Voilà un livre qui révèle l'inconscient de l'auteur de plusieurs manières fort intéressantes...
D'abord, c'est un journal intime. Il revient sur l'été 70 : pourquoi cet été, où il ne s'est passé que des choses en apparence banales et anodines, est-il comme un point fixe auquel l'auteur se sent sans cesse ramené depuis quarante ans ? L'auteur a pensé son texte, il en a poli les contours abrupts qu'a un vrai journal intime, mais il a beau l'avoir travesti et réorganisé autour d'un fil conducteur très convaincant, il n'empêche qu'il ne fait que tourner autour de sa question, la reformule, y revient, y répond puis y revient encore comme si les pages précédentes n'existaient pas... Observer la pensée en construction, ça ne vous tente pas ?
L'été 70, donc. Pour moi aussi, il fait partie de l'inconscient : cet été, je l'ai vécu, mais je ne peux en avoir aucun souvenir puisqu'il a été mon tout premier. Alors l'idée que quelqu'un en ait restitué l'ambiance, les rêves, en ait livré ses souvenirs, m'a formidablement attirée et j'ai été ravie que le sort de la dernière Masse critique me l'attribue : un peu comme s'il me promettait une seconde chance, celle de revivre ces mois avec ma conscience adulte. de fait, on en retrouve toute l'ambiance, au travers de mille détails, et plus encore, de sa bande-son. Je me suis surprise à chercher Mungo Jerry sur Deezer et à passer In the summertime en boucle en continuant ma lecture. Nostalgiques, ne passez pas votre chemin...
L'inconscient, ce sont aussi des schémas qui se répètent. Chez l'auteur, c'est celui de la blessure mal cicatrisée, et là où le roman tire vraiment parti de son origine de journal intime, c'est qu'il est très riche de correspondances entre de multiples aspects de la vie de l'auteur (et je ne vais évidemment pas toutes vous les livrer) : il parle de cet été comme d'une blessure qu'il voudrait cicatriser définitivement, en faisant le parallèle avec l'intervention chirurgicale bénigne qui a infligé à son corps une blessure dont il est en train de cicatriser au moment où il écrit. En outre, après des années dans l'enseignement, il s'est réorienté vers un métier qui lui correspond enfin pleinement, je vous le donne en mille : restaurateur de tableaux ! Il gratte, cherche la vérité originelle sous les couleurs et les vernis abîmés, répare et restaure pour rendre aux tableaux leur beauté originelle. Toute lecture en double sens de ma dernière phrase est la bienvenue...
Et enfin, je m'interdis de parler de la fin du livre, mais pourtant, elle vaut à elle seule le détour : comme c'est une tranche de journal intime, on ne voit pas du tout comment l'histoire pourrait se terminer. Pourtant, oui, elle se termine et s'ouvre à la fois, parce qu'elle débouche sur la possibilité de faire un lien supplémentaire entre l'été 70 et le présent. Heureusement, l'auteur est léger : il évoque une possibilité et ne dit rien de sa réalisation, ce qui, pour le lecteur, fonctionne comme une invitation à réfléchir sur ce que nous pouvons faire des (supposées) coïncidences qui traversent nos vies. Lisez L'été 70 ; c'est un journal intime, et c'est aussi beaucoup plus que cela.
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Recevoir, envoyer des lettres. Comme beaucoup d'autres à l'époque j'avais des correspondants dans le monde entier. La page hebdomadaire du journal de Tintin, où s'alignaient les portraits des candidats épistoliers était notre réseau social. Nous étions loin d'internet, de Facebook et des courriels. Souvent l'affaire tournait court dès les premières missives. Il restait un timbre du bout du monde, une image, quelques mots de présentation. J'avais tenu bon plusieurs fois, maintenu un lien pendant au moins six mois. J'ouvrais les enveloppes avec délectation et collectionnais les timbres. J'aimais les prénoms exotiques. Lire me passionnait moins; Les nouvelles atteignaient rarement le niveau des confidences. Lorsque c'était le cas, je savourais ces moments de complicité qui mettaient mon imagination au travail pour quelques jours.
Est-ce cela vieillir ? Etre capable de retourner explorer sa vie antérieure et d'en apprécier la consistance ? De faire la part de ce qu'il y a de factice et de vrai, de comprendre ce qui a enrichi la mémoire et de mesurer le temps perdu dans les apparences ?
Si le rêve d'amour universel existe, ça manque de rêveurs. Les illusions s'en vont avec le reflux. On y a cru pendant la durée du film. Les années de ma jeunesse sont gravées dans le marbre et j'ai vieilli en les conservant comme références. Je ne suis pas nostalgique mais lorsque la mélancolie me prend, je sors les disques, feuillete les bandes dessinées. Je m'immerge dans la mer de la tranquillité de mon adolescence. Ravi d'appartenir à la génération peace and live même si elle n'est plus à la mode si elle a ses faiblesses et ses contradictions.
Pendant deux années, j'avais cru à un mirage. La voie s'était terminée en cul-de-sac. Ingrid avait dressé un mur que je n'avais pu escalader. J'ai fait demi-tour, rejoint le dernier carrefour avant Rotterdam et repris la route initiale. Adieu les fantasmes, j'ai réintégré mon vrai corps, pour vivre avec et me faire raisonnable.
Aujourd'hui encore, j'ai cette sensation de ne pas être attaché à mon corps, d'avoir un cerveau indépendant qui promène ses idées sans être relié au reste. Il faut s'incarner, unifier la chair et l'esprit, dit-on. Un sacré défi ! Quel poids à tirer ! C'est pourtant dans cet accord pensée-matière que l'on se sent vivre. Suis-je totalement vivant ? Voilà la question. Il me faut toujours réfléchir, être conscient de ce qu'il advient. Un défaut que je n'ai pas éradiqué. Avant le voyage j'avais la faculté de rêver, j'appréciais la volupté de me laisser aller au monde, de m'y intégrer. La Hollande m'a dessillé. Fin des illusions.
Comme tout le monde, je vis avec un sac des questions sans réponse. Chercher les solutions en cours de route ne peut que ralentir la progression. Tout semble naturel, nous évitons de casser la croûte qui cache notre faiblesse, qui nous protège de nos démissions et qui nous fait croire que nous sommes à l'équilibre. Nous pensons mener une existence à l'écart des vagues et des remous, alors que sous la surface une activité souterraine crée des courants, tisse des intrigues, mine les fondations. Mon été 70 est un foyer non éteint.