Un jeune homme japonais, Takamori, a invité à Tokyo un correspondant français, qui s'appelle Gaston et serait un descendant de Napoléon. C'est sa première visite au Japon. La famille d'accueil, la tête farcie d'idées préconçues, est tout en émoi à cette idée d'héberger un Français, qui plus est de noble ascendance. La soeur de Takamori, Tomoe, pas encore mariée, a même quelque espoir de trouver là son héros, qu'elle préfèrerait à l'étudiant efféminé et maniéré qui la poursuit de ses assiduités. Mais quand Gaston arrive enfin au port de Yokohama, à fond de cale du bateau, c'est la douche froide : Gaston est un colosse au visage chevalin, et va rapidement donner l'image d'un garçon simplet.
Voulant découvrir le pays et les Japonais, Takamori lui fait découvrir le quartier branché et assez chaud de Shinjuku. Ce premier contact sera traumatisant pour Gaston qui va être roué de coup par un petit groupe de jeunes. Gaston, plein d'indulgence envers les Japonais, et qui ne veut pas gêner, va préférer quitter sa famille d'accueil contre leur volonté, dans l'espoir de rencontrer de nombreux Japonais bienveillants...C'est le début d'aventures au cours desquelles il rencontrera un chien galeux qu'il appellera Napoléon (ou Chien-san), une prostituée, le vieux chiromancien Chotei, et surtout, Endo, un truand tuberculeux dont on découvre au fil de l'histoire qu'il recherche pour s'en venger les deux canailles, Kobayashi et Kanai, qu'il tient pour responsable de la mort de son frère en 1944, pendant la guerre. Takamori et Tomoe qui s'inquiètent vont tenter de retrouver la trace de Gaston...
Shûsaku Endô sait raconter les histoires, et c'est encore le cas ici avec une oeuvre qui passe pour sans prétention au regard de ses plus grands livres. Pourtant, le récit qui s'annonçait léger, et éventuellement sous les hospices d'une romance entre Tomoe et Gaston, va peu à peu se noircir, jusqu'à virer au fait divers épouvantable.
La personnalité de Gaston est marquée foncièrement par la bonté, l'attachement instinctif et irrépressible aux êtres faibles ou supposés l'être, comme chien-san, ou encore Endo qui pourtant le menace et se sert de lui, mais dont la mauvaise santé lui serre le coeur. L'oeuvre tire sa force de ce côté "Des souris et des hommes" de Steinbeck, tout en virant dans le dernier quart à un suspense diabolique, comportant une longue scène en trio façon "Le bon, la brute et le truand" avec déchaînement de violence en sus.
Au terme semi-ouvert, le lecteur est abasourdi que la trajectoire prévisible ait pu dévier à ce point ! Certes, on n'y croit pas totalement, tant il paraît fou que Gaston se soit fait embringuer dans une histoire pareille, et que Tomoe joue un rôle aussi peu significatif pour infléchir le destin tragique et implacable de Gaston, pour lequel pourtant elle commence à ressentir un petit penchant.
Comme souvent chez Endô le catholique, le coeur pur et gorgé de bonté de son héros est mal payé en retour, on pense par exemple à
La fille que j'ai abandonnée. le roman est aussi prétexte dans son entame, dans un mode bien plus léger que dans
Silence, à mettre en exergue les incompréhensions et attentes déçues entre les cultures européenne et japonaise. Si Endô se moque de Gaston qui s'émerveille naïvement de tout ce qu'il voit de japonais autour de lui, il n'oublie pas non plus de moquer ses compatriotes sur leurs attentes - clichés envers Gaston le Français. Enfin, cette oeuvre comporte sans doute des allusions autobiographiques dans le nom utilisé de Endo, comme lui tuberculeux, et qui a perdu un frère durant la guerre.
Un admirable idiot est donc un roman divertissant, rythmé, qui réserve des surprises et se lit avec plaisir.