Blandine de lyon

Les débuts du christianisme sont toujours une pierre d'achoppement pour les historiens : les documents historiques utilisables sont, dans leur majeure partie, d'origine chrétienne, conçus à des fins didactiques et prosélytiques, et donc d'une objectivité relative (du point de vue historique, s'entend). Les sources « profanes » sont rares, et, elles aussi peuvent être mises question, vis-à-vis des auteurs et du pouvoir de l'époque. Tout le travail d'un historien est de séparer le vrai du « faux », le vrai de « l'exagéré », le vrai de « l'interprété », en recoupant les renseignements pris de diverses sources et en en faisant une synthèse, la plus plausible possible, la plus crédible possible.
François Fontaine (1917-1996) n'est pas un historien. Il est un diplomate, proche collaborateur de Jean Monnet, mais l'histoire, et particulièrement l'histoire antique, est sa passion. Ses trois romans historiques liés à la Rome antique : « L'Usurpation ou le roman de Marc-Aurèle » (1979), « Mourir à Sélinonte » (1984 » et « Blandine de Lyon » (1987) se situent dans la même époque historique, le règne de Trajan et celui de Marc-Aurèle, une période peu connue du grand public et encore mystérieuse même pour les historiens. C'est donc avec une précision, je dirais même une exigence, extrême, que François Fontaine a réuni le matériau pour son roman « Blandine de Lyon » :
« … Depuis un siècle, des recherches importantes ont été menées dans toutes les disciplines de l'Histoire, pour éclairer et fixer les circonstances du drame des chrétiens de Lyon. Nous avons tenu compte du dernier état de ces recherches dans notre travail de reconstitution. La part de l'imagination a été réduite au minimum. Parlons plutôt d'un maximum de probabilités dans l'état actuel des connaissances… » (Note préliminaire à « Blandine de Lyon »).
Nous sommes à Lyon en 177 après Jésus-Christ. Lyon est une ville cosmopolite où se côtoient romains, gaulois, gallo-romains, et populations venues du monde entier (particulièrement d'Asie mineure). Ville de commerce et d'industrie, en proie aux tensions politiques, ethniques, et religieuses. Toutes les religions sont présentes et se font concurrences. Les chrétiens, en butte à la méfiance de la population, ne sont pas exemptés de dissensions internes : il y a des exaltés, comme Alcibiade, qui prône un christianisme « pur » qui fera penser, quelques siècles plus tard aux Cathares, il y a des charlatans comme Markos un mage, retors et licencieux, il y a des chrétiens qui, comme « La Mère », pratiquent un christianisme évangélique, basé sur l'amour et la fraternité… Victime de calomnies et de dénonciations, la petite communauté glisse doucement de la méfiance au rejet, et du rejet à la persécution. A Rome, l'empereur Marc-Aurèle, bien qu'ouvert et tolérant, ne peut rien faire.
Et donc une quarantaine de chrétiens, dont Blandine, va subir le martyre
De ce fait historique avéré, la première mention d'une « persécution » de chrétiens sur notre territoire, François Fontaine tire un roman foisonnant, d'une rigueur historique exceptionnelle, jamais lassante, car elle est tempérée par un style vivant qui nous rend les personnages proches et attachants. le lecteur intéressé par l'Histoire trouvera un intérêt certain dans ce roman, où il apprendra beaucoup de choses.
Mais ce qu'il faut saluer, et mentionner avec la plus grande ferveur, c'est l'honnêteté de l'auteur : le scrupule qu'il met à livrer au lecteur quelque chose d'authentique et de vraisemblable (à défaut d'être vrai) est tout à son honneur. Et son talent fait le reste.
Pour les lecteurs et lectrices curieux d'avoir un complément d'information sur la période et le sujet, signalons dans la Pléiade (oui je sais ce n'est pas donné, mais quand vous en aurez l'occasion ou les moyens, ça vaut le coup) : « Premiers écrits chrétiens » (2016). On y trouve côte à côte les principaux textes profanes et chrétiens (et même juifs et arabes) sur la perception du christianisme des origines. François Fontaine aurait adoré.