Ce livre de
Marguerite Duras était dans ma PAL depuis que j'ai vu, au printemps 2018, le film qui en a été adapté par Emmanuel Finkiel, un superbe moment de cinéma.
Je connais peu l'oeuvre de
Marguerite Duras dont je n'ai lu, à ce jour, que La Maison, texte d'abord découvert dans une mise en scène théâtrale et La Vie matérielle, dont il est issu.
La Douleur est un recueil des textes de jeunesse que l'auteure reconnaît avoir un peu oubliés dans ses archives, à la fois journal intime, témoignage et récits de fiction, publiés en 1985.
Le premier texte, le plus long, donne son titre au recueil. C'est le journal tenu par
Marguerite Duras alors qu'elle attendait l'hypothétique retour de son mari, résistant, arrêté par la Gestapo puis déporté à Dachau. Approximativement daté d'« avril », ou bien sans date précise, dans une tonalité à la fois urgente et détachée, l'auteure raconte la tension, le ressenti, l'espoir et la peur. L'écriture est efficace, sans filtre ni tabou.
Marguerite Duras qualifiera elle-même, plus tard, au moment de la publication, ses mots de « désordre phénoménal de la pensée et du sentiment ».
Marguerite Duras met sa parole au service du vécu de toutes les familles qui attendaient des nouvelles des déportés au moment de la libération des camps de concentration. Son récit personnel, écrit dans l'urgence et
la douleur, bien que profondément intime, devient universel. Les personnages sont réduits à des initiales : Marguerite attend des nouvelles de Robert L. et D. est à ses côtés… Parfois, son JE se dédouble et elle se raconte à la troisième personne. La libération de Paris, vue et ressentie par Marguerite, donne à voir un point de vue particulier entre euphorie et déni ; en ramenant tout à cet époux qui ne revient pas, elle met l'accent sur le sort des déportés de toutes natures, les juifs, les politiques, les droits commun, les prisonniers de guerre....
Parfois, le style se fait plus impersonnel, remet en cause la posture gaulliste, analyse et commente la gestion du retour des prisonniers. Son témoignage devient précis, elle cite des résistants célèbre comme
François Mitterrand, dit Morland, ancre son récit dans la réalité historique de la défaite allemande et de l'horreur nazie.
Le film d'Emmanuel Finkiel traduisait magnifiquement l'ambiance sombre, les silences de l'inaction, le déroulement de cette attente, entre moments très calmes empreints de résignation et d'immobilité et périodes délirantes de crise, de tempête et de fureur.
Le retour de son mari est une véritable épreuve, décrite de manière hallucinée ; à la joie de retour, se mêle une terrible souffrance empreinte de culpabilité.
La fin de «
La Douleur » est plus apaisée, avec des passages datés de l'été 1946, « un an et quatre mois » plus tard ou bien d'« une autre année », d' « un autre été », d' « un autre jour sans vent ». La vie a repris ses droits même si le traumatisme demeure.
Le film s'inspire aussi beaucoup de second texte de ce livre, consacré à Pierre Rabier. Dans ce récit où tout est vrai « jusque dans le détail »,
Marguerite Duras raconte sa relation ambiguë avec un policier collabo à partir de l'arrestation de son mari…
La peur de la jeune femme est palpable même quand elle se met à distance, semble se regarder en train d'agir et de ressentir des émotions, les légitimes et les inavouables.
Qui manipule qui ? Jusqu'à quel point ? La tension est mise en mots.
Les textes suivants sont plus difficiles à lire car ils évoquent les règlements de compte à la libération quand la vindicte populaire s'abat sur les donneurs et collaborateurs en tout genre. Encore une fois,
Marguerite Duras n'édulcore rien et revendique les rôles qu'elle se donne au travers de la fiction.
Enfin, « L'Ortie brisée » renoue avec la littérature, propose une fin, une réflexion, tandis que le dernier texte, consacrée à une enfant juive, rappelle l'horreur et la folie, puis la force de
l'amour.
Je n'étais pas sortie indemne du film, je termine cette lecture dans un état second, abasourdie et mal à l'aise. Je retiens un magistral portrait de femme, sans concession.
L'écriture de
Marguerite Duras est complexe et, ainsi qu'elle nous le dit, ce n'est pas évident de se l'approprier : « apprenez à lire. Ce sont des textes sacrés »…
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