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Cosyns (Illustrateur)
J. Ferenczi et Fils (01/01/1931)
3.5/5   4 notes
Résumé :


Nice 1925. Un banal administrateur de l'Indochine un peu rustre et timide est en congé. Emporté malgré, lui dans la vie superficielle et trépidante, des années folles, le voilà éperdument amoureux. Il épouse et emmène sa belle sous les chauds tropiques indochinois où elle va s'attacher à le détruire.

Amour, dettes et tourments suivi des affres de la jalousie, peignent le décor de man sombre qui voit sa conclusion à l'ombre des vertes ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Assurément l'un des livres les plus émblématiques de Jean d'Esme, et l'un des romans les plus célèbres de la littérature coloniale française, même si paradoxalement, l'Indochine française est plus volontiers ici le décor insolite d'une histoire d'amour tourmentée que le sujet véritable de ce roman.
Souvent comparé à Maurice Dekobra et plus encore à André Armandy, Jean d'Esme était néanmoins un talent plus mineur qui sut surtout incarner un certain imaginaire exotique et tourmenté des années 20-30, mais qui n'était hélas pas doté de l'imagination débordante de ses deux compères. Il est à peine exagéré de dire que Jean d'Esme consacra toutes ses premières années à écrire interminablement le même roman sous différentes formes, plus ou moins abouties.
De son vrai nom Jean d'Esménart, fils d'un vicomte devenu fonctionnaire des douanes en Indochine française, Jean d'Esme est né à Shangaï et a grandi en Indochine française. Il semble avoir très tôt eu une vocation pour le journalisme et le métier de reporter, grâce auquel il put visiter tous les pays du monde pour en couvrir les évènements, parfois au péril de sa liberté ou de sa vie.
Ses nombreux voyages lui laissent l'opportunité d'écrire, les trajets étant encore très longs en ce temps-là, aussi se lance-t-il dès 1920, âgé seulement de 26 ans, dans le roman exotique, avec « Thi-Bâ, Fille d'Annam », qui sera immédiatement un succès de librairie. Puis, après « Les Dieux Rouges » (1922), c'est « L'Âme de la Brousse » (1923) qui termine cette première trilogie de romans asiatiques, laquelle rassemble d'ailleurs ses livres les plus vendus et les plus réédités.
« L'Âme de la Brousse » sera longtemps son roman le plus célèbre, car c'est aussi le premier qui soit publié par un grand éditeur de romans populaires, Ferenczi, lequel n'hésitera pas à réimprimer ponctuellement ce roman sous différentes éditions, même après la fin de l'Indochine française. Pourtant, on ne trouvera guère chez Jean d'Esme la richesse descriptive et littéraire de son confrère Henry Daguerches, ni celle, plus tardive et plus documentaire, de Jean Hougron. Pour un natif de cette région, Jean d'Esme en apporte une vision étonnamment anxiogène, primitive, inquiétante, le genre de vision d'un invité mal à l'aise, ou d'un touriste échaudé et à peine remis d'un guet-apens. Même dans ses romans postérieurs, situé parfois dans d'autres pays, Jean d'Esme conservera souvent ce regard d'un étranger en attente d'un danger inconnu, se sentant peu en harmonie avec les indigènes, souvent choqué de leurs manières âpres et de leurs rituels abscons.
Enfin, « L'Âme de la Brousse » installe définitivement le personnage féminin archétypal que l'on retrouvera dans quasiment tous les romans de l'auteur : perfide, malsaine, perverse, manipulatrice, haineuse, folle à lier. La femme est, sur bien des points, le seul pays que Jean d'Esme n'est jamais parvenu à aborder sereinement. Sa littérature toute entière repose sur ces récifs de féminité sur lesquels, tant et tant de fois, il semble s'être naufragé. D'un physique âpre et endurci, longtemps barré d'une moustache broussailleuse et militaire, Jean d'Esme dégageait une certaine ardeur virile mais brutale qui n'a sans doute pas facilité sa vie sentimentale. Porté volontiers vers un romantisme candide, pour lequel, selon l'expression consacrée, il n'avait pas la gueule de l'emploi, Jean d'Esme a sûrement dû connaître bien des revers, des avanies, des humiliations et des tromperies. Elles ont nourri chacun de ses livres, où l'auteur s'est efforcé de mettre la femme aimée et traîtresse, indigène ou coloniale, au sein de cette fameuse brousse, comme pour bien se pénétrer qu'une même loi de la jungle primitive et barbare animait ces deux entités comme si elles n'en faisaient qu'une.
Telle est la mésaventure de Pierre Kérazel, cet alter-égo de Jean d'Esme, et qui porte en lui cette "âme de la brousse" dont il tente de s'extraire pour renouer avec la civilisation de son pays d'origine. Administrateur colonial au Cambodge, nouvellement promu à Saigon, à Annam (l'actuel Vietnam), Kérazel s'est offert quelques vacances à Nice, ville qu'il affectionne particulièrement (et où Jean d'Esme finira d'ailleurs ses jours). L'absence de femme se fait pour lui plus cruellement sentir dans la grande ville que dans la brousse où il vivait jusque là. Après quelques démêlés avec une prostituée locale et revêche, il croise la route de collègues qu'il a connu au Cambodge, et qui eux aussi sont de passage à Nice. Ceux-ci lui présentent une jeune femme dont ils ont fait la connaissance récemment, Colette Suzyer, une fort jolie blonde qui impressionne fortement Pierre.
Au fil des semaines, plus pour rester en compagnie de Colette que par goût pour la compagnie de ses propres amis, Pierre partage avec eux un certain nombre de soirées. Il sent que Colette n'est que très modérément intéressée par lui, mais ses autres amis sont tous en couple, et ne sortent jamais sans leurs femmes. L'une d'elles morigène Colette un soir, ayant surpris ses tentatives de séduction envers son mari à elle. Finalement, désespérée, semblant au moins sensible à la dévotion de Pierre à défaut de l'être à sa figure, Colette finit par lui céder, et rapidement, accepte de l'épouser et de vivre avec lui en Indochine. Pierre Kérazel revient donc à Saïgon une fois marié avec la femme dont il est si vite tombé amoureux...
Les premiers mois se passent plutôt bien, encore que ce mariage impacte vite les finances de Pierre. Colette est très dépensière, puise dans les économies de son mari pour s'acheter parfums, robes du soir, bijoux, et toutes les fanfreluches sur lesquelles ses yeux tombent. Elle se met aussi à beaucoup sortir, fréquenter les soirées plus huppées de la capitale de l'Indochine française. Pierre paye d'abord les factures sans broncher, mais bientôt son compte en banque est dans le rouge. Il emprunte, notamment à un usurier chinois qui le dénonce à sa hiérarchie. Hélas, Pierre Kérazel ne peut faire rentrer autant d'argent que sa femme en dépense. Au final, son supérieur magnanime le renvoie dans la brousse du Cambodge, à Dak-Reï, son ancien fief situé dans un lieu très isolé où il sera bien question que Mme Kérazel se contente définitivement de sa garde-robe et son coffre à bijoux. Pierre appréhende la manière dont celle-ci va apprendre sa mutation, mais contrairement à toute attente, elle se fait une raison. Pierre découvrira pourquoi une fois arrivé à Dak-Reï : un courtisan de sa femme, le lieutenant Darty, rencontré à Saïgon, et aux côtés duquel elle s'affichait volontiers dans les clubs où son mari n'aimait pas à traîner, vient lui aussi d'être nommé à Dak-Reï. L'homme s'invite rapidement dans le foyer, et Colette ne souhaite plus passer une soirée sans sa présence. Pierre comprend enfin que sa femme en aime un autre, ou qu'elle aspire à en faire son amant. Lâche envers elle, il ne sait comment chasser cet encombrant rival sans avoir à affronter sa femme. Un accident de chasse, au cours duquel Colette est blessée, de par une maladresse de Darty, lui fournit l'occasion de faire comprendre à ce dernier qu'il n'est plus le bienvenu dans sa maison, et qu'il ne faut pas songer à revoir Colette.
Pierre espère bien quant à lui reconquérir son épouse, mais celle-ci lui demeure résolument hostile, injurieuse, et ne lui pardonne pas d'avoir chassé Darty. Quelques semaines plus tard, elle montre un intérêt marqué pour l'opium, substance facile à trouver dans les environs. Elle souhaite que Pierre et elle s'adonnent à cette drogue conjointement. D'abord résolument hostile par principe et à la suite d'une mauvaise expérience personnelle, Pierre finit par accepter de mauvaise grâce d'acheter de l'opium. Aussi néfaste que soit la drogue, si elle peut lui permettre de reconquérir Colette, ou tout du moins de partager enfin quelque chose avec elle, il ne peut pas se permettre de ne pas essayer. Ce qu'il ignore, c'est que tandis qu'ils se droguent ainsi ensemble, Colette prend beaucoup moins d'opium qu'elle veut le faire croire. Son but est avant tout de faire tomber son mari dans une totale dépendance à l'opium jusqu'à ce qu'il ne soit plus qu'une loque, afin de s'enfuir ensuite en compagnie du lieutenant Darty, avec lequel elle n'a jamais cessé de correspondre secrètement. Mais croyant prématurément être arrivée à ce point, Colette ne se peut se retenir d' avouer à Pierre, un soir, son plan machiavélique et de lui crier toute la haine qu'elle a pour lui. Malheureusement pour Colette, Pierre conserve plus de force qu'elle ne le croit, et désormais édifié sur la hideur morale de son épouse, il se saisit d'un coupe-coupe accroché décorativement au mur, et alors que sa femme se détourne pour quitter la maison, il la frappe sauvagement, jusqu'à ce qu'il ne reste plus d'elle qu'un corps ensanglanté et méconnaissable. Puis, se sachant désormais condamné par son acte, Pierre s'enfuit dans la brousse cambodgienne pour s'y perdre et s'y laisser mourir...
« L'Âme de la Brousse » est donc un roman d'une grande âpreté, peu en accord avec les questions morales qui règnent en France aujourd'hui quant à ce genre de dérives conjugales. Cela reste cependant une remarquable descente aux enfers, qui n'est pas sans préfigurer quelques grands films des années 30. Reste que si le roman est véritablement un "thriller" avant l'heure, on reprochera à Jean d'Esme un trop grand manichéisme des personnages, Pierre Kérazel étant un mari fou amoureux, idéal, irréprochable sinon dans son manque d'autorité envers son épouse, tandis que Colette est à peu de choses près le Mal incarné, incapable d'un geste tendre et d'une parole aimable, égoïste et nombriliste jusqu'à faire preuve d'une totale absence d'empathie envers les autres, elle n'a pour elle qu'un physique avenant dont malgré tout il ne semble pas que son mari profite beaucoup. Un tel contraste entre ces deux personnages, qu'au final tout sépare, marque tout de même un simplisme en matière de psychologie qui plombe un peu le roman.
J'aurais tendance à penser que Jean d'Esme avait, en écrivant cette histoire, un défoulement personnel à extérioriser. La manière dont il insiste sur chaque trait, chaque parole blessante, chaque attitude révoltante affichée par la jeune femme, qui ne veut jamais rien entendre, jamais rien comprendre et nourrit envers ce mari pourtant attentionné et dévoué, qu'elle a tout de même bien voulu épouser, une haine glaciale incompréhensible, tout cet acharnement descriptif aux allures d'accusation évoque un règlement de comptes avec une jeune femme réelle envers laquelle il nourrissait sans doute une rancune colérique. de ce fait, il arrive assez souvent que le lecteur se sente de trop dans cet exorcisme littéraire. Certes, les romans sur la souffrance amoureuse masculine ne sont pas si nombreux que l'on puisse se permettre de dédaigner celui-ci, mais malgré l'intensité émotionnelle de l'histoire, malgré l'indéniable talent de Jean d'Esme pour nous porter jusqu'au bout de cette intrigue minimale et prévisible (car si Pierre Kérazel ignore tout de la duplicité de Colette, le lecteur lui le sent immédiatement dans la façon dont Jean d'Esme la décrit), malgré toutes ces qualités évidentes qui ont fait son succès en son temps, « L'Âme de la Brousse » n'en est pas moins un récit franchement malsain, et dont les motivations aujourd'hui nous semblent plus que douteuses. Entre l'amour niaiseux, angélique et authentiquement aveugle de Pierre Kérazel et la cruauté mortifère et quasi-psychopathe de Colette, le lecteur se sent volontiers pris en étau, d'autant plus qu'au final, tout cela tient un peu du besoin de se justifier de la part d'un homme qui ne se reconnait aucun défaut, au sujet d'une femme dont il renie toutes les qualités. Cette vision étriquée, bipolaire, représente la principale faiblesse du roman. Sans parti pris aucun, Jean d'Esme aurait été plus avisé de faire de Colette une femme qu'on peine à démasquer, capable d'une empathie trompeuse ou rassurante, dont, à la fin seulement, le lecteur aurait eu la révélation de ses odieux projets. Là, en opposant un homme qui ne veut rien voir à une femme qui ne veut rien donner, à faire voisiner ainsi un amour que rien ne justifie avec une haine que rien n'explique, tout cela pour finir en massacre à coups de machette, c'est tout de même un peu gênant, et pour tout dire un peu gras...
Seule la grande maîtrise de l'écrivain, que l'on sent très habité par son sujet, et l'absolu réalisme avec lequel il décrit ce huis-clos à ciel ouvert, dans toute sa tragique aliénation, permet à ce livre d'avoir encore un indéniable charme, mais un charme hautement toxique, il vaut mieux en être averti...
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