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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Greg Egan, auteur australien né en 1961, est aujourd'hui considéré comme le « pape de la hard-SF ». Et s'il est vrai que ses romans et nouvelles ont un soubassement mathématique et scientifique solide, nul besoin d'être titulaire d'un master en physique quantique pour les apprécier pleinement. Car ce qui intéresse Greg Egan, ce ne sont pas les toutes dernières avancées théoriques et techniques en elles-mêmes, ce sont leurs implications vertigineuses pour l'individu en termes d'identité, de déterminisme et de libre-arbitre.

Je dirais que plus que de « hard-SF », il s'agit, du moins dans son recueil de nouvelles le plus emblématique, Axiomatique, d'une science-fiction intériorisée : l'essentiel ne réside ni dans l'action, ni dans d'hypothétiques voyages dans le temps ou de lointaines guerres des étoiles, mais dans les interrogations de personnages plongés dans des situations inextricables, placés face à des dilemmes cornéliens. Chaque nouvelle peut être perçue comme une expérience de pensée comme on en rencontre en philosophie morale. Or, les expériences de pensée ont ceci de très efficace qu'elles nous associent, non plus seulement en théorie, mais en pratique, à des situations dans lesquelles entrent en conflit deux systèmes de valeur équivalents et antagonistes. Greg Egan va plus loin. Non seulement il nous place à chaque nouvelle histoire dans un contexte inédit et déstabilisant créant une situation à la fois excitante et inconfortable, mais en plus il s'arrange pour que ses personnages n'y répondent jamais de la façon attendue, c'est-à-dire selon les règles habituelles de la morale ou de la psychologie, créant ainsi vertige et malaise chez son lecteur.

Sur les dix-huit nouvelles que comporte ce recueil, à l'exception peut-être d'une ou deux histoires que j'ai trouvées moins vertigineuses, j'ai eu à chaque fois le sentiment de frôler l'abîme. du reste, je n'ai jamais pu lire plus de deux nouvelles chaque soir, car j'avais besoin du reste de la soirée et de toute la journée du lendemain pour digérer ce que j'avais lu. J'ai eu également le sentiment que l'auteur s'était systématiquement emparé des questions qui me taraudent le plus au monde, questionnements existentiels qu'il s'est amusé à mettre en situation avec une rigueur implacable, me menant par le bout du nez sur des chemins tortueux aboutissant à de nouveaux questionnements encore plus vertigineux (si c'était possible) que ceux du départ.

Qui suis-je et dans quelle mesure suis-je libre?, se demande inlassablement Greg Egan. Autrement dit, quelle part de moi-même résulte de ce que l'on appelle une conscience libre? Cette part de moi-même existe-t-elle seulement?
Dans l'Assassin infini, la nouvelle qui ouvre le recueil, le narrateur, confronté à une infinité de versions de lui-même dans une infinité d'espace-temps, se rassure comme il peut :

« Et pour ce qui est de m'inquiéter de mes alter ego qui désertent, qui échouent ou qui meurent, il existe une solution simple : je les renie. C'est moi qui définis mon identité comme je le désire. Je suis peut-être forcé d'accepter ma multiplicité mais c'est moi qui en trace les limites. « Je » suis ceux qui survivent et réussissent. Les autres sont quelqu'un d'autre. »

Dans la nouvelle suivante, Lumière des événements, le futur est déjà connu, grossièrement résumé en une centaine de mots par jour pour chacun d'entre nous. Vous connaissez dans ses grandes lignes la vie que vous allez vivre, vous connaissez avant de l'avoir rencontrée la femme avec laquelle vous allez passer le restant de vos jours, vous savez dans quel restaurant vous allez l'inviter, vous savez où et quand vous allez faire l'amour pour la première fois, etc…
Tout cela semble sonner le glas du libre-arbitre, pensez-vous. Ce à quoi Greg Egan répond : qu'entend-on au juste par libre-arbitre, cette chose magique que l'on nomme libre-arbitre a-t-elle jamais existé ?

« Le futur a toujours été déterminé. Qu'est-ce qui pouvait avoir une influence sur les actions humaines, si ce n'était l'héritage et l'expérience passée – unique et complexe – de chacun ? Qui nous sommes décide de ce que nous faisons. »

Que ce « qui nous sommes » soit autant déterminé par le futur que par le passé ne change rien à l'affaire. Fondamentalement rien.
Du reste, qui sommes-nous? Qu'un super-ordinateur ayant appris à imiter notre cerveau remplace celui-ci afin de nous rendre immortels (L'Enlèvement, En apprenant à être moi), cela change-t-il irrémédiablement notre identité? Sachant que la vie n'est qu'imitation, que notre corps ne contient plus un seul des atomes avec lesquels nous sommes nés?
« Comparée à tous les changements par lesquels j'étais passé jusque-là, la destruction de mon cerveau organique ne serait peut-être qu'un minuscule accident de parcours.
Ou peut-être pas. Peut-être serait-ce la même chose que de mourir. »

Finalement, que nous reste-t-il quand l'existence même du libre-arbitre est sujette à caution ? À quoi se raccrocher quand tout se dérobe ? Au mensonge et à l'illusion, répond Greg Egan, pathétique planche de salut pour les êtres humains désorientés que nous sommes.
Ainsi dans la nouvelle Eugène, alors qu'un couple ne pouvant pas avoir d'enfant par les voies naturelles se voit offrir la possibilité de se faire fabriquer un « génie », le futur père s'interroge :

« Comment pouvait-il avouer que, personnellement, il ne voulait pas connaître l'ampleur exacte du déterminisme génétique dans le destin d'un individu ? Comment pouvait-il déclarer qu'il préférait s'en tenir à des mythes confortables – au diable les euphémismes, qu'il préférait croire à des mensonges éhontés – plutôt que de devoir admettre cette morne vérité qui faisait qu'un être humain pouvait être fabriqué sur commande, comme un hamburger ? »

Que le libre-arbitre soit une vaste fumisterie et que nous soyons entièrement déterminés n'implique pas, c'est là tout le paradoxe, que nos actes soient hautement prévisibles, loin s'en faut. L'être humain n'est pas (encore) une machine, ou un automate. Pour le meilleur et pour le pire. Dans la nouvelle « Axiomatique », un homme, obsédé par le meutre de sa femme lors d'un braquage, retrouve l'assassin et le questionne sans relâche : « Dis-moi pourquoi tu as tué ma femme. »
Mais le meurtrier n'a aucune raison valable à lui donner. Comme l'homme insiste, s'accrochant désespérément à l'idée que sa femme n'a pas été tuée sans raison, le meurtrier s'énerve :
« Qu'est-ce que tu veux que je dise ? Je me suis énervé, OK ? Ça tournait au vinaigre, j'ai disjoncté et elle était là, OK ? »
Et l'homme enfin comprend, ses yeux se dessillent dans un éclair de lucidité :
« Il m'était déjà arrivé, dans le cadre de mon travail, de briser une tasse de café ou deux parce que la situation était tendue. Une fois, à ma grande honte, j'avais même donné un coup de pied à notre chienne après m'être disputé avec Amy. Pourquoi ? J'ai disjoncté et elle était là. »

Je remercie vivement les Editions le Bélial' grâce auxquelles l'oeuvre de Greg Egan est aujourd'hui accessible au lecteur français dans sa quasi totalité. Je remercie amoureusement Laurent pour m'avoir incitée à lire ce livre. Je remercie affectueusement Paul (@El_Camaleon_Barbudo) pour m'avoir accompagnée dans cette lecture passionnante.

« J'avais maintenant compris que personne ne possédait les réponses que je désespérais d'obtenir. Et il était très peu probable que j'arrive un jour à les trouver par moi-même. le choix était très simple : soit je perdais mon temps à m'interroger sur les mystères de la conscience, soit, comme tout le monde, je cessais de m'en inquiéter et je m'occupais de ma vie, tout simplement. »

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Si je n'avais pas lu avec attention la critique de Tatooa, je pense que avant la fin de la première nouvelle de ce recueil j'aurais abandonné ce livre. (Je ne comprends même pas comment la maison d'édition l'a laissée mettre en pole position d'ailleurs).

Bon vous l'aurez compris , cette première lecture ne m'a pas plu...parce contre la suite a vraiment été un moment de plaisir et de véritable science fiction.. Aussi bien dans le développement scientifique de l'auteur (qui est pointu et très intéressant) que dans celui de son imagination (très fertile).

Je me suis juste donné du temps entre chaque histoire afin des les savourer à leur juste valeur... La lecture de Greg Egan était une première pour moi, mais ne sera très certainement pas la dernière.
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Puissant.

Un avis sur Greg Egan, ça ne peut pas s'improviser. D'où le fait que je l'ai d'abord travaillé sous word, ce que je ne fais que très rarement, car j'adore improviser mes avis, d'habitude. Mais là, je ne peux pas.

D'abord parce que Greg Egan, c'est de la science-fiction de haute volée. Voire de la haute voltige. Si certaines de ses nouvelles sont très accessibles au commun des mortels dont je me considère comme partie intégrante, il y en a quelques-unes qui sont vraiment pas piquées des hannetons, niveau « sciences ».
Par ailleurs, il y en a également qui sont pas piquées des hannetons niveau imagination, la mienne a été tordue dans tous les sens dans cette lecture, jusqu'à la limite « bah non, là, je ne comprends absolument pas le fond de cette histoire ». Je parle de la nouvelle « l'enlèvement », qui m'a laissée totalement, absolument et désespérément sur le carreau. Je n'y ai rien compris. Il faudra que je la relise. La toute première, déjà, donne le ton. "L'assassin infini". Ne vous laissez surtout pas dégoûter du recueil par cette nouvelle très difficile d'accès. Ce serait dommage, il y en a après qui sont bien plus "simples", quoi que toujours argumentées avec justesse.

Il se trouve, je dois avouer, que je suis malade avec des hauts et des bas depuis vendredi, il semblerait que je cumule en quelques jours les moult maladies que j'ai « évitées » de septembre à maintenant. Finalement je préfère comme ça, un gros tas de maladies d'un coup, sauf que ça use quand même pas mal... Et la grosse fatigue qui va avec, n'aide pas la compréhension de certaines des nouvelles d'Egan.
Un auteur qu'il faut lire quand on est en possession de toutes (et plus si possible) ses capacités intellectuelles et imaginatives…

Parce qu'en plus d'être une boule niveau sciences, monsieur Egan peut se targuer de soulever et de pointer et de triturer les problèmes de société actuels que nous connaissons bien pour en faire des avenirs supra-glauques, des nouvelles qui décoiffent sa race tant ça nous en met plein la gueule (tiens, bim! voilà dans ta face de lecteur insouciant les conséquences du réchauffement climatique, des manipulations génétiques, sbam! de l'intelligence artificielle et de la thérapie génique, crac! des nano-technologies et de ton obsession d'éternité, prends-toi ça dans les gencives, paf !).

Je ne vais pas revenir sur chaque nouvelle, maintenant, c'est à vous de découvrir tout ça. Autant vous dire que ça remue pas mal les tripes, que ça fait fumer la cervelle, que ça pose des tas de questions intelligentes, et que ça vient, pour finir, vous mettre KO par crochet du futur et direct de l'avenir pas si lointains vus par Egan.

Une très belle découverte que je dois à Mladoria (et sa destination « phare » du mois pour le challenge « autour du monde » sur Babelio), d'un auteur que je ne connaissais pas du tout, que j'ai déniché sur Wiki, évalué sur Babelio par ses notes comme « à lire » et décidé de découvrir pour ce challenge. J'en lirai d'autres, c'est sûr !
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Oh non, encore un bouquin de SF. Mais pourquoi m'inflige-je cette obligation, cette loi morale, ce besoin de vérifier que mes attentes sont bien plus souvent déçues que satisfaites ? Pour le plaisir de les voir parfois, effectivement, comblées ? Un roman de Silverberg et quelques phrases hypnotisantes de l'oeuvre de P. K. Dick peuvent-elles suffire à me justifier ? J'ai de la peine à le croire. Qu'attends-je de la SF ? Non pas une histoire, non pas de complexes mondes imaginaires, parallèles, diffractés, réfractés ou contractés, non pas de ces histoires d'éternelles guerres qui profiteraient de l'inventivité d'un nouvel appareillage dédié à l'anéantissement d'autrui pour se renouveler dans leur art de la jouissance de mort. Non : les actions m'ennuient quand ce ne sont pas les miennes. J'attends de la SF l'étonnement de personnages qui, quelle soit la figure probable d'un monde, ne cessent de ne pas le comprendre.


Les nouvelles de Greg Egan dans Axiomatique remplissent ces conditions. La SF traditionnelle a trop tendance à oublier que l'homme, tout projeté qu'il soit dans un environnement grouillant de béquilles technologiques ou étendu aux confins de l'univers, restera toujours marqué et blessé par le péché originel : divisé et souffrant de l'éloignement de l'autre, et désirant surmonter ces tares originelles. le rapport des personnages de ces nouvelles aux étranges conditions de vie qui sont les leurs sont marqués par ce caractère tragique de la condition humaine. Les mystères du temps, de la conscience et de l'altérité sont appréhendés à travers des histoires sans effets spéciaux. Les principales angoisses de l'homme y sont évoquées : qu'est-ce qu'être l'autre ? qu'est-ce qui en moi me fait être moi ? ce qui en moi me fait être moi est-il vraiment moi ? comment atteindre l'autre complètement ? Les solutions que notre humanité essaie de proposer pour calmer son angoisse métaphysique sont développées jusqu'à leurs retranchements, dévoilant aux aveugles la perversité de l'idéologie transhumaniste et eugéniste.
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Beaucoup de nouvelles sur le futur et la destinée humaine, baignées dans la science, qu'elle soit quantique, biologique ou génétique. Quasiment toutes rédigées à la première personne. Elles partent d'une situation originale et lui offrent des développements - hélas souvent trop courts mais c'est le problème avec les nouvelles. Il y a toujours un twist final, en général bien surprenant, parfois incompréhensible, nécessitant souvent de relire les deux dernières pages en ce qui me concerne.
C'est un recueil présentant une atmosphère homogène où nous sommes confrontés à des problèmes humains, des aventures très souvent internes (l'homme avec sa conscience) face à la technologie.

Classement totalement subjectif, en commençant par mes pépites, celles qui m'ont transporté ou interpellé :

L'enlèvement est peut-être la meilleure du livre. Très abordable, elle offre beaucoup d'étonnements et matières à réflexion. Elle traite des thèmes qui me sont chers et font l'objet d'au moins une nouvelle et d'un roman chez moi (non publiés, ne cherchez pas) : la copie / sauvegarde du cerveau et donc la préservation (ou non) de la conscience. le final est en cela extraordinaire et constitue une belle prise de conscience - c'est le cas de le dire - de tout ce qui constitue notre humanité : la perception que nous avons d'autrui. Un must humaniste !
Elle trouve son prolongement dans une toute autre histoire "En apprenant à être moi", troublant jeu de réflexion sur le cerveau, la conscience et la personnalité. En utilisant la même technologie et ses développements, "Plus près de toi" explore le solipsisme et l'altérité. Passionnant sur le plan des idées, parfois trop confus dans la manière de les exprimer.

Eugène est… eugénique et euh… géniale ! C'est l'histoire hallucinée de la création humaine parfaite, absolue. Défense d'en dire plus. J'ai dû relire 2 fois le final pour être certain d'avoir bien compris.

Le coffre-fort m'a bouleversé par la solitude qui émane de cette situation inextricable : un homme se réveille chaque matin dans le corps d'un autre et il doit mener, pour la journée, la vie à sa place. Deviner qui il est, où aller, etc. C'est le genre d'histoire que j'affectionne, sur un postulat complètement improbable "et que se passerait-il si ?". 30 pages me semblent hélas insuffisantes pour traiter toutes les implications d'une telle situation, j'aurais aimé beaucoup plus. Elle n'en reste pas moins extraordinaire dans son traitement jusqu'aux dernières pages, que j'ai dû relire. Je suis assez fasciné par le questionnement final sur la conscience.

Lumière des événements : une nouvelle hyper-créative où l'on a découvert que l'avenir est déjà écrit. Emerveillement.

Un amour approprié : intéressantes spéculations sur la manière de sauver un humain dont le corps a été trop abimé après un accident. En gros : états d'âme et ressentis de sa compagne. Très fort.

La morale et le virologue commence très mal avec une attaque facile contre l'intégrisme religieux - et forcément, chrétien - voyant le SIDA comme la punition de Dieu. La suite est très bonne et passionnante.

Vers les ténèbres est une originalité qui joue sur les aspects quantiques et il faut croire ce que nous montre l'auteur, à défaut de chercher à comprendre. Si on laisse ça de côté, c'est une aventure originale qui rappelle un peu le roman "Isolation"

Et aussi…

Le point de vue du plafond est une histoire assez intéressante qui, de mon "point de vue", aurait pu ou dû finir différemment.

La caresse et soeurs de sang sont tout juste acceptables. Encore de la génétique et des histoires originales. L'intérêt réside en la dernière page, comme dans la plupart des nouvelles du recueil. L'auteur y délivre son twist final ou une petite réaction du personnage principal… que le lecteur comprendra ou pas.

Axiomatique, qui donne son nom au recueil, est de la même qualité que les deux précédentes, avec une tonalité plus cyberpunk. Une belle réflexion sur les implants et modifications de pensées. Rien de phénoménal.

Le P'tit mignon postulat de départ original, twist final un peu facile. Frustrant et peu fouillé.


Toutes celles que je n'ai pas décrites ne m'ont pas forcément déplu, les style étant toujours plaisants et intéressants, mais elle offrent souvent une chute abrupte, que parfois je n'ai pas comprise. Il peut s'agir aussi d'une nouvelle qui ressemble trop à une oeuvre inachevée.

Par exemple "Les douves" (je ne comprends pas le choix du titre) ressemble à l'oeuvre inachevée ou insuffisamment traitée. Nous partons sur différentes pistes intéressantes, mais rien n'aboutit et ce n'est pas la dernière page qui sauvera la nouvelle.


Lien : https://www.patricedefreminv..
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A nouvelles technologies, nouvelles tournures d'esprit.

Egan n'est pas de la famille des psychédéliques, dont regorge la science-fiction dite sérieuse. Pour ouvrir le champ des possibles mentaux, son outil n'est pas le délire verbal mais la rigueur d'une démonstration mathématique, appliquée aux multiples registres explorés par ses textes.
Une nouvelle de Greg Egan, c'est d'abord un contexte scientifique hypothétique, rendu plausible par la précision des explications techniques ; c'est ensuite l'inventaire exhaustif de des systèmes de croyance et des bouleversements psychologiques engendrés par la situation technologique donnée. Dans le cycle implicite de textes auquel appartient "Radieux" (qui donne son titre au deuxième tome de l'intégrale), l'auteur envisage différentes étapes d'une humanité soumise à un nouveau mode d'existence (virtuelle, évidemment), jusqu'à des états vertigineux de l'identité humaine. La radicale étrangeté des modes de pensée associés à chaque nouvel environnement décrit, il nous la donne à lire du point de vue, exotique s'il en est, de personnages dont les structures mentales sont a priori inconcevable pour notre conscience actuelle.
C'est un peu comme si un auteur contemporain était capable de composer, comme oeuvre de fiction, la République de Platon : il inventerait le livre, la République, mais aussi son auteur, Platon, la Grèce de Périclès autour, et toutes les problématiques propres à ce contexte géographique et temporel particulier.
Lire de la philosophie d'un autre âge et d'un autre lieu a pour nous un intérêt double. Il y a son contenu lui-même, plus ou moins utile, plus ou moins dépassé, ou décalé par rapport à nos propres enjeux actuels, qu'ils soient politiques, sociaux, culturels ou psychologiques. Il y a aussi la possibilité qu'elle nous offre de comprendre en creux, par déduction, l'état de l'âme humaine dans un environnement entièrement dépris du nôtre. Greg Egan est capable de produire cet intérêt double dans sa science-fiction. On est bien dans le dépaysement propre au genre, mais loin d'être naïf, c'est le dépaysement sophistiqué que procure la possibilité d'entrevoir un autre état de l'identité humaine. En cela, la littérature de Greg Egan est rarement purement distrayante ; le lecteur est d'abord soumis à l'effort de suivre des raisonnements scientifiques pas piqués des hannetons, ensuite il doit sans cesse combler les lacunes du texte quant à la nature des motivations et des discours des personnages, amplement détaillés mais jamais ramenés, dans les nouvelles les plus difficiles, à des catégories de pensée qui nous seraient familières.
Ca a l'air abscons comme ça, mais tous les récits ne sont pas aussi radicalement exotiques que ce que j'essaye de décrire ici ; certains se contentent d'être juste compliqués et pointilleux... Mais tous creusent la question fondamentale de l'identité, de la nature du moi, et à suivre pas à pas ses hypothèses, on finit par s'en trouver un peu éclairé...
Petit conseil de lecture : l'intégrale proposée par le Bélial, savamment composée, suit un parcours logique dans le corpus des nouvelles ; commencez donc par le premier tome, Axiomatique. Et peut-être que si les subtils glissements spatio-temporels de "l'assassin infini", porte d'entrée un peu lourde à pousser, ne te donnent pas le vertige, alors tu pourras t'abstenir, ami lecteur, de pousser plus avant, car tu ne rencontreras ici que l'ennui.
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Axiomatique, je ne vous le cache pas, peut paraître assez ardu au lecteur et cela d'entrée de jeu, avec la toute première histoire, "l'assassin infini" qui poursuit inlassablement des drogués accro à un produit qui permet de voyager entre les univers, tout en les déstabilisant de plus en plus.
Une fois passée cette nouvelle très pointue, on se laisse aller un peu plus facilement, mais il est vrai que l'auteur malgré une écriture agréable et fluide, reste difficile d'accès.
Le côté introspectif et le récit à la première personne de la plupart des nouvelles nous permet quand même de nous projeter plus facilement.
Il n'empêche que les sujets abordés nous obligent à une réflexion dont nous n'avons pas forcément l'habitude ou pas l'envie d'avoir vraiment.
L'eugénisme, la manipulation génétique, le double numérique, le libre arbitre, le transfert de personnalité, la xénophobie, le clonage et l'écologie sont à l'honneur.
De la pure SF, même si ces nouvelles sont finalement projetées dans un avenir encore assez proche de notre propre époque.
Cependant, certaines ont été écrites dans les années 90 et restent époustouflantes.
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J'ai une relation ambivalente avec les nouvelles. Les bonnes me semblent frustrantes car elles ne font que me titiller le neurone à imaginaire sans aller jusqu'au bout, comme une fille qui n'assume pas son flirt éhonté. Les mauvaises sont moins agaçantes : elles ont l'énorme avantage de vite céder la place à la suivante. En fait, les recueils de nouvelles sont un peu comme ces blocs de bandes-annonces avant le film : les plus ratées vous donnent le sentiment de pouvoir économiser 2h de votre vie et le prix d'une place. Les plus réussies posent une question muette : à montrer que les meilleurs moments du film, la bande-annonce n'est-elle finalement pas plus intéressante que le long métrage délayé de 2h ?

Axiomatique est donc un recueil hard science. Les excellentes nouvelles qu'il contient m'ont souvent fait dire "Oh, c'est trop court, j'aurais voulu en savoir plus sur ce personnage" tout en pensant "Ouais, mais étirée sur 300 pages, l'auteur n'aurait sans doute pas tenu la distance avec cette histoire". Greg Egan étant australien et mathématicien, on y retrouve les obsessions très personnelles de l'auteur sur les implants neuraux, les réfugiés climatiques, l'identité, la grossesse, les univers parallèles… Chaque nouvelle est au "je", attrapant le lecteur par la main pour l'entraîner dans le futur nanotechnologique. Un tueur qui propose un étrange marché moral à sa prochaine victime. Une femme qui va devoir donner de sa personne le temps que le corps d'accueil de son mari arrive à maturation clonique. Un type qui change aléatoirement de corps chaque jour. Un père qui veut vivre la maternité coûte que coûte… Les idées sont excellentes, le taux de science est pilepoil au niveau qu'il faut pour étayer l'univers créé sans verser dans la démonstration pédante. C'est intelligent, bien écrit, ça fait cogiter. Un vrai bon recueil.

C'est Philippe Fragione qui disait "Je ne pense pas à demain, parce que demain c'est loin." Greg Egan et lui ne sont pas nés sous la même étoile, ce qui permet à l'Australien d'avoir le luxe de se poser des questions hypothétiques. Quelle place pour le libre arbitre quand une puce peut modifier durablement le câblage neuronal de l'homme ? Qu'est-ce que l'identité : un construct de souvenirs ou bien des atavismes prévisibles ? Et si vous décidiez à quel ministère vont vos impôts, lequel choisiriez-vous ?

Je mesure souvent mon enthousiasme envers un livre à ma fréquence de lecture. On s'entend que si une partie de PS3 ou un épisode de série télévisée est plus tentant qu'un chapitre, c'est mal barré. Axiomatique m'a collé aux yeux, je n'ai pas pu lâcher mon iPad de la fin de semaine. Chaque nouvelle était un pas en avant vers ce futur technologique où l'humain reste malgré tout au centre de chaque histoire. Bref, de l'excellente SF.
Lien : http://hu-mu.blogspot.com/20..
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Voici un copieux recueil pour l'un des fers de lance de la SF « hard science » actuelle, Greg Egan. Précédemment publié dans une version française très tronquée composée de seulement quatre nouvelles (ouch !), AXIOMATIQUE a été republié intégralement en 2006. Ces 17 récits offrent donc un bon panorama de l'oeuvre d'Egan et constituent la première partie d'une « intégrale raisonnée » de ces nouvelles, poursuivie avec RADIEUX et OCEANIQUE.
Nous détaillons ici ces textes, au minimum intéressants et pertinents par leur questionnement, souvent très bons voire excellents.
« L'Assassin infini » suit un tueur parcourant les univers parallèles pour supprimer des drogués dont les expériences “psychédéliques” menacent le continuum lui-même. Un bon récit, complexe mais pas trop ardu, pour débuter en douceur
« Lumière des événements » constitue un des meilleurs textes de ce recueil, basé sur un postulat vertigineux et très hard science. En résumé, une découverte astronomique permet d'envoyer des messages dans le passé. Un homme sait donc qu'il va rencontrer sa future épouse à telle date, un autre qu'il se fera casser le bras en se rendant à un mariage, etc. Mais que reste-t'il du libre arbitre dans ces conditions ? Et n'est-on pas tenté de faire mentir le futur lorsqu'un événement particulièrement déplaisant survient ? de la grande SF spéculative, aux questionnements riches, un excellent texte ciselé en une vingtaine de pages et fourmillant de plus d'idées que bien des pavés 30 fois plus long !
Encore de la bonne SF d'idées, « Eugène » est un exemple d'anticipation (très) proche au sujet d'un couple ayant gagné à la loterie et décidé à s'offrir l'enfant parfait grâce aux manipulations génétiques.
« La Caresse » traite d'un art dévoyé mis au service d'un individu tellement riche qu'il oublie toute morale pour créer des créations artistiques littéralement chimériques, autrement dit de merveilleuses / horribles créatures mi-homme mi-animal en hommage à différents artistes d'antan. Et notamment au Belge Fernand Khnopff et ses “Caresses”. Etrange !
Greg Egan se fait ensuite humaniste avec l'histoire de deux « Soeurs de sang » atteintes d'une maladie potentiellement mortelle. L'une se croit à l'agonie aux Etats-Unis mais finit par entrer en rémission, l'autre décède en Afrique. En filigrane, Egan s'interroge sur les méthodes de l'industrie pharmaceutique et les fameux tests en double aveugle médicament / placebo.
Très réputée, « Axiomatique » questionne les choix d'un homme pour qui la vie humaine a toujours été sacrée. Cet axiome peut cependant être neutralisée dans cette société future à l'aide d'implant permettant de remodeler, pour un temps, certaines caractéristiques personnelles. Certains choisissent ainsi de s'injecter une croyance religieuse ou une perversion sexuelle inédite. le narrateur, pour sa part, va s'en servir afin d'ôter ses hésitations à se venger du meurtrier de sa femme, abattue stupidement dans un braquage.
On poursuit avec « le coffre-fort », un texte réussi au sujet d'un homme ayant le pouvoir (qui s'apparente à une sorte de malédiction), d'occuper le corps d'autrui et de changer de « peau » chaque jour. Comment rester un individu, un être unique, lorsque sa vie se voit ainsi morcelée ?
Passons sur « le point de vue du plafond » et son expérience de décorporation qui, paradoxalement, manque sans doute d'un point de vue (hum !) et ressemble à un exercice de style à vrai dire hermétique. le point faible du recueil.
Autre sujet de questionnement abordé par « L'enlèvement » :ce qui est réel et ce qui ne l'est pas, une réflexion classique mais toujours pertinente de la littérature d'anticipation. Si on crée un « scan » d'un individu celui-ci va t'il accéder à l'immortalité ou n'est ce qu'une vulgaire copie ? Et si des criminels s'en emparent et menacent de torturer cette copie peut-on objecter qu'il s'agit simplement d'une simulation sans réelle existence ? Egan invite à la réflexion au travers d'un texte à la fois abordable et exigeant dans ses concepts philosophiques et psychologiques.
Des questions similaires sous-tendent « En apprenant à être moi » au sujet du cristal Ndoli, un ingénieux dispositif qui réplique les pensées de son porteur et prend le relais lorsque ce-dernier vieillit, lui permettant d'accéder à l'immortalité via le « basculement ». Mais qui est vraiment l'humain dans ce cas ? L'original ou sa copie cristalline ?
Les manipulations génétiques sont au coeur de « Les douves », un texte qui, sur fond de racisme et de réfugiés climatiques, traite de la création, par les élites dominantes, d'une humanité alternative ayant bidouillé son code ADN afin d'être insensible aux maladies.
La thématique très cyberpunk de l'implant (l'Homme est-il encore Homme lorsque ses pensées sont altérées, pour son bien, par un implant ?) transforme le classique face à face entre un tueur à gages et sa victime désignée en science-fiction philosophique dans « La marche ». Sans vraiment convaincre bien que le récit se lise sans déplaisir.
Le thème de l'homme (masculin donc) qui veut enfanter lui-même joue les tire-larmes avec « P'tit mignon ». L'histoire d'un bébé conçu sur commande mais condamné à vivre seulement quatre ans et considéré, par son papa, comme un simple jouet ou, au mieux, un animal de compagnie.
Dans « Vers les ténèbres » les reliquats ratés d'une ingénierie temporelle venu du futur se manifestent sous forme de grands trous de vers qui, tels des trous noirs, empêchent quiconque de s'en échapper. La seule solution pour leur survivre consiste à courir vers leur coeur, un havre permettant de résister à la brusque disparition de ces gouffres temporels. Des sauveteurs spécialisés sont chargés de guider le plus de captifs possibles vers la sécurité…Une nouvelle assez folle basée sur des théories quantiques et utilisant également les probabilités pour rassurer (sans y parvenir, l'humain est ainsi !) ces sauveteurs plongeant dans les ténèbres.
Autre nouvelle à peine prophétique, « Un amour approprié » (précédemment titré « Baby Brain ») questionne ce qui est possible (lorsque la technique est disponible) et ce qui est souhaitable (avec bien sur les questions éthiques sous-jacentes) lorsqu'une femme se voit obligée par les assurances « d'enfanter » le cerveau de son mari accidenté placé dans son utérus dans l'attente d'un corps de substitution.
Plus classique mais non moins glaçant « La morale et le virologue » suit un biologiste décidé à créer une sorte de super sida capable de tuer sélectivement les homosexuels et les adultères. le final montre bien la folie religieuse poussée dans ses derniers retranchements.
Retour du fameux cristal Ndoli avec « Plus près de toi » qui démontre qu'en matière amoureuse et sexuelle mieux vaut garder une part de mystère. Intéressant mais attendu.
Enfin « Orbite instable dans la sphère des illusions » décrit l'avènement des attracteurs, lesquels vous convertissent instantanément à une religion, une croyance ou à un mode de vie. Pour les « athées » du futur la seule solution est de vivre littéralement en marge des zones géographiquement contaminées… Pas le meilleur récit du recueil mais des interrogations pertinentes.
En dépit de trois ou quatre textes moins réussis ou plus mineurs, AXIOMATIQUE est un véritable condensé de science-fiction spéculative, intelligente et passionnante, une anthologie monstrueuse qui prend place aux côtés de LA TOUR DE BABYLONE de Ted Chiang, JARDINS DE POUSSIERE de Ken Liu, QUAND LES TENEBRES VIENDRONT d'Asimov, PERSISTANCE DE LA VISION de John Varley, AUX CONFINS DE L'ETRANGE de Connie Willis, LE CHANT DU BARDE de Poul Anderson et quelques « best of » de Dick au panthéon des recueils incontournables !

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Je craignais de lire Axiomatique car Greg Egan m'effrayait par son aura et sa réputation. Toutefois, on ne rappellera jamais assez que hard-sf ne signifie pas compliqué ou accessible uniquement à quelqu'un disposant d'un doctorat dans un domaine scientifique comme la physique, la biologie ou que sais-je. La plupart des textes de ce recueil sont accessibles et invitent à des réflexions intéressantes sur ses domaines aussi variés que l'identité, la maternité, la génétique, le dérèglement climatique… J'ai pris beaucoup de plaisir à lire et à réfléchir sur Axiomatique. Je vous en recommande donc chaudement la lecture, que vous soyez ou non des spécialistes en sciences ! Foncez.
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