmer. La plupart se sont fait les dents sur des gâteaux et des biscuits confectionnés au couvent, ont été choyées et adulées année après année lors de leurs visites, si bien que l'univers du couvent leur est aussi familier que celui d'un second foyer. Si, comme cela peut arriver, la première journée se termine par une crise de larmes, il y a toujours une tante, une sœur ou une cousine à proximité pour cajoler ou consoler la jeune fille.

Pour d'autres, qui rêvaient peut-être d'un époux plus incarné, ou qui ont laissé à la maison un frère adoré ou une mère aimante, les larmes signifient autant le deuil du passé que la peur de l'avenir. Les sœurs converses traitent gentiment les nouvelles lorsqu'elles quittent maladroitement robes et jupons, frissonnant autant de nervosité que de froid, les bras nus levés au-dessus de la tête, prêtes à passer la chemise. Mais toute la sollicitude du monde ne peut déguiser la perte de la liberté, et si plus tard certaines pourront substituer la soie à la serge (des transgressions aussi élégantes sont ignorées à défaut d'être autorisées), lors de cette première nuit, il arrive que les jeunes filles à la peau sensible et peu portées à la mortification n'en puissent plus à force de se gratter. Il y a dans ces larmes un certain apitoiement sur soi, et mieux vaut qu'elles soient versées à ce stade, car si on les laisse croupir, elles risquent de se transformer en poison lent.

La crise finit toujours par s'épuiser d'elle-même et le couvent retrouve son sommeil. La sœur de garde patrouille dans les couloirs, surveillant l'heure jusqu'aux matines, deux heures après minuit ; alors, elle traverse le cloître principal, frappe à chaque porte en omettant celle de la dernière arrivée. La coutume de Santa Caterina veut qu'on laisse les nouvelles venues tranquilles la première nuit, pour qu'elles soient reposées le lendemain matin, et donc mieux disposées à entamer leur nouvelle vie.

Cette nuit, toutefois, personne ne dormira guère.

Au bas du sablier, lorsque la montagne de grains est presque à son point culminant, les plaintes sont si stridentes que Zuana les ressent dans son ventre autant que dans sa tête : on dirait qu'une troupe de démons rebelles a fait irruption dans la cellule de la jeune fille et lui tourne les entrailles à la broche.
Commenter  J’apprécie          10
It is a delicate business, judging the depth of a novice's distress. Once the feasting is over, the family have left and the great doors are bolted against the world, a certain level of upset is only natural and even the most devout of young women can suffer a rush of panic when faced with the solitude and silence of the closed cell.
Commenter  J’apprécie          120
Avec l'arrivée de l'épidémie, Zuana a dû l'attacher pour l'empêcher de déambuler dans le cloître à toutes les heures du jour et de la nuit, et la vieille religieuse l'a très mal pris. Elle passe le plus clair de son temps à marmonner dans ses draps. En voyant Zuana, elle se redresse, soudain agitée, et essaie de quitter son lit.
"Ah, vous voilà revenue! L'ange des jardins vous attend. Il est de nouveau des nôtres, s'écrie-t-elle en agitant les bras en direction de l'apothicairerie, son élan bridé par les sangles qui lui barrent la poitrine."
Commenter  J’apprécie          10
Les secrets engendrent d'autres secrets, qui prolifèrent comme des moisissures dans un entrepôt mal tenu.
Commenter  J’apprécie          90

Videos de Sarah Dunant (2) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Sarah Dunant
Vidéo en anglais. Sarah Dunant parle de son tryptique de romans se déroulant pendant la renaissance italienne "La naissance de Vénus", " La courtisane de venise" et "Sacred hearts".
autres livres classés : couventVoir plus
Les plus populaires : Polar et thriller Voir plus


Lecteurs (78) Voir plus



Quiz Voir plus

Quelle guerre ?

Autant en emporte le vent, de Margaret Mitchell

la guerre hispano américaine
la guerre d'indépendance américaine
la guerre de sécession
la guerre des pâtissiers

12 questions
3204 lecteurs ont répondu
Thèmes : guerre , histoire militaire , histoireCréer un quiz sur ce livre

{* *} .._..