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Greg Egan, auteur australien né en 1961, est aujourd'hui considéré comme le « pape de la hard-SF ». Et s'il est vrai que ses romans et nouvelles ont un soubassement mathématique et scientifique solide, nul besoin d'être titulaire d'un master en physique quantique pour les apprécier pleinement. Car ce qui intéresse Greg Egan, ce ne sont pas les toutes dernières avancées théoriques et techniques en elles-mêmes, ce sont leurs implications vertigineuses pour l'individu en termes d'identité, de déterminisme et de libre-arbitre.

Je dirais que plus que de « hard-SF », il s'agit, du moins dans son recueil de nouvelles le plus emblématique, Axiomatique, d'une science-fiction intériorisée : l'essentiel ne réside ni dans l'action, ni dans d'hypothétiques voyages dans le temps ou de lointaines guerres des étoiles, mais dans les interrogations de personnages plongés dans des situations inextricables, placés face à des dilemmes cornéliens. Chaque nouvelle peut être perçue comme une expérience de pensée comme on en rencontre en philosophie morale. Or, les expériences de pensée ont ceci de très efficace qu'elles nous associent, non plus seulement en théorie, mais en pratique, à des situations dans lesquelles entrent en conflit deux systèmes de valeur équivalents et antagonistes. Greg Egan va plus loin. Non seulement il nous place à chaque nouvelle histoire dans un contexte inédit et déstabilisant créant une situation à la fois excitante et inconfortable, mais en plus il s'arrange pour que ses personnages n'y répondent jamais de la façon attendue, c'est-à-dire selon les règles habituelles de la morale ou de la psychologie, créant ainsi vertige et malaise chez son lecteur.

Sur les dix-huit nouvelles que comporte ce recueil, à l'exception peut-être d'une ou deux histoires que j'ai trouvées moins vertigineuses, j'ai eu à chaque fois le sentiment de frôler l'abîme. du reste, je n'ai jamais pu lire plus de deux nouvelles chaque soir, car j'avais besoin du reste de la soirée et de toute la journée du lendemain pour digérer ce que j'avais lu. J'ai eu également le sentiment que l'auteur s'était systématiquement emparé des questions qui me taraudent le plus au monde, questionnements existentiels qu'il s'est amusé à mettre en situation avec une rigueur implacable, me menant par le bout du nez sur des chemins tortueux aboutissant à de nouveaux questionnements encore plus vertigineux (si c'était possible) que ceux du départ.

Qui suis-je et dans quelle mesure suis-je libre?, se demande inlassablement Greg Egan. Autrement dit, quelle part de moi-même résulte de ce que l'on appelle une conscience libre? Cette part de moi-même existe-t-elle seulement?
Dans l'Assassin infini, la nouvelle qui ouvre le recueil, le narrateur, confronté à une infinité de versions de lui-même dans une infinité d'espace-temps, se rassure comme il peut :

« Et pour ce qui est de m'inquiéter de mes alter ego qui désertent, qui échouent ou qui meurent, il existe une solution simple : je les renie. C'est moi qui définis mon identité comme je le désire. Je suis peut-être forcé d'accepter ma multiplicité mais c'est moi qui en trace les limites. « Je » suis ceux qui survivent et réussissent. Les autres sont quelqu'un d'autre. »

Dans la nouvelle suivante, Lumière des événements, le futur est déjà connu, grossièrement résumé en une centaine de mots par jour pour chacun d'entre nous. Vous connaissez dans ses grandes lignes la vie que vous allez vivre, vous connaissez avant de l'avoir rencontrée la femme avec laquelle vous allez passer le restant de vos jours, vous savez dans quel restaurant vous allez l'inviter, vous savez où et quand vous allez faire l'amour pour la première fois, etc…
Tout cela semble sonner le glas du libre-arbitre, pensez-vous. Ce à quoi Greg Egan répond : qu'entend-on au juste par libre-arbitre, cette chose magique que l'on nomme libre-arbitre a-t-elle jamais existé ?

« Le futur a toujours été déterminé. Qu'est-ce qui pouvait avoir une influence sur les actions humaines, si ce n'était l'héritage et l'expérience passée – unique et complexe – de chacun ? Qui nous sommes décide de ce que nous faisons. »

Que ce « qui nous sommes » soit autant déterminé par le futur que par le passé ne change rien à l'affaire. Fondamentalement rien.
Du reste, qui sommes-nous? Qu'un super-ordinateur ayant appris à imiter notre cerveau remplace celui-ci afin de nous rendre immortels (L'Enlèvement, En apprenant à être moi), cela change-t-il irrémédiablement notre identité? Sachant que la vie n'est qu'imitation, que notre corps ne contient plus un seul des atomes avec lesquels nous sommes nés?
« Comparée à tous les changements par lesquels j'étais passé jusque-là, la destruction de mon cerveau organique ne serait peut-être qu'un minuscule accident de parcours.
Ou peut-être pas. Peut-être serait-ce la même chose que de mourir. »

Finalement, que nous reste-t-il quand l'existence même du libre-arbitre est sujette à caution ? À quoi se raccrocher quand tout se dérobe ? Au mensonge et à l'illusion, répond Greg Egan, pathétique planche de salut pour les êtres humains désorientés que nous sommes.
Ainsi dans la nouvelle Eugène, alors qu'un couple ne pouvant pas avoir d'enfant par les voies naturelles se voit offrir la possibilité de se faire fabriquer un « génie », le futur père s'interroge :

« Comment pouvait-il avouer que, personnellement, il ne voulait pas connaître l'ampleur exacte du déterminisme génétique dans le destin d'un individu ? Comment pouvait-il déclarer qu'il préférait s'en tenir à des mythes confortables – au diable les euphémismes, qu'il préférait croire à des mensonges éhontés – plutôt que de devoir admettre cette morne vérité qui faisait qu'un être humain pouvait être fabriqué sur commande, comme un hamburger ? »

Que le libre-arbitre soit une vaste fumisterie et que nous soyons entièrement déterminés n'implique pas, c'est là tout le paradoxe, que nos actes soient hautement prévisibles, loin s'en faut. L'être humain n'est pas (encore) une machine, ou un automate. Pour le meilleur et pour le pire. Dans la nouvelle « Axiomatique », un homme, obsédé par le meutre de sa femme lors d'un braquage, retrouve l'assassin et le questionne sans relâche : « Dis-moi pourquoi tu as tué ma femme. »
Mais le meurtrier n'a aucune raison valable à lui donner. Comme l'homme insiste, s'accrochant désespérément à l'idée que sa femme n'a pas été tuée sans raison, le meurtrier s'énerve :
« Qu'est-ce que tu veux que je dise ? Je me suis énervé, OK ? Ça tournait au vinaigre, j'ai disjoncté et elle était là, OK ? »
Et l'homme enfin comprend, ses yeux se dessillent dans un éclair de lucidité :
« Il m'était déjà arrivé, dans le cadre de mon travail, de briser une tasse de café ou deux parce que la situation était tendue. Une fois, à ma grande honte, j'avais même donné un coup de pied à notre chienne après m'être disputé avec Amy. Pourquoi ? J'ai disjoncté et elle était là. »

Je remercie vivement les Editions le Bélial' grâce auxquelles l'oeuvre de Greg Egan est aujourd'hui accessible au lecteur français dans sa quasi totalité. Je remercie amoureusement Laurent pour m'avoir incitée à lire ce livre. Je remercie affectueusement Paul (@El_Camaleon_Barbudo) pour m'avoir accompagnée dans cette lecture passionnante.

« J'avais maintenant compris que personne ne possédait les réponses que je désespérais d'obtenir. Et il était très peu probable que j'arrive un jour à les trouver par moi-même. le choix était très simple : soit je perdais mon temps à m'interroger sur les mystères de la conscience, soit, comme tout le monde, je cessais de m'en inquiéter et je m'occupais de ma vie, tout simplement. »

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Un axiome est tenu pour évident et repose sur une vérité manifeste…

Après avoir lu Océanique, je me devais de lire un deuxième recueil de nouvelles de Greg Egan. Contrairement à l'idée reçue, il n'est pas nécessaire d'avoir une agrégation de mathématiques ou de sciences physiques pour appréhender et apprécier cet écrivain d'Hard-SF australien.

Les dix-huit nouvelles qui composent le recueil Axiomatique de l'auteur, sortent des sentiers battus par leur originalité dans les thèmes abordés comme par leur conclusion déroutante voire franchement déboussolante. de l'apparition fréquente de trou de ver sur Terre à la découverte d'une chimère à faire pâlir le Dr Moreau, de la réincarnation à répétition façon jour de la marmotte à la possibilité d'acheter un kit sur internet pour un homme qui voudrait porter son propre enfant ( il a fait son bébé tout seul ) , Greg Egan nous entraîne loin, très loin dans son univers qui laisse libre court à l'imagination avec un grand « i ». Comme dans la série TV the Twilight Zone où les histoires, comme le disait son créateur Rod Serling, avaient pour but de frapper le téléspectateur, de le choquer par la chute toujours inattendue, surprenante et singulière ; Axiomatique nous secoue et nous renvoie sans ménagement dans nos dix-huit mètres cartésiens.

Mais la prose de Greg Egan peut paraître ardue au commun des lecteurs que vous êtes. C'est le deuxième obstacle qu'il vous faudra absolument surmonter pour aborder un auteur qui se veut exigeant. Deux traducteurs plus un superviseur ont été nécessaire pour venir à bout de l'australien et le résultat n'est pas toujours au rendez-vous. Son style reste fortement aseptisé et ses personnages manquent un peu de vie pour qu'on puisse réellement s'y attacher. Ils ne sont là que pour être les faire valoir des idées et des réflexions de l'écrivain. Bref vous l'avez compris sa lecture n'est pas facile mais avec de la persévérance et de la patience, son langage finit par couler de source et à partir de la cinquième nouvelle vous devriez retrouver votre rythme de croisière habituel.

Pour Albert Einstein, la distinction entre passé, présent et futur ne garde que la valeur d'une illusion, si tenace soit-elle. En effet pour lui, passé et futur coexistent sans s'écouler et le libre-arbitre n'existe pas dans un futur déjà écrit. Comme Proust à la recherche de son temps perdu, ou comme Kurt Vonnegut et son héros Billy Pilgrim à sa temporalité déréglée, Greg Egan cherche à échapper au sentiment de fatalité qui nous pousserait à refuser de monter dans un avion toujours susceptible de s'écraser une fois en l'air. Quand le futur est déjà connu que reste-il de notre libre-arbitre ? le déterminisme est-il ce fou dangereux dans un bunker imprenable ? Et comme l'affirme Kant : « Plus nous connaissons, moins nous sommes libres. »

On peut reprocher à Greg Egan d'être froid et distant, d'être plus proche de la réflexion mathémato- philosophique que de la douce chaleur humaine qu'il devrait inculquer à ses personnages. Et pourtant au détour d'une nouvelle, on prend plaisir à découvrir un grand auteur exigeant mais tellement envoutant. Et si L'exigence était nécessaire pour découvrir de beaux textes ? Avec cet auteur, il y a ceux qui l'adorent et les autres…

« Je regarde vers le haut, une seule fois, vers le ciel vide et stupide, et je refuse de réceptionner le flot de souvenirs liés dans ma mémoire à ce même bleu incroyable. Tout cela est fini, envolé. Pas de réminiscences proustiennes pour moi, ni de va-et-vient temporels à la Billy Pilgrim. Je n'ai pas besoin de chercher refuge dans le passé : je vais vivre dans le futur, je vais survivre. »
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C'est un recueil de nouvelles remarquables ; c'est aussi un recueil de textes de science-fiction de qualités et c'est aussi , de la SF au sens strict du terme.
Car voilà un recueil basé sur les sciences dures et les sciences sociales misent en fiction. Chaque texte expose des projections futuristes crédibles et chargées de sens en se situant sur différents paliers de champs de réflexion , tel que l'éthique , la gestion du risque , la guerre , la criminalité , les sentiments, l'espèce humaine et le caractère potentiellement largement virtuel de la réalité et du cadre de vie de chacun.
Le style affiche un coté économe et clinique alors que les personnages sont fonctionnels, minimaux et éloquents . Je trouve que ces personnages dans leur construction ont un rien de ceux de Françoise Sagan qui construisait aussi des personnages minimalistes avec une présence forte et remarquable.
L'auteur déroule à chaque nouvelle une extrapolation d'évolutions scientifiques selon une approche variée et scénarisées sur un mode littéraire dans ces nouvelles solides qui ne sont pas des cadres narratifs prétextes. Ce qui rend ces textes attractifs à mon humble avis ,c'est la globalité très élaborée de la démarche de mise en fiction de ces projections scientifiques . Il y a pour chaque projection futuriste des réflexions par exemple : psychologiques , économiques et sociales et donc pas seulement le déploiement une base scientifique hors sciences humaines.
Je dirais que le style de l'auteur est ici encore vert. je veux dire vigoureux et élancé. Il est alimenté par une démarche qui s'appuie sur de la conviction, sur une compétence scientifique indéniable ,sur une réflexion profonde et réfléchie.
J'ai trouvé à la lecture de ces textes que l'auteur y avais le souci de communiquer ses réflexions personnelles sur des problématiques choisies avec un élan d'éloquence didactique qui ne s'assoie pas néanmoins sur la complexité structurelle de ces thématiques. La réflexion et son déploiement narratif ne sont pas édulcorés. Ces caractéristiques rendent ce recueil un peu difficile.
Les amateurs de hard science risquent d'apprécier fortement ces pages complexes alors que les autres non .Alors je leur conseil de butiner ce recueil avec Radieux du même auteur ( qui est plus facile d'accès je trouve). L'auteur fait partie du gratin de la hard science en science-fiction.
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Si je n'avais pas lu avec attention la critique de Tatooa, je pense que avant la fin de la première nouvelle de ce recueil j'aurais abandonné ce livre. (Je ne comprends même pas comment la maison d'édition l'a laissée mettre en pole position d'ailleurs).

Bon vous l'aurez compris , cette première lecture ne m'a pas plu...parce contre la suite a vraiment été un moment de plaisir et de véritable science fiction.. Aussi bien dans le développement scientifique de l'auteur (qui est pointu et très intéressant) que dans celui de son imagination (très fertile).

Je me suis juste donné du temps entre chaque histoire afin des les savourer à leur juste valeur... La lecture de Greg Egan était une première pour moi, mais ne sera très certainement pas la dernière.
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Puissant.

Un avis sur Greg Egan, ça ne peut pas s'improviser. D'où le fait que je l'ai d'abord travaillé sous word, ce que je ne fais que très rarement, car j'adore improviser mes avis, d'habitude. Mais là, je ne peux pas.

D'abord parce que Greg Egan, c'est de la science-fiction de haute volée. Voire de la haute voltige. Si certaines de ses nouvelles sont très accessibles au commun des mortels dont je me considère comme partie intégrante, il y en a quelques-unes qui sont vraiment pas piquées des hannetons, niveau « sciences ».
Par ailleurs, il y en a également qui sont pas piquées des hannetons niveau imagination, la mienne a été tordue dans tous les sens dans cette lecture, jusqu'à la limite « bah non, là, je ne comprends absolument pas le fond de cette histoire ». Je parle de la nouvelle « l'enlèvement », qui m'a laissée totalement, absolument et désespérément sur le carreau. Je n'y ai rien compris. Il faudra que je la relise. La toute première, déjà, donne le ton. "L'assassin infini". Ne vous laissez surtout pas dégoûter du recueil par cette nouvelle très difficile d'accès. Ce serait dommage, il y en a après qui sont bien plus "simples", quoi que toujours argumentées avec justesse.

Il se trouve, je dois avouer, que je suis malade avec des hauts et des bas depuis vendredi, il semblerait que je cumule en quelques jours les moult maladies que j'ai « évitées » de septembre à maintenant. Finalement je préfère comme ça, un gros tas de maladies d'un coup, sauf que ça use quand même pas mal... Et la grosse fatigue qui va avec, n'aide pas la compréhension de certaines des nouvelles d'Egan.
Un auteur qu'il faut lire quand on est en possession de toutes (et plus si possible) ses capacités intellectuelles et imaginatives…

Parce qu'en plus d'être une boule niveau sciences, monsieur Egan peut se targuer de soulever et de pointer et de triturer les problèmes de société actuels que nous connaissons bien pour en faire des avenirs supra-glauques, des nouvelles qui décoiffent sa race tant ça nous en met plein la gueule (tiens, bim! voilà dans ta face de lecteur insouciant les conséquences du réchauffement climatique, des manipulations génétiques, sbam! de l'intelligence artificielle et de la thérapie génique, crac! des nano-technologies et de ton obsession d'éternité, prends-toi ça dans les gencives, paf !).

Je ne vais pas revenir sur chaque nouvelle, maintenant, c'est à vous de découvrir tout ça. Autant vous dire que ça remue pas mal les tripes, que ça fait fumer la cervelle, que ça pose des tas de questions intelligentes, et que ça vient, pour finir, vous mettre KO par crochet du futur et direct de l'avenir pas si lointains vus par Egan.

Une très belle découverte que je dois à Mladoria (et sa destination « phare » du mois pour le challenge « autour du monde » sur Babelio), d'un auteur que je ne connaissais pas du tout, que j'ai déniché sur Wiki, évalué sur Babelio par ses notes comme « à lire » et décidé de découvrir pour ce challenge. J'en lirai d'autres, c'est sûr !
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Oh non, encore un bouquin de SF. Mais pourquoi m'inflige-je cette obligation, cette loi morale, ce besoin de vérifier que mes attentes sont bien plus souvent déçues que satisfaites ? Pour le plaisir de les voir parfois, effectivement, comblées ? Un roman de Silverberg et quelques phrases hypnotisantes de l'oeuvre de P. K. Dick peuvent-elles suffire à me justifier ? J'ai de la peine à le croire. Qu'attends-je de la SF ? Non pas une histoire, non pas de complexes mondes imaginaires, parallèles, diffractés, réfractés ou contractés, non pas de ces histoires d'éternelles guerres qui profiteraient de l'inventivité d'un nouvel appareillage dédié à l'anéantissement d'autrui pour se renouveler dans leur art de la jouissance de mort. Non : les actions m'ennuient quand ce ne sont pas les miennes. J'attends de la SF l'étonnement de personnages qui, quelle soit la figure probable d'un monde, ne cessent de ne pas le comprendre.


Les nouvelles de Greg Egan dans Axiomatique remplissent ces conditions. La SF traditionnelle a trop tendance à oublier que l'homme, tout projeté qu'il soit dans un environnement grouillant de béquilles technologiques ou étendu aux confins de l'univers, restera toujours marqué et blessé par le péché originel : divisé et souffrant de l'éloignement de l'autre, et désirant surmonter ces tares originelles. le rapport des personnages de ces nouvelles aux étranges conditions de vie qui sont les leurs sont marqués par ce caractère tragique de la condition humaine. Les mystères du temps, de la conscience et de l'altérité sont appréhendés à travers des histoires sans effets spéciaux. Les principales angoisses de l'homme y sont évoquées : qu'est-ce qu'être l'autre ? qu'est-ce qui en moi me fait être moi ? ce qui en moi me fait être moi est-il vraiment moi ? comment atteindre l'autre complètement ? Les solutions que notre humanité essaie de proposer pour calmer son angoisse métaphysique sont développées jusqu'à leurs retranchements, dévoilant aux aveugles la perversité de l'idéologie transhumaniste et eugéniste.
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Beaucoup de nouvelles sur le futur et la destinée humaine, baignées dans la science, qu'elle soit quantique, biologique ou génétique. Quasiment toutes rédigées à la première personne. Elles partent d'une situation originale et lui offrent des développements - hélas souvent trop courts mais c'est le problème avec les nouvelles. Il y a toujours un twist final, en général bien surprenant, parfois incompréhensible, nécessitant souvent de relire les deux dernières pages en ce qui me concerne.
C'est un recueil présentant une atmosphère homogène où nous sommes confrontés à des problèmes humains, des aventures très souvent internes (l'homme avec sa conscience) face à la technologie.

Classement totalement subjectif, en commençant par mes pépites, celles qui m'ont transporté ou interpellé :

L'enlèvement est peut-être la meilleure du livre. Très abordable, elle offre beaucoup d'étonnements et matières à réflexion. Elle traite des thèmes qui me sont chers et font l'objet d'au moins une nouvelle et d'un roman chez moi (non publiés, ne cherchez pas) : la copie / sauvegarde du cerveau et donc la préservation (ou non) de la conscience. le final est en cela extraordinaire et constitue une belle prise de conscience - c'est le cas de le dire - de tout ce qui constitue notre humanité : la perception que nous avons d'autrui. Un must humaniste !
Elle trouve son prolongement dans une toute autre histoire "En apprenant à être moi", troublant jeu de réflexion sur le cerveau, la conscience et la personnalité. En utilisant la même technologie et ses développements, "Plus près de toi" explore le solipsisme et l'altérité. Passionnant sur le plan des idées, parfois trop confus dans la manière de les exprimer.

Eugène est… eugénique et euh… géniale ! C'est l'histoire hallucinée de la création humaine parfaite, absolue. Défense d'en dire plus. J'ai dû relire 2 fois le final pour être certain d'avoir bien compris.

Le coffre-fort m'a bouleversé par la solitude qui émane de cette situation inextricable : un homme se réveille chaque matin dans le corps d'un autre et il doit mener, pour la journée, la vie à sa place. Deviner qui il est, où aller, etc. C'est le genre d'histoire que j'affectionne, sur un postulat complètement improbable "et que se passerait-il si ?". 30 pages me semblent hélas insuffisantes pour traiter toutes les implications d'une telle situation, j'aurais aimé beaucoup plus. Elle n'en reste pas moins extraordinaire dans son traitement jusqu'aux dernières pages, que j'ai dû relire. Je suis assez fasciné par le questionnement final sur la conscience.

Lumière des événements : une nouvelle hyper-créative où l'on a découvert que l'avenir est déjà écrit. Emerveillement.

Un amour approprié : intéressantes spéculations sur la manière de sauver un humain dont le corps a été trop abimé après un accident. En gros : états d'âme et ressentis de sa compagne. Très fort.

La morale et le virologue commence très mal avec une attaque facile contre l'intégrisme religieux - et forcément, chrétien - voyant le SIDA comme la punition de Dieu. La suite est très bonne et passionnante.

Vers les ténèbres est une originalité qui joue sur les aspects quantiques et il faut croire ce que nous montre l'auteur, à défaut de chercher à comprendre. Si on laisse ça de côté, c'est une aventure originale qui rappelle un peu le roman "Isolation"

Et aussi…

Le point de vue du plafond est une histoire assez intéressante qui, de mon "point de vue", aurait pu ou dû finir différemment.

La caresse et soeurs de sang sont tout juste acceptables. Encore de la génétique et des histoires originales. L'intérêt réside en la dernière page, comme dans la plupart des nouvelles du recueil. L'auteur y délivre son twist final ou une petite réaction du personnage principal… que le lecteur comprendra ou pas.

Axiomatique, qui donne son nom au recueil, est de la même qualité que les deux précédentes, avec une tonalité plus cyberpunk. Une belle réflexion sur les implants et modifications de pensées. Rien de phénoménal.

Le P'tit mignon postulat de départ original, twist final un peu facile. Frustrant et peu fouillé.


Toutes celles que je n'ai pas décrites ne m'ont pas forcément déplu, les style étant toujours plaisants et intéressants, mais elle offrent souvent une chute abrupte, que parfois je n'ai pas comprise. Il peut s'agir aussi d'une nouvelle qui ressemble trop à une oeuvre inachevée.

Par exemple "Les douves" (je ne comprends pas le choix du titre) ressemble à l'oeuvre inachevée ou insuffisamment traitée. Nous partons sur différentes pistes intéressantes, mais rien n'aboutit et ce n'est pas la dernière page qui sauvera la nouvelle.


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Le temps est venu de laisser pianoter mes doigts sur le clavier, "ici" aussi librement que possible, mon esprit par ailleurs à la recherche de cet ancien ami eût-il été "virtuel". Lui, si ma mémoire est bonne, était lecteur aguerri de Science-fiction. Je sais bien que pendant des années il avait laissé sur son profil une petite inscription : "je suis parti" gentiment pour ne pas nous inquiéter, envie d'évasion et peut-être d'écriture plus que de lecture. Hier, je viens de prendre conscience de sa disparition complète de notre Babeliosphère, sans doute une de ses pérégrinations forestières l'a-t-elle trop approché d'un autre attracteur au point de se laisser happer, à moins que couper ce dernier lien ait été pour lui le seul moyen d'atteindre la Liberté ?


Dans un autre univers, un autre Krout ne mentionne pas Walktapus, dans un autre une autre version de moi-même chemine avec un autre lui, dans un autre encore une de ses versons aura converti la mienne au challenge de l'écriture rapide d'un bouquin. Je ne peux que supputer, car à vrai dire je n'ai aucune possibilité de contact avec mes multiples Krout disséminés dans des univers parallèles. Bien sûr j'ai parfois l'impression de familiarité dans un environnement qui m'est parfaitement inconnu ou une situation que j'ai l'impression d'avoir exactement déjà vécue. Je n'ai jamais su élucider si ces effets provenaient d'un saut temporel ou dimensionnel, peut-être après tout s'agit-il simplement d'un saut quantique modifiant temporairement mon état ? Je confesse avoir longtemps considéré que ces univers parallèles ne pouvaient être compatibles qu'à partir d'univers plans bi-dimensionnels laissant ainsi la troisième dimension libre à une infinité d'univers parallèles.


L'emploi abusif de parallèle au lieu de concomitant a suffi pour égarer un esprit trop rationnel manquant de créativité pour imaginer des infinis multidimensionnels. En fait, l'univers est sphérique ou hémisphérique ou peut-être ovoïde (après tout la semaine pascale s'achève). Bref une infinité d'univers concomitants peuvent exister et pourraient même se regrouper en une multitude de corps célestes, à l'image des cellules composant mon corps et celles composant le vôtre ou celui de Walktapus et ce pour chaque version de nous-même dans une multitude des dits univers parallèles, dans chacun avec une vie similaire à quelques détails près fruits du hasard des conditions initiales imparfaitement identiques. J'ose imaginer que dans l'un de ces multiples univers le Krout qui l'habite pratiquait, pratique, pratiquera l'écriture cursive et de multiples auto-corrections pour un billet mieux abouti, comme moi-même je l'avais fait pour ma première chronique sur le Chardonneret de Donna Tart. Mais c'était quelques années avant mon basculement.


Par quelle faille temporelle s'est glissé cet ancien recueil d'anciennes nouvelles pour me tomber dans les mains, celles-là mêmes dont les doigts continuent à pianoter, avec la complicité de l'avant-dernière masse critique. Avant-dernière ? décalage temporel d'un lecteur lent pour ingurgiter pas moins de dix-huits nouvelles. Est-il possible que dans un autre univers, un autre Krout l'ai reçu dès sa sortie, et si oui quelles sont les inévitables petites différences dans l'écriture des différents Greg Egan ? C'est un mystère qui ne m'empêchera pas de remercier Babelio et les éditions le Bélial. En fait oui, j'ai manqué d'oublier. Il doit être temps de faire réviser, voire remplacer le cristal qui remplace mon cerveau depuis mon basculement, à moins qu'il ne s'agisse tout simplement d'obsolescence programmée bien qu'à aucun moment l'auteur n'aborde cette question.


Chères et chers Babélionautes, à vous voyageurs imprudents, à mes amis soudainement transformés par un changement de programme en abonnés, à mes abonnés absents, à toi aussi Walktapus qui l'a sans doute lu, je confierai le plaisir d'avoir été convié à ce banquet de nouvelles fantastiques. Ce recueil de nouvelles est un menu gastronomique, plein de saveurs et d'émotions diverses, à déguster avec émerveillement bouchée après bouchée, nous plongeant dans tant d'univers saisissants. Jamais totalement rassasié, un plaisir de découvertes, j'aime ce goût de trop peu, cette invite à le combler par sa propre imagination. Aussi le twist final de ce billet décousu est-il peut-être de vous avoir fait approcher autrement les "Orbites instables dans la sphère des illusions et L'assassin infini", respectivement dernière et première nouvelle de ce recueil. Fantastique quoi !
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Greg Egan est un auteur moderne de science-fiction que j'aime particulièrement suivre. Ses récits sont de la « hard science » pas très reposante, mais qui résonne bien avec mon propre environnement informatique et scientifique.

Dans ce recueil de nouvelles, il pose principalement les questions de la conscience et de l'identité. Avec l'ajout d'un élément perturbateur – il est possible de cloner une personne pour la faire vivre dans un monde virtuel ; il est possible de stocker à l'avance une copie d'un cerveau au cas où il arrive malheur au premier ; des cocktails chimiques permettent d'éprouver un sentiment aigu de justice, ou au contraire un mépris total de la vie – Egan repousse à chaque fois les limites du « moi » : si je ne suis pas unique, ni mes sentiments peuvent être provoqués et mes choix prédits, si ma vie peut être rejouée à l'infini, à l'identique ou avec des légères variantes, qu'est-ce qu'il reste vraiment de ce « moi », et le concept a-t-il encore vraiment un sens ?

Les nouvelles sont suffisamment exotiques pour laisser voguer son imagination, mais certaines laissent un léger sentiment d'angoisse, car les technologies décrites ne paraissent pas si éloignées de nos possibilités actuelles. Après tout, avec les technologies comme le DeepFake, voir agir un clone avec notre voix et nos mimiques ne semble pas si impossible que cela. Il est temps de se persuader qu'on est bien l'original – et que nos proches ne nous préféreront pas une copie plus conciliante.
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Paru neuf ans avant celui publié par les éditions le Bélial' (18 récits qui datent en V.O. de 1989 à 1995, plus une bibliographie signée Alain Sprauel), le présent recueil regroupe donc quatre nouvelles, dont celle qui donne leur titre aux deux bouquins (il y a de quoi confondre). le livre qui nous intéresse ici a été publié en 1997 chez DLM Éditions, aujourd'hui disparues. Toutes les traductions sont signées Sylvie Denis & Francis Valery.

Né en 1961 à Perth en Australie, Greg Egan fait partie de ces écrivains qui cultivent le mystère sur leur vie. A tel point que certains doutent même de son existence réelle. Révélé par les DLM Éditions, d'aucuns le considèrent comme l'un des principaux artisans du renouveau qu'a connu la Science-Fiction à la fin des années 90. On lui doit, entre autres, La Cité des Permutants et Isolation.

Pour conclure, je dirai que cette mise en bouche de quatre nouvelles est une excellente manière d'entrer dans l'univers riche de Greg Egan. L'auteur australien fait preuve d'une grande variété dans les thématiques qu'il aborde, mais adopte une rigueur bienvenue dans sa manière de le faire. Pas moralisateur, l'écrivain parie sur l'intelligence de son lecteur. C'est trop rare pour ne pas être souligné

Pour une chronique plus complète, suivez ce lien :
Lien : http://les-murmures.blogspot..
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