Bernard Barracuda n'est pas le genre de type chanceux. Renversé par son père qui avait un peu trop bu le soir du réveillon, il se retrouve dans un lit d'hôpital, complètement paralysé. Voici le drôle de héros de cette bande dessinée cynique : un personnage qui ne parle pas, qui ne bouge pas et dont le visage n'exprime aucune émotion. Une poupée vivante laissée aux mains inconscientes de ses proches. Et les aventures ne font que commencer…
Tout le monde en prend pour son grade. Entre les infirmières qui infantilisent Bernard et l'humilient constamment (« Oh le beau caca »), sa tante qui le dénonce pour tentative de viol, son père qui l'oblige à signer une lettre le déchargeant de toute responsabilité ou son entraîneur de rugby qui lui demande de se remettre rapidement pour permettre à son équipe de gagner le prochain affrontement, Bernard ne trouvera certainement pas le réconfort et le soutien qu'il pouvait espérer de la part de ceux sur qui il avait cru pouvoir compter.
Peut-être peut-t-il se dire que sa situation aurait pu être pire en la comparant à celle vécue par Papy, son voisin de chambre, un vieux croulant qui n'a plus que le mot « Mourir » à la bouche ? Car lui non plus n'est pas épargné par le corps médical ni par son fils, qui lui confie son gosse de cinq ans pendant une semaine le temps de partir aux sports d'hiver avec sa femme.
Ici encore, Bernard fait preuve d'une chance formidable ! Aurait-il pu espérer plus charmant compagnon de chambre que ce squelette suicidaire ?
Le trait est gribouillé, fait à la va-vite. le style est très enfantin, et il jure d'une manière grotesque avec le cynisme et la cruauté des propos. Car il n'y a absolument rien de bon dans cet album. Valfret dénonce les individus et pointe leurs vices et leur égoïsme avec une haine d'autant plus grande qu'elle semble n'avoir aucun remède. Valfret ne propose aucun modèle rédempteur qui se proposerait à distiller un peu de sagesse au milieu de ce marais croupissant de méchanceté et de bêtise. Et ce parti pris radical est très dérangeant. Même mon goût pour le cynisme en a pris un coup. le mauvais goût prête à rire, mais avec cet album, on ne sait même plus s'il est permis de sourire. C'est malsain à en vomir. Et en même temps, si le ton de cette bande dessinée est tellement dérangeant, c'est parce qu'il y a du vrai dans ce qu'on y lit…
Alors, que fait-on de cet album ? On la balance au fond de la cuvette des toilettes et on essaie de croire encore en l'humanité ? Ou on en fait sa Bible de la misanthropie ? J'hésite…
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